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publié par octane, Renaud de Foville le 01/12/01
quincannon - Quelques semaines après la mort de Jeffrey Lee Pierce

Formation française, chantant en anglais, signée sur un label suisse et important dans son monde décalé des influences qui fleurent bon les Amériques sécessionnistes, Quincannon est souvent là où on ne l’attend pas. Comme le prouveront les lignes qui suivent. Au coeur du dispositif (qui a d’ailleurs changé depuis cette entrevue), on retrouve Henri-Jean Debon, connu par ailleurs pour ses clips de Noir Désir. C’est souvent lui qui pose les bases de ces titres majoritairement courts, partant dans tous les sens, souvent le bon... Charge à ses acolytes d’achever d’installer ces sons et ces ambiances contrariées qui vont taquiner les Pixies, Daniel Johnston ou Danielson Family. Voici juste un aperçu de cet entretien, puisque celui-ci a finalement dépassé la durée légale du mini-disc pour le grand bonheur des actionnaires de Kronenbourg S.A.

A quand remonte la formation de Quincannon ?

Philippe : Dans les années 80, Henri-Jean et Juliette jouaient dans une formation qui s’appellait Otto’s Fox, avec d’autres personnes que je ne citerai pas ici. Henri-Jean : C’est en 96 qu’on a pour la première fois parlé de fonder le groupe. Quelques semaines après la mort de Jeffrey Lee Pierce [Gun Club]. P : Henri-Jean jouait depuis pas mal de temps avec Claude à la batterie, et il a décidé de nous rappeler, Juliette et moi. On a formé une première mouture du groupe, qui ne portait pas de nom. Ensuite on s’est appelé Thomas Muster. Enfin, on a voulu, mais Thomas Muster n’a jamais autorisé qu’on lui emprunte son nom. Et c’est là qu’on s’est décidé pour celui de Quincannon. H J : On a jamais pu savoir si Thomas Muster avait eu vent de notre demande, mais par contre son agent n’a jamais voulu en entendre parler. P : On s’est donc rencontré comme ça et c’est là que le groupe à commencé à marcher. Enfin, musicalement...

Aviez-vous une idée à la base de ce que vous vouliez faire musicalement ?

H J : Non, on n’en avait aucune idée. Si ce n’est à travers ce qu’on avait fait jusque-là et notre bagage, ce qu’on écoute. On a répété les six premiers mois sur un seul et même morceau, qui a donné son identité au son du groupe.

A l’époque où le groupe Quincanon s’est monté, l’envie d’aboutir à un CD était déjà là ?

H J : Insidieusement, oui. Je n’ai jamais commencé un groupe dans un autre but que d’enregistrer et mettre cette musique sur disque. Même quand on a commencé Otto’s Fox, en amateur, il y avait quand même l’idée de graver quelque chose.

D’où vient le fait que vous annonciez sur les albums le nom du prochain ?

H J : C’est comme pour les James Bond. Je trouve que c’est normal : on sent quand un groupe va encore enregistrer ensemble.

Comment pouvez-vous déjà arrêter le titre ?

H J : Pour le deuxième album, le morceau correspondant au titre était déjà écrit et ça nous paraissait le titre idéal pour partir du bon pied. C’était une phrase entendue à la télé et dite par Alain Finkielkraut. C’est une bonne expression venant de lui, qui, dans le contexte, voulait dire quelque chose. Peut-être moins hors contexte...

En parlant de contexte, vous ne pensez pas qu’en lisant le titre et en regardant la photo de la pochette, on puisse se faire une idée fausse de ce que l’on va entendre ?

Juliette : Oui, on s’est fait traité de rigolos, de farceurs... H J : Ça imprime vraiment quelque chose à l’album, ça lui donne un ton. On ne pensait pas que ça aurait cette force d’évocation là. Cet album n’est pas vraiment différent du premier, qu’on avait comme par hasard décrit comme austère... comme sa pochette. P : En plus, le titre du nouvel album n’est carrément pas drôle. Des gens qui te chient dans la tête... Moi, ça ne me ferait pas rire.

Ça correspond pas mal à la manière ludique avec laquelle vous assemblez vos pochettes, avec plein de commentaires qui font passer des choses diverses et variées.

H J : C’est effectivement plus ludique que foncièrement comique. Moi j’avais peur, en fait, que la pochette n’apparaisse que comme quelque chose de kitsch. Et ça n’a pas loupé, on y a eu droit. Le fait qu’on apparaisse devant le sphinx à Las Vegas, ça évoque pour nous autre chose qu’un truc simplement comique. Claude : Et puis le titre, si tu le prends pour toi, il n’est plus comique du tout.

Il peut même être considéré comme dur.

C : Oui, très dur.

Vos titres sont assez courts, on passe assez rapidement d’un son à un autre, comme si on visitait une exposition. Comment cela se traduit-il quand vous composez ?

H J : Le format court n’est pas un parti pris. Le côté intermèdes et visite ludique est par contre voulu. C’est quelque chose que l’on revendique. La durée des morceaux ne vient pas d’un choix conceptuel. C’est juste que l’on voulait des morceaux plus concis et que la concision correspondait à cette durée-là. Selon les cas, au bout d’une minutes 30 ou deux minutes, une chanson commence à m’ennuyer. Donc, soit on repart sur une idée de la composition qui correspond au premier album, à savoir qu’au milieu du morceau, on ne respecte plus sa structure et on va voir complètement ailleurs. Soit on fait plus court.

Le modèle de concision musicale, ce serait les Pixies par exemple ?

H J : C’est une référence, c’est sûr. Mais aussi le Teenager of the Year de Frank Black. Notre album a d’ailleurs le même nombre de morceaux. Et une pochette aussi vilaine [Rires]. P : Henri-Jean a dit un truc très juste à ce propos. Au début de la variété, entre guillemets, la musique faite par des gens normaux pour des gens normaux, les titres étaient très courts. Voir les premiers disques de Blues ou de variété des années 40. Après sont arrivées les contraintes de calibrage dues à l’industrie du disque et puis ont suivies des réactions dans les années 70 à l’encontre de ces formats. On essaye de faire abstraction de tout ça.

Il y a un peu un retour aux formats longs avec des groupes comme Sigur Ros ou Godspeed You Black Emperor !

H J : C’est vraiment par vague. Et par rapport à ces cycles, les 2m30 correspondent mieux à un format Pop. Mais, sur cet album là, les durées sont assez inégales. Ça marque plus les gens qu’aucune chanson ne dépasse les trois minutes, qu’il y en ait qui fassent 30 secondes, 1m15 ou 2m30... Pour nous, c’est aussi différent, c’est une histoire d’échelle. Comme, dans la manière de composer, on essaye de ne pas trop civiliser les morceaux, il y a une durée qui s’impose, d’elle-même.

Si c’est vraiment un processus naturel, c’est bizarre qu’aucun titre n’atteigne spontanément les 4-5 minutes.

J : Si, il y en a un : 1987.

Faudrait que j’écoute l’album donc [Rires]...

H J : Oui, c’est vrai, tu serais moins emmerdé [Rires]. Ce morceau est un peu différent des autres, comme par hasard. Plus à la manière dont il est pensé, comme de la "matière" qui se déplace, que pour la durée. Dans l’idée, je voulais partir sur cette base-là pour un troisième album, mais finalement on est déjà ailleurs. Soit tu restes dans l’idée d’une chanson jusqu’au bout, soit tu es dans l’optique de "matière musicale" avec laquelle tu joues, comme GYBE !.

Le fait de titiller souvent l’auditeur, c’est également pour lui retirer un peu de confort ?

H J : Pas pour faire grandir la frustration en tout cas. Mais, par exemple, la plupart des morceaux commence directement par du chant. Tu n’as pas d’intro, de boucles qui te fassent entrer dans le morceaux. J : Mais ce n’est pas un choix, ce n’est pas volontaire. En fait, on ne réfléchit pas au fait de bousculer ou non l’auditeur.

Pas lors de la composition, mais peut-être au moment de finaliser l’album, de choisir l’ordre des morceaux... L’auditeur rentre alors en ligne de compte.

J : Pour cet album, on a fait beaucoup plus attention au déroulement du disque. H J : On est parti sur une base différente. On voulait que cet album soit plus ouvert sur l’extérieur et plus... J : ...Accessible. H J : Oui, même si parfois ce n’est pas ressenti comme ça. Le premier morceau An Alan Smithee Life, pour moi, il est terminé, je ne le trouve ni frustrant en durée, ni en termes de composition. Quand je l’écoute, je n’ai pas l’impression qu’il dure 1m30 mais qu’il a plutôt une durée standard. Il se trouve que sa durée standard, c’était bien 1m30... On a laissé le morceau s’exprimer. Il y a assez peu de titres sur cet album qui soient frustrants je pense. C : On l’a quand même vachement soigné cet album, on a passé un temps fou à essayer différentes combinaisons. On a même éliminé certains titres qui étaient déjà masterisés pour ménager une continuité agréable.

Et les idées de programmes sur la pochette, qui engage l’auditeur à écouter tels ou tels titres s’il fait beau, ou s’il a envie d’entendre des chansons d’amour...

H J : Ce sont des programmes à faire sur sa platine CD, pour correspondre à l’humeur de l’auditeur. Comme l’album a des ambiances différentes, ça permet un peu de classer les choses. Quand tu as entendu plein de fois les âneries du genre "moi je préfère les morceaux à grosses guitares", "moi, les tires acoustiques", tu as envie de satisfaire les gens en leur proposant un tri. Nous on facilite la tache à ceux qui veulent faire des programmations.

C’est une clé nouvelle pour entrer dans l’album.

H J : Oui, et puis c’est malin commercialement parce que si tu tombes sur un mec un tant soit peu curieux il va essayer les programmations. Ça lui donne 10 fois plus de chances d’écouter l’album [Rires]. Et oui, les Daft Punk peuvent aller se rhabiller, leurs concepts marketing c’est de la rigolade à côté des nôtres [Rires].

Peut-on évoquer vos références musicales ? Avez-vous les mêmes, majoritairement tournées vers les Etats Unis ?

H J : On n’a pas vraiment les mêmes. Certains sont plus attirés par ce qui se fait en Angleterre.

Sur votre site (Quincannon.org), on a un aperçu assez large de ce que vous avez écouté : de Aerosmith à Chet Baker, en passant par Joe Dassin, Can, GYBE ! ou le Wu Tang Clan...

H J : C’est normal, quand tu livres tes influences, de ne pas mettre seulement des trucs nobles. En général, les gens ont autant écouté dans leur vie des trucs nazes que des trucs biens. Tout te marque. De la même manière.

Tu n’as pas forcément l’idée, quand tu présentes les références d’un groupe, de donner des noms aussi décalés en disant que tu as été élevé par tes parents au son de Michel Delpech ou de je ne sais qui.

H J : Si tu parles de tes parents, tu te justifies déjà. Moi j’ai écouté tout seul Duran Duran et je suis sûr qu’il y a des restes. Il n’y a aucune raison qu’il ait plus de traces chez moi des Pixies que de Duran Duran. Les trucs très nazes, c’est logiquement les premiers que tu aies écoutés et c’est ceux qui te marquent le plus.

Ça donne des pistes sur ce que vous pourriez faire par la suite ?

H J : Rien que le fait de mettre ces noms sur un pied d’égalité, renseigne sur notre musique. Mais pas seulement pour la suite, sur tout. C’est une clé pour découvrir le groupe. P : On est vraiment la somme de nos influences et comme on ne fait pas une musique réfléchie, sort ce qui doit sortir, va savoir d’où ça vient... Ca peut venir autant des trucs ambitieux et bons, avec un B majuscule, que des pires trucs de merde. Tu réagis sur une harmonie de manière totalement naturelle. H J : Et puis cette liste n’est pas un constat froid de ce qu’on a écouté. C’est aussi des trucs que l’on respecte encore, ne serait-ce que pour un versant, même minime, d’une oeuvre.

En matière de composition, quelle forme prend l’alchimie entre vous ? Quelqu’un est-il à l’origine des titres ?

J : C’est Henri-Jean qui vient avec les textes et la mélodie jouée à la guitare. On se greffe ensuite dessus. C’est toujours lui qui apporte les bases.

Est-ce que ça relève ensuite d’un processus démocratique ? Quand on voit la liste de références, chacun y a-t-il mis ce qu’il voulait ? Est-ce que les influences de chacun arrivent à transparaître dans votre musique ?

H J : Pas dans les même proportions. On fonctionne avec un système politique assez bâtard qui ne porte pas de nom. Certains voudraient que ça soit plus une démocratie, d’autres plus une dictature. C’est toujours très particulier de réunir cinq personnes pour faire un groupe. P : En se voyant tous les jours, ou presque. H J : Peu de choses, que ça soit la littérature ou la peinture, se font avec autant de gens. Le fonctionnement en groupe relève plus de l’anomalie.

Toi qui fait des clips, si on regarde le milieu du cinéma, il n’est pas démocratique du tout, malgré le nombre de personnes présentes sur chaque projet.

H J : Ah oui, moi j’ai un mal fou avec ce qui se rapproche de près ou de loin à la démocratie comme système de travail. C : En fait, on travaille un peu comme dans le cinéma, on a tous des rôles différents et chacun essaye de se trouver une petite place. Mais il faut une personne qui décide au début, et à la fin aussi d’ailleurs. On n’est pas un groupe égalitaire. Tous les groupes sont d’ailleurs plus ou moins comme ça. Quand plusieurs personnes essayent de prendre un rôle prédominant dans un groupe, celui-ci splitte assez rapidement. H J : Ou alors ça se passe de manière vraiment naturelle. Je ne suis pas sûr que ça soit viable très longtemps.

Quand en plus le succès arrive, les personnalités s’affirment.

H J : Chez nous, ce n’est pas le succès qui risque de nous séparer ! [Rires].

Le cinéma est partout chez vous. Quand on regarde le clip de Toupet (A voir ici), on a par exemple envie d’y déceler toutes les influences...

H J : Malheureusement. La vidéo de Toupet n’a pas du tout été faite dans cet esprit-là. C’est tout l’inverse. Il y a mêmes des images dont je ne sais plus d’où elles proviennent. On n’avait pas assez d’argent pour tourner ces images là, mais sinon, ça s’est fait comme un clip normal. Il a surtout pris forme au montage puisqu’on a utilisé des images d’ailleurs. Mais on voulait qu’elles racontent une histoire. Des gens peuvent d’ailleurs croire qu’on a tourné certaines des images. P : Les références du cinéma à l’intérieur de la musique, elles sont évidentes. Ce qui m’énerve ce sont les gens qui considèrent la musique comme l’illustration sonore d’un clip. Ils vont dire que certains morceaux leurs font penser à des ambiances à la Lynch, et ça, ça mérite des baignes dans la gueule. Franchement, je le dis comme je le pense ! [rires... jaunes]. La musique ce n’est pas du cinéma. Les langages sont différents. H J : En parlant de notre musique, pas mal de gens ont cité Lynch et on s’est rendu compte que c’était un palliatif au mot "ambiance". Et puis globalement, ce n’est pas une référence pour nous.

D’un autre côté, on ne peut pas reprocher aux gens d’avoir des images mentales, en écoutant un disque. Ce n’est pas forcément dévalorisant pour la musique.

H J : Des images non, mais quand tu plaques des noms ou des termes plus précis sur une musique, c’est étrange. C’est comme si on se rendait compte que la musique pouvait créer des ambiances ou planter des décors. C’est triste, ça montre une certaine pauvreté sensitive des gens. Moi, je ne vois pas dans ceux que j’aime, de groupes qui n’aient pas ce côté visuel. Tout est visuel. Mais c’est vrai que tu te rapproches encore plus de ça quand tu t’éloignes du format couplet-refrain. Les gens ont l’esprit et l’imagination plus ouverte. J’ai l’impression que ça joue. Le truc marrant c’est que l’univers cinématographique que peut évoquer la musique de Quincannon n’est pas ce qu’on préfère dans le cinéma. C’est cette distorsion qui est drôle. Je pense que sans avoir rien conceptualisé, on a créé au fur à mesure des lois pour l’univers de Quincannon qui ne correspondent pas à celle du cinéma que l’on préfère. Je sais que la musique que l’on compose est tournée vers le spectaculaire ou le grandiloquent. Ce sont des termes qui ne correspondent pas aux attentes que j’ai vis à vis du cinéma. On essaye de développer un univers hollywoodien sur les morceaux, de par les instrumentations, et ce ne sont pas mes références pour le cinéma. C : Au cinéma, on préfère le sobre. P : Il y a un artiste allemand dans les années 60/70 qui faisait des expériences en mettant des gens dans des salles entièrement peintes en bleu ou en rouge et qui leur demandait d’exprimer leurs sentiments. C’est plus ce genre de sensations brutes que peut évoquer la musique. Je pense que c’est pour se protéger contre ce genre de sensations brutes que les gens intercalent une couche d’image. En fait, la musique n’est pas faite pour créer des images mentales, mais pour parler à un niveau autre de la conscience ou de l’inconscient. Pour toucher à des émotions. Quand tu jouis, tu ne vas pas dire que ça te rappelle des films de Lynch. H J : C’est vrai que le lien cinématographique nous concernant n’a rien à voir avec celui entretenu par des groupes comme Goldfrapp. Eux font clairement référence aux B.O.

Et puis il y a le nom Quincannon, en lui-même...

H J : C’est un sergent récurant dans la trilogie de la cavalerie de John Ford. Son humeur exprime des sentiments assez divers. Il est à la fois bougon et dissimulateur, mais il a un bon fond. Il veut cacher le plus possible sa camaraderie, sa générosité. J : C’est tout nous ! H J : La distorsion que j’évoquais entre nos goûts cinématographiques, on la retrouve aussi ailleurs. Pour nous, ce qu’on fait c’est de la Pop, du Rock populaire, tourné vers l’autre. C’est pour cela que nos chiffres de ventes nous dégouttent.

Mais vous profitez encore d’une grande liberté...

H J : On n’a pas signé chez Noise Product pour avoir plus de liberté. Ils ont seulement été les premiers à répondre favorablement à notre musique. Si on avait pu aller chez Sony, on y serait allé. H J : Nos morceaux sont plus pensés pour toucher 1 million de gens que 150. Ce ne serait pas le fait de vendre plein d’albums mais la situation dans laquelle on est actuellement, qui nous paraît anormale.

C’est parce que vous êtes dans une logique artistique. Si vous deviez entrer dans une logique de maison de disques, avec des enjeux marketing et commerciaux, vous ne diriez peut-être pas ça...

J : On attend que ça ! H J : A nos yeux, il n’y a que les durées de nos titres qui ne soient pas formatés. Les Pixies n’étaient pas spécialement formatés non plus, pourtant ils vendaient. Pour ce disque, on a vraiment assumé le fait d’avoir des compositions très Pop. On aime ça. Attention, on ne se leurre pas sur le qualitatif, on sait très bien que les Pixies ont fait bien mieux. Mais on est outré de vendre si peu, par rapport à l’envie et aux efforts que l’on fournit.

Et vous mettez ces méventes sur le compte de quoi ?

H J : Godard, il y a six ou sept ans, avait été invité aux Césars pour un prix d’honneur, puisque tout le monde pensait qu’il allait y passer dans l’année. Elkabbach lui demandait comment cela se faisait que ses films ne soient pas plus vus. Godard avait répondu que c’était parce que ses films étaient mal distribués. Nous, on a à peu près la même marge. On ne pense pas pouvoir passer du jour au lendemain sur toutes les antennes, vus les formats qui triomphent sur les radios ou les télés. Mais on sait quand même que, si on était mieux distribués, on pourrait passer du simple au centuple. Ce qui ne serait toujours pas spectaculaire [Rires]. Il y a un vrai sentiment d’injustice. J : Et de refus surtout, au niveau de la distribution. On ne ressent aucune envie du côté de Tripsichord. H J : On est face à un distributeur qui calcule les ventes au jour le jour, de manière pragmatique, sans vouloir donner d’impulsion à la base. Ils ont le même rapport à la musique que Sony, en moins bien. Sony doit être plus respectueux des artistes que Tripsichord. Il n’y a pas de règle, mais il faut bien se rendre compte que les artistes ne sont pas forcément mieux traités chez les Majors que chez les Indés. A travers mes clips pour Noir Désir, j’ai eu des exemples d’investissement humain plus fort chez des grosses maisons de disques que chez des petites. C : Et puis le distributeur, c’est une structure un peu spéciale, ce n’est pas avec eux que tu signes. Le distributeur récupère un disque qu’il n’aime pas forcément. Non seulement le nôtre n’est pas professionnel, mais en plus il n’aime pas ce qu’on fait. P : Je suis sûr qu’il n’a même pas écouté le disque en question. Un vrai professionnel devrait même vendre ce qu’il n’aime pas. H J : On leur reproche surtout de ne pas faire leur travail, de ne pas être dans des critères commerciaux basiques. P : C’est quand même dingue que nos deux albums ne soient pas dans les FNAC. On a dû les mettre en rayon nous-mêmes. A la FNAC, certains nous ont d’ailleurs dit qu’ils ne voulaient plus bosser avec Tripsichord. C : J’ai entendu plusieurs disquaires leur remettre une palme.

Donc vous êtres disposés à enregistrer des compositions d’Obispo chez Sony.

H J : On est super d’accord.

Quand on a rencontré Mendelson, Pascal Bouaziz nous avait dit qu’il faisait de la musique pour être une rock star. Visiblement ce n’était pas que de l’humour.

H J : C’est plus du second degré, venant de Mendelson.

On en revient au livret, je n’ai pas eu l’explication du texte en français ?

H J : Ça vient de Péguy, Heidegger et moi [Rires].

"C’est de nous qu’il dépend d’assurer aux paroles une perpétuité éternelle...". C’est votre but en enregistrant ?

H J : Ça parle de nymphes, ça n’a rien à voir a priori avec le statut d’artiste. Mais, même les derniers mots (... une perpétuité charnelle, une perpétuité nourrie de viande, de graisse et de sang.") correspondent à ce que l’on fait. Ce texte vient de l’idée de négation (correspondante au "Non" de la fin de Quincannon). Ça se prolonge dans la dénégation. Le montage de ce texte c’était pour relier des écrits qui ne sont pas rock’n’roll à cette musique-là. Créer un rayon qui lie des univers lointains. Au début, ça part du fait de dire non, tout ce qui est négatif dans ce texte est assumé. Tout ce que nous ne ferons plus est assumé.

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publié par le 01/12/01