Ça commence avec un « riiide » aspiré, presque chuchoté, dans un instrumental tout en énergie positive et on a envie de dire d’emblée que c’est déjà gagné. Pourtant Dieu sait qu’on a eu peur. D’ailleurs en plein mois d’août, deux jours avant la sortie du disque, on hésitait même à l’acheter, c’est dire. Mais n’anticipons pas trop et refaisons quelques pas en arrière. Les premiers signes avant-coureurs d’un nouvel album de Ride, deux ans après le précédent et quatre ans après la reformation (c’est une affaire qui roule), sont arrivés avant l’été avec un premier single poppy quelque peu inquiétant ("Future love"). Nos premiers doutes installés, on a gentiment patienté jusqu’à ce que le groupe, visiblement joueur, se décide à livrer en dernière minute, la semaine précédant la sortie de l’album, le na-na-nesque "Clouds of Saint Marie". Ride aurait-il sur un coup de tête décidé d’aller chasser en toute impunité sur les terres de Michel Polnareff ? C’est à peu près à ce moment-là que les premières sueurs froides sont apparues. Et je ne vous parle pas de la tête qu’on a du faire à peine le disque acheté (forcément) en découvrant sur le livret que la grande majorité des titres étaient signés Andy Bell. La dernière fois que c’est arrivé, c’était sur Tarantula et ça avait signé l’arrêt de mort du groupe. Gloups-a-daisy. Et puis non. On a mis en route This is not a safe place, on a refait la salle de bains et ça l’a fait. Tout est étonnement rentré dans l’ordre, le stress est retombé et on a suivi en confiance, comme à la grande époque de laisse-les-tous-derrière, la main tendue ouvrant les eaux d’un bras assuré tel Moïse devant la mer rouge, le retour impossible.
twisterellesque
Et c’est là que c’est très-très fort. Andy réussit donc le tour de force d’écrire la plupart des morceaux sans jamais tirer la couverture à lui puisque Mark chante toujours autant et semble parfaitement à l’aise dans cette répartition des rôles. Pour ne rien gâcher, le groupe s’éloigne assez franchement du disque précédent et ce n’est pas pour nous déplaire (même si on aime beaucoup Weather Diaries). Après une intro instrumentale ou presque (les « riiide » aspirés étant crédités à Loz), même le twisterellesque "Future Love" passe finalement très bien. Le vrai démarrage du disque se produit avec les deux morceaux suivants "Repetition" et "Kill switch". Véritable moment fort du disque, ils s’appuient sur une section rythmique à la fois simpliste, ultra-répétitive et totalement adaptée. Malgré un sujet un peu trop moralisateur à notre goût (comment ne pas y voir un message adressé aux fans qui refusent le changement ?), "Repetition" ne ressemble en rien à ce que le groupe a pu faire par le passé et nous conquiert très rapidement de ses gimmicks entêtants. "Kill switch", quant à lui, est une tuerie un peu dark, un peu noisy, totalement addictive (spéciale dédicace aux parents qui ont bien du mal à décrocher leur progéniture de la tout aussi addictive nintendo switch). Quant à "Clouds of Saint Marie", on oublie heureusement très vite Polnareff et on se laisse posséder plus-ou-moins contre notre gré par ce morceau qui signe la fin de la première partie du disque.
warholien
Pour la seconde partie, le groupe change d’optiques (la cinquantaine arrive à grands pas) et Andy sort sa pièce maitresse, une guitare sonic-youthienne désaccordée qui magnifie tout ce qu’elle touche. Elle possède le double-avantage de donner une cohérence à l’ensemble et de rehausser comme par magie les morceaux plus faibles comme "Eternal recurrence" et "Dial up". Elle nous accompagnera jusqu’à la fin. Profitons au passage de cette pause dans notre parcours auditif pour noter que ce disque est aussi l’occasion pour le groupe de revenir à ses études d’art et d’aborder dans ses paroles aussi bien le quart d’heure de gloire warholien ("15 minutes" et ses excellentes guitares indie-sautillantes) que l’œuvre de Jean-Michel Basquiat (le morceau "Repetition" mais aussi les symboles de chaque morceau sur la pochette qui font référence à la codification de langage de rue de JMB et donnant au passage la clé du double titre du disque /// aka This is not a safe place). Mais revenons à nos moutons.
nick-drakien
Le premier morceau phare de cette seconde moitié d’album est l’en-passe-de-devenir-classique "Jump jet" avec son riff de guitare ligne claire et son refrain franglais entêtant « this is la folie outside » (bon d’accord, « this is life on the outside »). D’ailleurs le groupe ne s’y est pas trompé et en a fait son hymne d’ouverture de set pour la tournée en cours. C’est sans doute le morceau avec le plus de potentiel en dehors de la fan-base habituelle, on ne serait pas étonné de le voir suivre un parcours un peu plus commercial avec sa guitare coldplayienne et son refrain stadien. Mais il y a mieux. Là où le disque précédent faiblissait inexorablement sur la fin, celui-ci nous ménage un final de toute beauté. A commencer par le bien nommé "End game" qui manie élégamment l’alternance des plages contemplatives et noisy. Et quelles plages noisy. Vient ensuite le folkeux "Shadows behind the sun" et son titre nick-drakien, morceau qui pourrait être sur un album solo de Mark Gardener sauf qu’avec ses compères de Ride en backing-band plutôt que Goldrush, ça a tout de même plus fière allure. Mark se sera fait rare dans les compositions mais lorsqu’il se décide enfin, on se dit que ça valait décidément le coup d’attendre. Le coup de maitre se produit finalement (comme à la grande époque de Nowhere) sur le dernier morceau, "In this room", et ses presque 9 minutes de plaisir. Le morceau en lui-même est pourtant simplissime à la base mais habillé d’une guitare désaccordée et de petits effets « à l’envers », de guitares imbriquées qui lentement se tournent autour et d’une intro synthé-cradifiée, sans oublier un refrain qui fait mouche, il revient nous hanter longtemps après que ses dernières notes se soient doucement éteintes.
gardenerienne
On le sait, Andy est capable du pire comme du meilleur et à l’image de ce dernier morceau, il a su tirer This is not a safe place vers le haut et amener Ride dans des eaux nouvelles et excitantes. C’est encore de meilleur augure qu’il y a deux ans. Ride confirme avec ce disque qu’il est là pour de bon et ne se contentera pas de faire de la figuration. A tel point qu’on a déjà hâte d’être au prochain disque. Et comme noël approche (on est fin septembre tout de même), on aimerait commander pour le prochain (qu’une folle rumeur semble déjà annoncer) un petit regain d’écriture gardenerienne pour la route.