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publié par Mélanie Fazi le 07/09/18
Robi + Katel + Emilie Marsh - "Une histoire qui n'est pas que notre histoire"

Au début de l’été, l’annonce par Katel, Emilie Marsh et Robi de la création de leur label FRACA nous a semblé intéressante à divers titres : pour ce qu’elle promettait de futurs projets musicaux, mais aussi pour ce qu’elle disait en creux sur des sujets que nous voulions aborder ici sans en avoir réellement eu l’occasion. Sujets qui reviennent dès lors que l’on discute avec des acteurs du milieu de la musique, autour de la difficulté pour les artistes de percer, d’exister, de survivre dans un système grandement déséquilibré. Voir ici trois musiciennes s’associer pour créer un nouveau label ne semblait pas un geste anodin.

Cette annonce prolongeait une démarche initiée par la tenue régulière de « Soirées chanteuses » autour desquelles des actrices de cette scène que nous apprécions et suivons pouvaient se rencontrer, échanger, partager autour de problématiques communes. Un esprit d’entraide et de solidarité qu’on retrouve dans le discours des trois fondatrices de FRACA lorsqu’elles expriment leur volonté de prendre les choses en main pour tenter de les faire bouger à la mesure de leurs moyens – pour elles-mêmes mais aussi pour les autres. Au cours de cet échange, il se dégagera de leurs propos une simplicité et une sincérité frappantes : pas d’effets d’annonce ronflants mais des réflexions pragmatiques et concrètes, en accord avec ce que nous connaissions déjà de leurs démarches respectives. Et par-dessus tout, le désir d’agir ensemble et avec d’autres – au-delà même de la question des projets du label, un discours général qui fait du bien.

Comme il se doit, tout commencera par une fête : le lancement se déroulera le 18 septembre au Motel (avec entre autres des DJ sets assurés par Dani, Jeanne Added, Maissiat ou Fiodor Novski), et nous y sommes tous conviés.

D’où est venue l’idée, l’envie de créer un label ?

Katel : L’envie de créer un label, on l’a toutes eue avant, parce qu’on en a déjà toutes créé un. La question est plutôt : qu’est-ce qui vous a donné envie de créer celui-là et d’en faire un en commun, parce qu’on avait chacune un label de forme associative. La première chose, c’est qu’on s’est dit qu’il fallait rassembler nos forces, au départ plus pour faire de la production de nos propres albums – c’était plus pour unir nos forces, pouvoir passer sous forme de boîte et pas d’asso, parce que ça nous permettait d’avoir accès à d’autres modes de production qui nous étaient refusés sous forme associative. Donc tout ça était très technique. Et puis à force de se voir et d’en parler, on a fini par se dire : on n’a pas envie que ce ne soit qu’une histoire d’outil. On a toutes adoré le travail de produire nos disques, de les défendre, et quand on commence à faire ça… On est toutes passées de signatures d’artiste à des licences et puis là, finalement, l’idée même de la licence ne nous bottait plus, on a eu envie de faire un label.

Robi : Et puis c’était très clairement dans la continuité de notre mode de vie, des « soirées chanteuses », c’est la déclinaison concrète de…

Katel : De l’entraide qu’il y a entre nous depuis le début.

Robi : D’une façon de fonctionner qu’on peut avoir dans la vie et qui prend juste une forme plus structurée.

Katel : Et on avait justement envie que ça ne soit pas que pour nous trois : ça aurait pu être un label sur lequel on s’occupe de tout jusqu’au bout, juste pour nous, mais on a toutes des compétences différentes et envie de les partager, d’en faire profiter d’autres.

Il y a quelque chose d’intéressant à voir des artistes, spécifiquement, créer leurs propres structures. D’une part, ça sous-entend cette idée de solidarité dont vous parliez, mais ça témoigne aussi du fait que la situation actuelle de l’industrie de la musique n’est pas idéale pour les artistes.

Robi : Effectivement, ce sont des questions qu’on s’est toutes posées. Katel a été signée dans une grande maison de disques, on a monté nos propres labels, on a fonctionné toutes seules, on a connu, Katel et moi, la licence, et effectivement notre démarche est la continuité de celle qu’on a depuis toujours, à savoir de s’accompagner, de s’entraider et d’ouvrir dans une démarche féminine mais aussi dans une démarche de rassembler les artistes et les compétences d’artistes. De sortir de l’idée que l’artiste est forcément dépendant des partenaires, qu’il est forcément un oiseau éthéré, détaché…

Katel : Qui ne sait pas quels sont les tenants et les aboutissements de tout.

Emilie : Et ça nous permet de choisir avec qui on travaille, d’avoir vraiment un vaste choix par rapport à ça.

Katel : Le dernier passage entre être en licence et avoir son propre label, on a vu ça quand on a commencé à travailler sur nos futurs partenaires en distribution. On se rend compte que c’est un maillon de la chaîne auquel l’artiste n’a jamais accès alors que c’est le nerf même de la guerre : savoir où sont placés tes disques, savoir discuter avec la personne qui les place pour dire « J’ai fait un concert à tel endroit, ça a hyper bien marché », c’est vraiment un lien direct sur l’intelligence de distribuer les disques. Et le lien entre l’artiste et la distribution, il n’existe nulle part.

Robi : Aujourd’hui notre réalité, de toute façon, c’est celle-là, et de plus en plus c’est le cas des artistes d’être à la fois des créateurs mais aussi des entrepreneurs dans le sens le plus noble du terme. On se retrouve à faire notre propre image, à réfléchir à des stratégies qui ne sont pas forcément des stratégies plaquées mais à une réflexion globale sur la façon dont on pense nos carrières, dont on pense le geste d’un bout à l’autre. Et du coup ça n’a pas vraiment de sens, en tout cas à l’endroit où on en est de nos vies, de confier ces carrières-là à d’autres alors même qu’on est au cœur de ça. Au final, comme on s’en débrouille depuis longtemps seules, autant se structurer et faire en sorte de mettre en application ces expériences communes. Et puis par ailleurs, il y a aussi la dimension féminine qui est qu’on regrette – je crois à raison, les chiffres sont tout à fait terrifiants – le fait qu’il y ait très peu de femmes dans les postes de labels, les postes de DA, mais aussi dans la réalisation, les postes de direction dans les labels…

Katel : 5% a priori, selon les derniers chiffres.

Robi : Et plutôt que de le regretter, autant faire en sorte de nous-mêmes nous mettre à cet endroit-là plutôt que de seulement le dénoncer, et se dire : « Très bien, faisons ce que par ailleurs on voudrait voir évoluer dans la société. »

On entend souvent dire que dans la musique, à partir du moment où une femme artiste travaille avec des hommes, c’est à eux qu’on va systématiquement attribuer le mérite de son travail. La création de votre label pose cette question, on peut se demander si c’est aussi une tentative de reprise de contrôle à ce niveau.

Robi : Oui, même si elle n’est pas conscientisée, c’est une évidence, ça nous est toutes arrivé.

Katel : On le voit en permanence. Sans être dans un truc revanchard du tout, il se trouve qu’effectivement, quand une femme fait quelque chose et qu’il y a un homme à côté qui est souvent son supérieur hiérarchique, la structure est faite pour que lui-même ne puisse pas faire autrement que de s’attribuer le mérite. Ça marche aussi avec les patrons et les employés : le stagiaire homme qui a trouvé l’artiste mais c’est le DA qui s’attribue le mérite parce qu’il est au poste du mérite. Ce sont aussi des hiérarchies sociales qui font que ça se passe comme ça, et il se trouve que ces hiérarchies sociales sont squattées par les hommes, donc ça se traduit de cette manière. Mais je dirais que c’est un truc plus global du patron qui s’attribue le mérite des employés.

Robi : Et effectivement, de rééquilibrer aux endroits des décisions et aux endroits plus techniques qui sont souvent les endroits masculins, et de se réattribuer ça, c’est une façon de rééquilibrer plus généralement les processus et de s’en emparer.

On a parfois l’impression de voir les artistes reprendre une forme de contrôle en travaillant sur d’autres aspects autour de la musique elle-même – par exemple Robi, quand tu fais de l’image et réalises des clips, ou Katel quand tu réalises les albums des autres. Le fait de s’occuper de ce qui se passe autour de la musique et de ne pas être strictement dans ce rapport de pouvoir.

Robi : Oui mais ce n’est pas seulement une histoire de rapport de pouvoir, c’est aussi une nécessité et un désir. Il se trouve, je pense, que c’est le revers bénéfique, qui a aussi un revers négatif, de l’époque qu’on traverse, qui fait qu’effectivement les outils sont plus accessibles…

Katel : On peut aujourd’hui faire un album chez soi, on peut faire un clip chez soi.

Robi : On a accès à des logiciels, ce n’est plus réservé aux spécialistes et du coup c’est quelque chose qu’on peut se retrouver à faire avec, évidemment, le pendant négatif qui est que n’importe qui peut faire n’importe quoi…

Katel : Et ne s’en prive jamais. (rire général)

Robi : Mais pourquoi pas, parce qu’au final il y a un tri, et c’est le tri du public, de la qualité, de la créativité, et ça on n’y échappe jamais.

Avez-vous une ligne éditoriale bien précise, ou des envies particulières par rapport aux artistes avec lesquels vous aimeriez travailler ?

Robi : Je crois qu’on est très ouvertes en matière de style. Il y a peu de chances pour qu’on aille signer du jazz puriste ou des choses extrêmement spécialisées, on fait quand même de la musique actuelle. Après, à l’intérieur de la musique actuelle, du moment que c’est bien et qu’on a un coup de cœur commun…

Katel : Et qui ne doit pas être totalement loin du réseau qu’on peut apporter. Si tout à coup on se met à signer un truc de techno pointue, on n’a pas le réseau pour travailler sur ce genre de choses.

Robi : Il faut que ce soit cohérent avec nos univers.

Emilie : Et nos publics respectifs, qu’on puisse envisager le projet avec les moyens qu’on a.

Katel : Et qu’on puisse vraiment être un apport pour l’artiste. On peut trouver un artiste génial mais se dire qu’on n’a rien à lui apporter.

Pour vous, quel devrait être idéalement le rôle d’un label ?

Robi : C’est, à mon sens en tout cas, une collaboration…

Emilie : Un travail d’équipe.

Robi : Tu posais la question du genre d’artiste, une des choses à laquelle on a beaucoup réfléchi et qui est indispensable pour nous, c’est que les artistes, au-delà évidemment des qualités qu’on pourrait leur trouver, au-delà de ce qu’on pourrait leur apporter, il y a aussi cette notion de ce qu’eux nous apportent. C’est notre label, mais on ne veut signer que des artistes proactifs, qui sont dans une dynamique où ils ont quelque chose à apporter au label, une expérience, un savoir-faire, de l’énergie, de l’envie, qu’importe, rien n’est défini d’avance.

Katel : Pas d’artistes attentistes qui signent à l’ancienne. « C’est bon, j’ai une maison de disques, la vie est belle. »

Emilie : « Je ne fais rien… »

Robi : « Et maintenant j’attends de voir ce qui se passe et c’est à eux de faire ma carrière. » Non, pour nous c’est un partage. Pour répondre à ta question, un label idéal dans notre config, pour nous, c’est un label qui accompagne autant qu’il est nourri, qui grandit avec les artistes et qui n’est pas pyramidal.

Katel : Et qui tient compte de la spécificité de chaque artiste pour trouver ce qui lui correspond le mieux. Souvent, malheureusement, les labels sont obligés de signer beaucoup pour pouvoir se dire qu’à un moment donné quelque chose va marcher, et se retrouvent à ne pas savoir comment inventer des choses spécifiques pour chaque artiste. En fait un label idéal, ce serait un label qui prendrait le temps d’inventer ce qui correspond à chaque artiste. Et même si c’est l’intention louable de chaque label qui se crée, au bout d’un moment tu te retrouves pressé par des résultats à avoir. Ce qui est bien aussi dans ce label, c’est que ce n’est pas l’endroit où on compte vivre de la musique, donc ce sera de toute façon un label qui a vocation purement de développement artistique. Si à un moment on gagne de l’argent avec ça, tant mieux, mais ce n’est vraiment pas la priorité. Donc ça nous donne une liberté qui n’est pas la même.

Emilie : De bien travailler les projets.

Robi : Et d’être dans une forme artisanale, dans le sens où c’est du fait main. L’idée, c’est vraiment de penser pour chacune d’entre nous, ou chacun d’entre nous si un jour il y a du masculin qui se greffe à cette histoire, d’être suffisamment inventifs et réactifs pour s’adapter à ce que nous propose l’artiste et pouvoir lui proposer avec lui – et jamais sans lui et jamais pour lui – ce qui correspond à sa démarche, et à la nôtre.

Robi, tu es trésorière de la GAM (la Guilde des Artistes de la Musique) et donc très sensibilisée à la question des droits des artistes – ce que vous êtes toutes, d’ailleurs. Qu’est-ce qu’un ce qu’un label dirigé par des artistes peut apporter de spécifique ? Une plus grande équité dans les rapports entre les différents acteurs, un souci de mieux respecter ces droits ?

Robi : À ce niveau-là, en tout cas au niveau d’une forme de lutte de meilleure écoute, de meilleure prise en compte de la réalité des artistes dans les bras de fer potentiels qu’il peut y avoir avec des producteurs ou même avec le ministère pour reconnaître le droit des artistes – entre autres au niveau des rémunérations, au niveau de la transparence des contrats –, d’affirmer à travers notre label cette place spécifique qui est qu’il y a aujourd’hui beaucoup d’artistes qui sont aussi entrepreneurs, qu’on est souvent à la fois employé et employeur, c’est encore un pas de franchi. Notre label (mais il y en a d’autres, on n’est pas les seuls) démontre aujourd’hui qu’il n’y a pas une seule façon de produire et que surtout l’artiste est au centre. Pour nous, c’est une façon de le remettre au centre de cette industrie qu’est la musique, parce que ce n’est pas qu’une industrie, c’est aussi de la culture, c’est une vision qu’on a pour un pays, pour une démarche plus globale.

Katel : Dans les recommandations de la GAM, le pourcentage de ce que perçoit l’artiste sur les disques, il y a eu des indications de tarifs sur lesquels on va s’aligner tout de suite. Les artistes qui vont signer avec nous seront payés pratiquement le double de ce qu’ils sont payés ailleurs. Après, on sait très bien ce que c’est qu’un coût de label, par rapport à un éditeur par exemple, le temps que tu rentres dans tes frais avec un label, c’est aussi logique que l’artiste touche beaucoup moins qu’en édition. Mais par contre, aussi peu que ce qu’il est payé actuellement dans les maisons de disques et notamment sur le numérique où il n’y a pas de réseau de distribution, où les artistes ont encore plus d’abattements quand ils sont distribués en numérique alors que ça coûte moins cher…

Robi : Et puis démontrer qu’un label d’artistes peut appliquer ce type de taux alors même qu’il est tout petit, c’est démonter les arguments des gros qui disent « Ça ne va pas être possible financièrement. » Alors pour nous ça va être un pari, on en reparle dans un an et demi, mais on est persuadées (et d’autres le font déjà) qu’on peut appliquer ces taux-là de façon à ce que l’artiste s’y retrouve financièrement, mais de façon à ce que, encore une fois, tout le monde s’y retrouve.

Avez-vous commencé à travailler sur des projets précis ?

Robi : Nous allons sortir trois albums dans l’année à venir, celui d’Emilie en avril, et le mien et celui de notre première signature Angèle Osinski probablement à la rentrée prochaine. D’ici là, nous sortirons des singles des unes et des autres.

Pouvez-vous nous dire d’où vient le nom du label ?

(Suit un échange d’où il ressort que le plus éclairant serait de se référer à l’explication donnée dans le communiqué de presse : « Les “Soirées chanteuses” et leur déclinaison “Les chanteurs sont des chanteuses comme les autres” sont depuis deux ans un rendez-vous ou les idées fusent, les projets naissent, les désirs montent au point de découvrir un jour être appelées par certains : “La fraternité cannibale”. D’abord choquées de ce que cette expression recouvrait de sens cachés ou explicites, elles décident de s’en emparer comme d’un “nom de guerre” car – effectivement – “On se nourrit les unes des autres”. »)

Katel : On peut ajouter à ça qu’on a appris depuis qu’en portugais « fraca » veut dire « faible », du coup c’est encore plus rigolo parce que ça fait « FAIBLE !!! » avec trois points d’exclamation [le logo du label, ndlr], c’est un lien assez rigolo avec le « sexe faible ».

Emilie : Ça on l’a appris après, mais ça nous a bien plu.

Ce qui fait penser aussi à la photo que vous aviez utilisée pour annoncer la création du label, celle où vous êtes toutes les trois dans une piscine, qui semblait aussi jouer sur cette idée-là.

Katel : Je pense qu’on a nos personnages, là.

Emilie : C’était aussi pour tourner en dérision l’image du producteur avec le cigare et tout ça, mais on passe beaucoup de temps à rire aussi et c’est hyper important que ça se ressente, qu’il y ait une forme de légèreté dans ce sérieux que c’est de créer un label, d’injecter cette dérision dedans. Pour nous c’était super important, parce que ça nous ressemble.

Robi : Et beaucoup de plaisir, et beaucoup d’amusement. L’idée est aussi de faire les choses extrêmement sérieusement mais avec engouement, avec plaisir, avec joie, et dans des perspectives qui soient même un clin d’œil aux années 80 ou 90…

Katel : Déjà on sort des singles, c’est trop 80s.

Robi : Et c’est génial, et on se régale. Il faut qu’il y ait cette dimension de la fête…

Emilie : C’est pour aussi ça qu’on fait les « Nuits FRACA », pour se retrouver tout en présentant des projets, en faisant des choses, en investissant des artistes qui notamment sont liés à ça, c’est aussi notre manière de vivre.

Robi : Et continuer l’idée de la communauté, parce qu’il ne s’agit pas que de nous. On a juste structuré à trois quelque chose qu’on veut pouvoir continuer à distiller, c’est-à-dire l’idée de se rassembler au départ entre femmes, mais de rassembler des gens que cette démarche intéresse. Autour de la fête !

Depuis vos débuts dans la musique, avez-vous constaté une aggravation de la situation ? On entend souvent dire que c’est de plus en plus difficile, que les conditions se durcissent.

Robi : Je sens un vrai changement à un endroit, qui s’est accéléré et qui probablement n’est pas près de cesser d’être exponentiel, c’est la rapidité avec laquelle les projets explosent et implosent. Je suis assez fascinée de voir comme on porte aux nues des idoles pour les brûler aussi vite qu’on les a encensées. Aujourd’hui, je trouve qu’il est quasiment plus facile d’émerger que de durer. Le vrai enjeu aujourd’hui, c’est de faire carrière, si tant est que ça ait encore un sens, en tout cas la durabilité devient un vrai enjeu.

Katel : Et quand tu tiens tes moyens de production, tu t’assures au moins une chose, c’est qu’aujourd’hui, même au pire du pire, si personne ne veut plus de rien de ce qui nous concerne, on a notre label, notre distributeur, on peut faire nos clips, on peut enregistrer dans notre studio. Et si on fait tout ça dans l’entraide, on peut sortir des disques toute notre vie, on peut les faire, les clipper, les enregistrer, on a nos moyens de production.

Robi : Par ailleurs, à travers la communauté à laquelle on participe et ce mouvement-là, il y a aussi une forme de diffusion dans ce partage, au-delà même des moyens de production. Il y a aussi de la diffusion qui passe par l’amitié, l’admiration réciproque d’autres artistes.

Katel : Quand tu veux faire durer, si tu es dépendant de tout le monde pour que ça existe, le moment où tout le monde te dit « Ah ben non, finalement, on va passer à quelqu’un d’autre », tu te retrouves comme un con, tu n’as plus rien.

Robi : Aujourd’hui on est vraiment à l’ère de la mode de la recherche de la nouvelle sensation, en tout cas la presse et la radio sont dans une espèce de tourbillon, « qui est le dernier petit jeune à découvrir ? ». Ce qui dans l’absolu n’est pas un problème – sauf que pendant très longtemps, à juste titre, toutes les aides d’Etat, les aides des organismes de répartition et autres producteurs allaient dans le sens d’aider à l’émergence. Aujourd’hui c’est toujours le cas, ces aides n’existent que dans ce sens-là – et il faut continuer, c’est très bien – sauf qu’une autre problématique est apparue entre-temps : on en est arrivés à des absurdités, plus d’aide à partir du troisième album ou à partir de 40 ans, alors même qu’on est dans une époque où ce sont ces gens-là qu’il faut aider. Entre autres, pas que, il ne s’agit pas d’enlever aux jeunes, on n’est pas dans un âgisme renversé.

Katel : En tout cas il faudrait juste se dire qu’il faut aider l’art à vivre et qu’il n’y a pas forcément ces questions-là dans d’autres domaines, mais en musique, quand tu regardes les tremplins où tu as le droit de t’inscrire si tu as moins de 35 ans, les aides de certains organismes qui s’arrêtent après le troisième album… Il y a une espèce de course à la nouveauté qui ne tient plus compte du fait que certains artistes, et parmi les plus grands de la chanson française, ont réussi à se faire connaître au bout du cinquième album ou à partir de 40 ans.

Robi : Et notre mode de consommation a tellement changé à travers YouTube, à travers le streaming etc qu’on n’achète plus d’albums, on n’est plus dans ce rapport-là à la consommation de la musique, et ça entretient voire accélère ce jeunisme permanent. Enfin un jeunisme d’âge ou un jeunisme de projets.

Vous évoquiez tout à l’heure les « Nuits FRACA », pouvez-vous nous parler de ces soirées dont la première aura lieu le 18 septembre au Motel pour fêter le lancement du label ?

Emilie : L’idée, c’est que FRACA part de nous trois mais que c’est aussi une communauté de gens avec lesquels on travaille – par exemple Dani vient faire un DJ set, je travaille avec elle –, enfin des gens avec qui on a pu collaborer, avec qui Robi a fait des clips, Katel a réalisé des albums, bref, on est nombreux. C’est une façon aussi d’officialiser le lancement du label et de se réunir autour de cette idée de fête, avec plein de petits événements dans la soirée qui vont présenter qui on est. C’est un esprit aussi FRACA, pour moi c’est vraiment une façon de vivre, et il faut que ces soirées illustrent ça. Tout en mélangeant à la fois le professionnel, les amis qui vont venir, faire en sorte de créer quelque chose qui va, j’espère, se poursuivre longtemps. On voudrait faire ça régulièrement, donner des rendez-vous, ça fait vivre un label.

Robi : Et on voit, à travers la façon dont nos amis respectifs ont répondu à l’appel de venir participer à la soirée gracieusement, que c’est une envie qui n’est pas notre envie propre, qui parle et fait écho autour de nous, et qui vient juste donner l’occasion de voir se concrétiser quelque chose que beaucoup d’entre nous portent, je crois. On a beaucoup de chance, dans le sens où c’est une histoire qui n’est pas que notre histoire.

Emilie : C’est le moyen de présenter le label sans faire quelque chose de trop sérieux, qui soit un showcase très précis à telle heure… Là il y a un esprit de fête et de réunion qui fait que c’est plus détendu aussi, et ça permet d’échanger différemment avec les gens qui viennent.

Katel : Avec zéro VIP…

Emilie : Tout le monde est le bienvenu, c’est entrée libre, c’est hyper important.

Katel : Par exemple il y a un cocktail gratuit mais il est gratuit à 20h et quand il n’y en a plus, il n’y en a plus, il n’est pas gratuit dans un coin pour les gens.

Robi : Tout le monde à la même enseigne, nos familles, nos amis, les gens avec qui on travaille, les artistes autour de nous que ce projet enthousiasme, vraiment, on sent que cette démarche fait plaisir autour de nous. À nous de l’assurer après.

Emilie : À nous de la transformer et de la poursuivre le plus longtemps possible.

Photo interview (c) Mélanie Fazi, photo piscine (c) Angèle Osinski

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publié par le 07/09/18