Plouf Plouf ...
... ce se-ra toi qui chan-te-ras du Tom Waits ! Soyons honnêtes, à l’annonce du nom de Scarlett Johansson comme interprète d’un album de reprises de Tom Waits nous avons tous été traversés par la pensée qu’il s’agissait là d’une idée quelque peu farfelue sans doute motivée par un énième coup marketing d’une maison de disque et d’agents artistiques à l’esprit déviant.
Déjà s’attaquer aux œuvres du grand Tom quand on est un chanteur qui a du bagage ça peut paraître très casse-gueule et s’avérer un véritable challenge. Alors quand en plus on va nous chercher une actrice plutôt mignonne (voire très canon pour ceux qui fantasment sur de la blonde au nez retroussé et au menton légèrement pointu) à la filmographie certes intéressante mais dont peu savait qu’elle avait aussi quelques talents de chanteuse, on peut s’attendre au pire.
Nous avons déjà connu cela en France, l’actrice qui s’essaye à la chanson, même avec nos comédiennes les plus talentueuses : des Isabelle Adjani (qui tant qu’elle restait en pull marine était encore supportable, c’est l’épisode de la princesse au petit pois qui s’est avéré plus indigeste), Sophie Marceau elle aussi a connu son heure de gloire lors d’un duo mémorable avec l’anti-Tom Waits par excellence : François Valéry (qui fut surtout l’auteur d’un refrain qui a perturbé toute mon adolescence « je dream en bleu, je rêve en blue » ... parce que moi je n’ai jamais eu la couleur dans mes rêves ... c’est grave docteur ?). Allez, ne voyons pas le mal partout il y a quand même eu de très beaux essais : toutes celles qui ont chanté Gainsbourg par exemple : que ce soit Anna Karina, Deneuve, Bardot et même la majestueuse Adjani. Chacune à sa manière a su faire preuve d’un certain talent d’interprète. Cependant aucune à ma connaissance n’a osé s’attaquer à du lourd, comme par exemple faire un album entier de reprises de jacques Brel ! Non pour ce genre d’exercices on laisse faire les grands, les pros de l’interprétation : les Pagny et les autres (d’ailleurs Pagny ne serait-il pas un peu le pendant masculin de Scarlett Johansson si l’on considère qu’il fut d’abord acteur avant d’être chanteur ?).
Tout cela pour dire à quel point l’annonce de la parution de l’album de Mad’moiselle Scarlett pouvait se révéler anxiogène que ce soit pour les fans de monsieur Waits ou tous ceux qui l’apprécient sans forcément connaître sa discographie sur le bout des doigts.
Afin de minimiser les risques de ratage, on avait pris quelques précautions (bienvenues ?!? la suite nous le dira) en confiant la production à David Sitek de Tv On The Radio et avec la participation de David Bowie sur deux morceaux “Falling Down” et “Fannin’ Street”.
Une Marianne Faithfull sur fond de Bontempi’s style
La première chose qui surprend concerne la voix de Scarlett. Si on se fie à son image d’adorable petite chose fragile toute blonde on ne s’attend pas forcément à découvrir une Marianne Faithfull de l’an 2000. Elle a la voix grave de ces femmes qui ont du vécu, qui ont connu des tas d’expériences : les pires comme les meilleures.
« Les pires comme les meilleures ... » voilà qui pourrait être un bon résumé du sentiment qui nous envahit lors de l’écoute globale de Anywhere I Lay My Head tant les belles surprises s’accompagnent de tentatives plutôt détonantes.
On ne peut pas dire que l’affaire débute bien : on a connu meilleures mises en bouche que cette laborieuse tentative de reprise du magnifique instrumental “Fawn”. Dès les premières notes nous voilà transporter à l’ère Bontempi, c’est grandiloquent, et kitschissime à souhait... à des années lumières d’une version originale épurée, simple où seule la mélodie et sa douceur suffisent à transporter les émotions... comme je l’ai lu dans un témoignage touchant, il s’agit à l’origine d’une des plus belles mélodies écrites par monsieur Waits, belle à faire pleurer. Les arrangements apportés par David Sitek rendent le morceau tellement oppressant et agaçant que les larmes qui nous montent aux yeux sont surtout là pour nous faire regretter le gâchis réalisé sur un tel chef d’œuvre.
Autant dire qu’il faut se montrer sérieusement motivé pour vouloir poursuivre la découverte de cet album, mais il le faut ... il faut surtout passer outre l’épreuve de l’instrumental qui tue car Anywhere I Lay My Head recèle quelques perles remarquables. Que ce soit sur “Town with no cheer” ou sur “Green grass” la voix de Scarlett est sublime en force et en gravité. C’est une voix qui nous transporte, nous touche et nous permet de vite oublier les accords « bontempiesques » insupportables toujours présents en fond sonore.
Ce n’est pas, hélas, la participation de David Bowie sur deux morceaux qui va réussir à faire oublier les délires de David Sitek. “Falling Down” aurait pu être terrible, déjà le morceau original est sans doute l’un des plus intenses que Tom Waits n’ait jamais chanté, le choix de cette reprise était audacieux et judicieux. L’alchimie qui se crée entre le timbre sombre de Scarlett Johansson et la voix si rare de Bowie sublime l’ensemble et pourtant par moment on peut franchement regretter les effets clochettes-xylophones façon “Jingle Bells” qu’on entend ça et là. Dans l’autre duo, “Fannin’ street”, ce ne sont pas tant les effets qui sont à déplorer (enfin si quand même un peu) ; les regrets se situent plutôt au niveau de l’interprétation. La prestation de Scarlett est bien en dessous de ce dont elle est capable sur d’autres morceaux. Son chant trop scolaire qui insiste lourdement sur l’articulation syllabique perd en émotion. Et je suis loin d’être convaincue par les chœurs lointains tout en réverbe d’un Bowie qui semble déjà avoir posé un pied dans l’au-delà.
Mais là soyez rassurés le pire reste à venir ! Si vous voulez du frisson garanti, de l’absolument indéfinissable surtout précipitez-vous sur “i don’t want to grow up”. On dirait un morceau tout droit sorti d’une compile NRJ des années 80, on se risque à une écoute attentive, entre les effets boîte à rythmes du Macumba de Tremble-les-guibolles, une interprétation qui ferait passer Cyndi Lauper pour la meilleure chanteuse des deux dernières décennies on a vraiment du mal à réaliser que Tom Waits ait pu avoir un jour un quelconque rapport, même très, très lointain, avec un morceau de ce genre. L’écoute de la version originale me rassurera sur l’œuvre de monsieur Waits tant cette reprise est proche du carnage. Heureusement pour David Sitek le dépôt de plainte pour crime contre l’œuvre « Waitsienne » n’a pas encore été validé mais à ce rythme là cela ne saurait tarder. Pourtant il y en a eu des reprises de ce morceau plutôt sympathiques ne serait que celle des Ramones. L’album s’achève sur un nouveau duo : “Who are you ?” où cette fois le criminel David Sitek accompagne de sa voix grave le chant de Scarlett. Cette cover est bien agréable, les arrangements plus discrets, et la double interprétation fort convaincante. Parmi les belles réussites de l’album on trouve le morceau “Song for Jo”, l’une des meilleures reprises de la chanteuse diront certains... si bien qu’on se met à chercher frénétiquement l’original sur le net. Mais bon sang, quel est donc ce morceau mystère impossible à trouver, sans doute une face B, un titre bonus sorti sur une version japonnaise ou alors, allez soyons fou, un inédit écrit par Waits lui-même pour cet album de reprises. Une reprise d’un inédit voilà qui serait quand même très fort. Que nenni ! la vérité est encore plus surprenante, il ne s’agit même pas d’une reprise mais d’un morceau original de Sitek et Scarlett Johansson ! Et là pour le coup nous sommes plus que bluffés tant ce morceau se fond dans l’ensemble des reprises et est surtout très bon : une mélodie très plaisante, une interprétation toute en justesse et surtout des arrangements tout en finesse. Et l’on se demande si en fait, David Sitek ne serait pas suffisamment vicieux au point d’avoir saccagé sciemment les morceaux de Waits pour que par effet comparatif son morceau à lui paraisse le meilleur d’entre tous.... Comment ça c’est complètement tordu comme analyse, et pourquoi pas ? D’ailleurs je me demande si ce Sitek n’aurait pas un lien quelconque avec la mort de JFK .... Quoiqu’il en soit cet homme a quand même une étrange façon de produire un album de reprises.
Anywhere I Lay My Head reste au final une bien belle surprise avec une Scarlett Johansonn qui tient la route et se révèle être une vraie chanteuse talentueuse. le seul bémol concerne vraiment les arrangements de David Sitek, la prochaine fois si il pense à enlever ses moufles et à faire preuve d’un peu plus de subtilité , on tiendra là l’album de l’année, que dis-je ?...de la décennie, que dis-je encore ?.. l’ album, le seul et l’unique de reprises de ce génie qu’est Tom Waits.
très belle enquête !
mais comparer Scarlett Johansson à Pagny, quand même ...