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publié par gab, vinciane le 18/09/09
shannon wright - time and honey

Mardi 8 septembre, cinq ans après notre dernière interview, on retrouve Shannon Wright dans la cour d’un hôtel parisien quelques jours avant la sortie de son nouvel album Honeybee girls.

Tout à notre joie de la revoir (et toujours un petit peu impressionné), la discussion commence naturellement sans qu’aucun des deux intervieweurs du cargo n’ait déclenché le moindre enregistrement. Le temps que l’on réagisse elle nous avait déjà dit qu’elle était là pour trois jours de promotion et qu’elle revenait en octobre pour une série de concerts avec son groupe au grand complet ...

time

le cargo : Tu sors des disques sous ton propre nom depuis dix ans maintenant, est-ce que ceci à une importance pour toi ? Est-ce un jalon ?

Shannon Wright : Non, c’est une part naturelle de ma vie. C’est fou de penser que cela fait dix ans, je n’ai pas du tout l’impression que cela fait autant de temps. Je n’y pense pas comme étant un jalon, c’est ma vie de tous les jours.

le cargo : Mais ta vie a du changer en dix ans ?

Shannon Wright : mmm ... c’est à peu près pareil sauf qu’au début je sortais des disques de façon moins espacée, un par an environ, et je tournais énormément, ça devenait dur d’écrire de nouveaux morceaux, j’étais sans cesse fatiguée. J’ai donc commencé à me laisser du temps pour être chez moi, pour réfléchir sur la vie, et c’est devenu plus facile d’écrire. Au final, un album tous les deux ans me convient bien.

le cargo : Tu tournes pendant un an et puis tu as un an pour faire l’album, ça fonctionne ainsi ?

Shannon Wright : Non, pas vraiment ... je fais une pause d’un an et puis lorsque cela commence à vraiment me manquer je m’y remets. C’est plus naturel que de me forcer et de me dire « Je dois faire un nouveau disque ! », ce n’est pas une bonne façon de faire de la musique. J’ai donc réduit fortement les tournées et c’est mieux pour moi ainsi.

le cargo : Beaucoup de groupes qu’on écoutait il y a dix ans ne sont plus là, qu’est-ce qui te pousse en avant ?

Shannon Wright : Je ne sais pas ... je ne peux pas imaginer ne plus jouer de musique.

le cargo : Mais il y a une différence entre jouer pour soi et sortir des disques.

Shannon Wright : Eh bien je suis sans cesse en débat interne à ce sujet là. Avant de faire les deux derniers albums je me disais que je n’allais plus en faire du tout et puis, comme souvent, ce sont mes amis qui m’ont poussé à m’y remettre. C’est le cas pour celui-ci, Andy, avec qui j’avais déjà enregistré, était de passage en ville et m’a dit « Hey, veux-tu faire un nouveau disque ? » et moi j’ai répondu « Oh je ne sais pas ... ». Il m’a dit qu’il était là pour deux semaines et qu’on devait absolument faire un disque. Je lui ai dit « Il reste une semaine et demi avant qu’on enregistre » et il m’a répondu « Oh tu peux le faire, écris des morceaux ». Du coup j’en ai écrit et ...

le cargo : En si peu de temps tu as écrit tous les morceaux ?

Shannon Wright : Oui, j’ai écrit toutes les chansons en quatre jours à peu près.

le cargo : Wow.

Shannon Wright : Oui. Mais c’était bien. C’est bien parce qu’il m’a bousculée et parfois sous la pression tout sort d’un seul coup donc ce peut être une bonne chose.

le cargo : Ressens-tu toujours les choses/émotions de la même manière quand tu fais de la musique qu’il y a dix ans ? As-tu pris certains automatismes ?

Shannon Wright : Non c’est très étrange. Comme cela fait complètement partie de ma vie, rien n’a vraiment changé. C’est tellement naturel, je ne conceptualise jamais mes albums ou pense des choses du genre « Oh celle-ci sera une chanson à la guitare ». Je m’assieds, je joue et quelque chose sort, je ne sais pas pourquoi, ça arrive c’est tout. C’est resté pareil, ça fait partie de moi, c’est un peu comme un besoin, j’ai ce besoin de m’exprimer ...

le cargo : Et te connais-tu mieux en tant que musicienne ?

Shannon Wright : Non, non, si tu commences à tomber [se coupe] je crois que beaucoup de gens peuvent tomber dans un piège où [sonnerie de téléphone]

intermède

Oui parce qu’à l’heure de la totale technicité du tout-en-un, il se trouve que votre petit téléphone vert vous sert notamment d’enregistreur numérique et que vous ne pouvez donc pas l’éteindre pendant l’interview comme le voudrait la bienséance élémentaire. Et c’est en général dans ces cas-là, alors que vous n’avez plus pratiqué d’interview depuis cinq ans et que vous êtes face à une artiste qui compte énormément pour vous et qui vous intimide déjà fortement, que le téléphone sonne ... conversation vite expédiée, on raccroche les wagons comme on peut ...

reprise

le cargo : On a l’impression depuis deux albums que ta façon de faire de la musique et ta façon de chanter ont évolué, passant de la colère au soulagement.

Shannon Wright : Je n’ai jamais vu mes chansons comme contenant de la colère même si je sais que beaucoup de gens les voient comme ça. Il me semble que j’essaie seulement de trouver des réponses, que je vois plutôt les choses comme étant sombres, c’est plus de la frustration sur la vie et des questionnements sur les gens ... mais je cherche toujours ce qui peut être bon, c’est presque un espoir que les choses s’améliorent. Donc pour moi ce n’est ni de la colère, ni négatif, c’est plus une tristesse ... et c’est toujours une recherche.

le cargo : Cette recherche semble plus apaisée.

Shannon Wright : Oui, enfin ça dépend. En tant que songwriter je crois que tu renvoies toujours ce qui se passe autour de toi ... sur l’album précédent je venais de donner naissance à mon fils et ... écrire c’est aussi se questionner « voici une nouvelle vie, j’espère qu’elle sera bonne pour lui » et puis avec ce disque-ci, un certain nombre de mes amis étant morts depuis un an, il s’agit plus d’essayer de comprendre pourquoi, de s’interroger sur le sens de cette vie. C’est peut-être plus calme car c’est tourné vers l’intérieur ...

Honey

le cargo : Notre première impression à l’écoute de l’album est que les trois premiers titres auraient pu être sur un des disques précédents et qu’ensuite tu passes à autre chose, avec de la réverbe sur les voix, des sons électroniques. Voulais-tu éviter de brusquer l’auditeur ?

Shannon Wright : Eh bien c’est Andy ... car quand j’enregistre, je ne me focalise jamais sur le chant, je ne me considère pas du tout comme une chanteuse, je me concentre plutôt sur les paroles, la guitare et le piano. Et donc pour cet album, Andy m’a dit « Tu sais tu devrais peut-être mettre ta voix un peu plus en avant » et moi c’était « Oh non non non ». Il a été très encourageant, me disant d’essayer pour voir. Donc oui, c’est différent, il y a plus de réverbe, ce qui est étrange pour moi, mais au final j’étais contente. D’ailleurs au début de l’enregistrement j’étais assez mal à l’aise avec ça mais au fur et à mesure j’ai voulu essayer différents sons. Chaque chanson possède ainsi son propre élément et ensuite seulement on a assemblé le disque donc je ne me suis jamais dit que le disque allait sonner ainsi, c’était vraiment plus « cette chanson va sonner ainsi ». Ai-je répondu à la question ?

le cargo : Plus ou moins oui. (rires)

le cargo : S’agit-il d’un album de transition ? car il semble que tu explores différentes voies avec des sons électroniques et d’autres chansons dont les musiques sont plus joyeuses que d’habitude comme « Sympathy on Challen avenue ». On a l’impression que tu fais des essais et peut-être que le prochain album sera plus électronique par exemple.

Shannon Wright : Je ne sais pas, c’est juste quelque chose que j’ai essayé sur cette chanson ["Father", ndlr] parce qu’elle est très sombre et je voulais la représenter sur un fond froid. Après c’est intéressant d’essayer différentes choses, des choses que je n’avais jamais faites avant. Sur Dyed in the whool il y avait une chanson qui s’appelait "Method of sleeping" sur laquelle j’avais mis des boucles mais c’était des samples extraits d’un disque. J’aime beaucoup essayer de nouvelles choses en studio, c’est très amusant. J’aime beaucoup enregistrer de façon générale.

le cargo : Tu ne sais donc pas de quoi sera fait le prochain album ?

Shannon Wright : Non (rires), je ne sais jamais à l’avance.

le cargo : Tu termines l’album avec "Asleep", une reprise des Smiths que tu jouais déjà en concert en 2001, c’est surprenant de la voir apparaître maintenant sur un album. La joues-tu toujours en concert ? Est-elle spéciale pour toi ?

Shannon Wright : De temps en temps oui ... elle était sur un deux titres il y a quelques années mais je n’étais pas entièrement satisfaite de l’enregistrement et puis je me suis dit que ce serait bien de la mettre sur un disque vu l’importance qu’elle a pris pour moi à force de la jouer depuis tant d’années.

le cargo : Fais-tu d’autres reprises ?

Shannon Wright : Non, il y a une autre reprise que je fais qui est "I started a joke" des Bee gees mais c’est à peu près tout.

le cargo : Elle était sur un album elle aussi.

Shannon Wright : Sur l’Ep Perishable goods, oui.

le cargo : Et pour finir on se demandait à quoi faisait référence le titre de l’album Honeybee girls ?

Shannon Wright : Au moment où j’ai trouvé le titre je me sentais triste et frustrée au sujet des femmes. Il y a un secteur à Atlanta avec énormément de clubs de striptease et ça me rendait triste et puis cela s’est étendu à la société actuelle, spécialement aux Etats-Unis, où les femmes essaient d’être sexy et belles, j’ai vraiment l’impression qu’on régresse. Je trouve ça triste que les choses n’aient pas plus évolué, c’est pareil avec les musiciennes, il n’y a toujours pas énormément de très bonnes guitaristes, ça vient doucement mais je pensais que ça irait plus vite. J’imagine que c’est une réflexion sur le contraste entre une abeille, qui est quelque chose de doux et délicat, et ces choses qui je pense devraient changer. C’est fou quand on y pense que ça puisse même exister, les clubs de striptease ... et ça me rend triste que les femmes n’arrivent pas à sortir de cette façon de penser, si elles pouvaient arrêter ça, elles auraient leur propre voix, elles pourraient trouver cette voix en elles-mêmes et ne tomberaient pas dans le piège d’essayer d’être quelque chose pour les hommes plutôt que pour elles-mêmes. Donc le titre Honeybee girls ne veut pas vraiment dire ... enfin, il veut dire quelque chose pour moi mais c’est difficile à expliquer. Je m’étais d’ailleurs demandé « Oh comment je vais expliquer ça ? » car je savais que les gens allaient poser la question. Je devrais peut-être trouver une autre histoire (rires) ... « c’est une douceur ... le miel ... ça parle d’ours ... » (rires) ... [grosse voix] « ça parle de stripteaseuses ! » (rires)

le cargo : Et qui a fait la pochette ?

Shannon Wright : Ce sont deux gars d’Atlanta qui ont beaucoup de talent, Mark et son partenaire. Ils faisaient de superbes sérigraphies en petites quantités pour des groupes il y a quelques années et comme j’aimais beaucoup ce qu’ils faisaient et leurs idées, c’était quelque chose auquel je pouvais m’identifier, je leur ai demandé s’ils voulaient bien faire la pochette. Ils ne font pas beaucoup de pochettes de disques habituellement mais comme celui-ci sortait aussi en vinyle, ils étaient très excités. Je trouve qu’ils ont fait du super boulot, j’aime beaucoup.

le cargo : C’est quelque chose que tu décides à la fin, après l’enregistrement de l’album ?

Shannon Wright : Oui, après oui.

le cargo : Parce que tes pochettes sont toutes si différentes, c’est quelque chose qui dépend de ton humeur du moment ou des gens que tu rencontres ?

Shannon Wright : De l’humeur en général.

le cargo : C’est tout pour nous, merci beaucoup.

Merci à Phil et Guillaume de Vicious Circle.

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publié par le 18/09/09