nous n’avions pas pu les rencontrer pour leur premier album, mon cerveau dans ma bouche. les deux toulousains de programme ne sont pas des forcenés de la promotion, ils se font donc plus que rares en interview. mais ils sont quand même venus 24 heures sur paris pour répondre aux questions de quelques « journaleux branchouilles et parigots » (à se demander quelle est la pire insulte dans le lot). après les avoir vu au nouveau casino pour un concert intense et fulgurant, et écoutant en boucle depuis plusieurs semaines leur second album, l’enfer tiède, il nous fallait absolument coincer programme. comme d’habitude sur notre vieux cargo !, nous vous proposons l’intégralité de l’interview que nous avons réalisé dans les « bureaux » de cargo, un vieux gainsbourg en fond sonore, en ce mercredi 27 mars. le groupe sera en tournée en france et fera quelques festivals cet été. faites comme nous, ne les ratez surtout pas...
le cargo ! : je commence toujours mes interviews de la même manière. donc... chez moi, votre album est rangé entre prince et public ennemy...
damien : prince ?!!
le cargo ! : prince...programme...public ennemy.
damien : ha, oui !
le cargo ! : evidemment ce n’est pas une question d’affinité. mais cela vous fait quoi d’être encadré par prince et public ennemy.
arnaud : moi, j’ai écouté les deux. damien : moi, je n’en ai écouté aucun. arnaud : pour moi, prince c’est fin 80, début 90.
le cargo ! : voilà donc où se trouve votre album.
arnaud & damien : rires...
le cargo ! : en lisant la revue de presse que lithium nous a donné je me demandais quelles réactions avez-vous eu en lisant les articles qui essayaient d’analyser programme et étaient dithyrambiques à votre propos.
arnaud : nous, ce qui nous a... pas choqués, mais...pas inquiétés, ce n’est pas le mot... disons plutôt questionnés, c’est qu’il n’y ait pas d’articles différents par la forme ou l’écriture. oui, ils étaient dithyrambiques, mais cela restait sur le disque. ils n’ont jamais essayé d’expliquer ce qu’était le disque par rapport à d’autres choses, à d’autres formes d’expression. on a l’impression que c’est un disque qui permet de dériver sur beaucoup de choses pourtant...
le cargo ! : dans ce que j’ai pu lire on sent que les critiques ne se remettent jamais en cause.
damien : nous on a eu l’impression de mettre autre chose dans ce disque. on prend le prétexte du disque pour faire autre chose. c’est vrai que l’on n’a jamais eu un journaleux qui prenait le prétexte de l’article pour faire autre chose. pour le premier album on avait envie de tomber dans la mise en scène pour provoquer autre chose (leur plan : faire venir l’interviewer à toulouse. une voiture le cueille à l’aéroport. destination inconnue. arrivée dans un hangar désaffecté. quatre chaises installées au centre. deux pour les artistes. une pour l’intrus. et la dernière, à ce qui se dit, pour une grand-mère posée là comme ça. dernier détail : projeté au mur, une pub provenant du plus important annonceur du magazine que représente le journaliste. in technikart - février 2000). mais on aurait aussi eu des journalistes qui auraient trouvé une matière à photographier. en se disant, eux ils font ça... super. arnaud : si ça continue et que l’on a plus de moyens je crois qu’on le fera. c’est une idée que l’on avait ancrée dès le départ et que l’on n’a pas pu mettre en route car c’était trop compliqué. mais je crois qu’il y a quelque chose à faire, sinon tu ne sers pas la presse... en fait, il faut faire plus pour sortir un journaliste de son contexte.
le cargo ! : mais est ce qu’il n’y pas danger à faire ou être ce que l’on attend d’un groupe comme programme. de l’image que l’on s’en fait. j’ai entendu par exemple à propos du concert du nouveau casino qu’avec programme ça allait bouger et que le groupe allait cracher à la gueule de ce public branchouille... est-ce que vous pensez à ça ?
arnaud : non !
le cargo ! : jamais ?
arnaud : non parce que je ne vois pas comment on peut ne pas y tomber et en plus cela ferait rentrer des tierces personnes... même plus que des tierces personnes. parce qu’il y l’image que l’on renvoie au public. c’est vrai que nous sommes obligés de réfléchir sur l’image. tous les métiers de com. ne servent qu’à ça. a réfléchir sur quelque chose qui n’existe pas en fait. nous on essaye de s’en préoccuper dans les cas où on vraiment obligés. quand on fait des visuels ou des choses comme cela. après je préfère me dire que c’est secondaire et qu’à la limite chacun n’a qu’à se positionner par rapport à ça, à chacun de comprendre. ou alors il faudrait que l’on ait un plan hyper précis et les moyens de le faire. comme un mec qui est super connu et qui impose ses règles, c’est ça ou rien ! ou alors, l’autre solution, c’est de ne rien faire, aucune promotion.
le cargo ! : quand vous avez enregistré l’enfer tiède avez-vous pensé à mon cerveau dans ma bouche ?
damien : en fait il y a eu des stades, il y a eu des étapes. celle d’éviter de refaire le premier, l’étape de rester très proche de mon cerveau dans ma bouche...
le cargo ! : dans une interview vous disiez que ce qui était difficile ce n’est pas de faire une chose mais de continuer. qu’avec le deuxième album il fallait faire mieux, ou, au moins, pas moins bien.
arnaud : oui...
le cargo ! : et maintenant, le deuxième est là...
damien : déjà, avant que le premier ne sorte, on commençait à réfléchir sur le second. et on s’était aperçu que cela allait être dur...
le cargo ! : c’est dur alors ?
damien : ha oui, oui... ca a été dur. déjà quand on voit que deux ans après il n’y a que 35 minutes de musique... nous on avait envie de resserrer les gonds, de sortir un pur jus... oui, ça a été vachement dur ! arnaud : en fait on avait déjà des griefs contre le premier album. sur la prise à partie de l’auditeur, quasi systématique... peut être pas systématique, mais souvent quand même, ce qui n’est plus du tout sur le second ? je crois aussi que pour le son, le coté démonstratif, très sample, où l’on arrive encore à différencier les sources... on était beaucoup dans le sampling, dans le son saturé... donc ça plus le texte, cela faisait parfois trop. on comprend les reproches sur le coté un peu intello, arrogant que l’on pouvait trouver ... un peu dans le texte et aussi dans le son !
le cargo ! : est-ce que vous pensez que l’enfer tiède est plus accessible. je ne sais pas si c’est le terme exact, mais je trouve cet album plus mélodique, jouant plus sur l’émotion. je me suis aussi aperçu que cela changeait mon approche de mon cerveau dans ma bouche.
arnaud : ca te fait quoi, quand tu réécoutes le premier ?
le cargo ! : j’en avais un souvenir plus violent qu’en le réécoutant.
damien : je pense que c’est aussi le temps qui fait ça. quand tu écoutes plusieurs fois un disque, tu perds l’effet. comme quand tu lis plusieurs fois un livre ou que tu vois plusieurs fois un film, tu perds un peu l’effet coup de poing du départ. arnaud : j’ai pas trop comparé, j’ai pas vraiment réécouté le premier depuis. je n’ai pas essayé de voir ce que cela faisait, même les deux à la suite. damien : ce qui est sûr c’est qu’il n’y aura pas l’effet de surprise qu’il y avait avec le premier album. l’enfer tiède c’est la continuité du même groupe, il n’y aura évidemment pas le même effet. mais pour nous, pour le voir c’est un peu dur parce qu’on a le nez dedans. on connaît tout l’historique de chaque morceau, on sait pour chaque mot comment cela s’est passé... arnaud : au niveau... damien : quand... pardon arnaud : oui, vas y. damien : quand on a achevé les compositions de l’enfer tiède, moi, j’étais sûr que c’était cent fois moins accessible. arnaud : oui, moi aussi. damien : j’étais là, à me dire : « on creuse notre tombe, c’est la fin.. ok, super ! ». avec la radicalité du premier morceau, il y a, c’est un truc... (passage inaudible sur la cassette)... et en même temps les échos, là, nous renvoie un peu l’inverse. arnaud : on est assez étonné. damien : on a des échos qui nous parlent d’autres choses, de sentiments transmis, de choses comme cela. arnaud : mais peut être que le résultat est plus facile dans le sens plus écoutable, mais il me semble que le contenu est moins facile que le premier. le premier on l’a fait plus rapidement, peut être plus instinctivement. on a pris un peu ce qui venait. alors que là, on n’a franchement pas laissé passer grand-chose. c’est aussi pour cela que l’on met les textes dans celui là, parce qu’il y a une vraie cohérence. je ne me sentais pas de mettre les textes pour mon cerveau dans ma bouche. il n’y avait pas un fil entre eux. ou alors il aurait fallu n’en mettre que quelques uns.
le cargo ! : tu parlais d’instinct. quelle est la part d’instinct et de réflexion dans votre travail ?
damien : on est quand même assez sanguin de manière générale. on est sanguin par rapport aux choix, c’est-à-dire que l’on peut mettre des choses en maturation pendant longtemps, prendre du temps, du temps et du temps... mais être très sanguins sur ça, ça vire. tac ! ca part à la poubelle et il n’y a pas de retour. ou alors ça, ça reste et on se bloque et on fait un morceau avec celui là ! il y a les deux choses. arnaud : l’envie première est souvent brutale. après cela se complexifie et c’est vrai qu’il y a des morceaux qui peuvent paraître complexes, musique complexe, chanson complexe, mais même celle là c’est toujours des... leur point de départ est plutôt brutal en fait. moi je vais dire : le texte dit ça. damien me dira la musique est comme ça. ca sera binaire et brutal. après on retravaille en prenant une certaine... une certaine idée de ce qui est opportun et de ce qui ne l’est pas, pour la forme. et si on n’a pas l’impression de se mettre en danger, ou de créer quelque chose qui est nouveau... relativement, quoi, en fait nouveau par rapport à nous, par rapport à ce que l’on a fait... on ne va pas y aller. ou alors on va y aller quelque temps et après ça va gicler.
le cargo ! : quelle est la place de l’auditeur ou du spectateur chez programme ?
damien : on essaie de ne pas trop s’en préoccuper pendant la composition. on essaie de juste faire le morceau. après c’est... c’est dur quand même de se mettre à la place des gens. on essaie parfois de se mettre en tant qu’auditeur... on y arrive pas bien sûr, mais bon, on se dit : on efface tout et on écoute. point. on essaie de faire ça. pour avoir une petite idée. essayer de voir dans quel panneau ça peut tomber. arnaud : mais c’est vrai qu’on y pense pas trop en fait. a la limite quand le truc est fini, que l’on commence à faire une play-list, on peut essayer de voir quelle interprétation va avoir le mec qui écoute, par rapport à la construction du disque. damien : si on fait écouter les maquettes à nos proches, à des amis cela va vraiment être très tard. a la fin, quand on est sûr qu’il n’y a plus rien à faire dessus, ou très peu. arnaud : il y a eu une période ou l’on pédalait dans la semoule, là on l’a fait écouter un peu plus tôt. d’ailleurs on n’a pas eu des supers retours. cela nous a un petit peu remis en question.
le cargo ! : vous travaillez juste à deux, cela doit être dur d’avoir du recul !
damien : ha, ouai ! c’est incroyablement dur... parce qu’on est obligé de tomber dans des profondeurs insensées pendant que l’on travaille. de se préoccuper du micro détail, parce qu’il faut que ! et alors après il faut remonter juste pour savoir si le morceau est bien. point. ca, c’est un truc... et surtout quand on le fait écouter et qu’on nous dit juste oui, réponse : oui... là... (rires)... c’est un peu court !
le cargo ! : par rapport aux textes. c’est arnaud qui les écrit, mais leur force vous implique tous les deux. est-ce qu’il y a des engueulades... car ce que dit programme vient de loin, mais engage deux personnes différentes...
arnaud : ce n’est pas trop vis-à-vis des textes à la limite. damien reçoit bien les textes en général, sauf quand ils sont en état de végétation et que bon... que même moi je les trouve pas encore terribles... damien : un texte ce n’est pas un truc qui tombe du ciel, ce sont des trucs dont on discute pendant des nuits entières au téléphone. on sait qu’il faut parler de ça ! maintenant quand arnaud amène son texte, je pense bien qu’il apporte le meilleur de ce qu’il sait faire. je ne suis absolument pas surpris du sujet. souvent quand on parle du texte cela sera ou sur la mise en forme, on pourra parler du style des formules... (là le téléphone sonne, il y aussi des inconvénients à faire l’interview chez soi...), mais c’est aussi parce que c’est intéressant.
le cargo ! : quel rapport avez-vous à la religion et plus généralement à la culture judéo-chrétienne, que nous avons tous en nous. j’ai pensé à cela avec la phrase « si on ne nous avait pas fait souffrir on ne connaîtrait pas la souffrance, si on ne nous avait pas menti on ne connaîtrait pas le mensonge ». cela m’a fait penser au péché originel. plusieurs fois dans l’album on pense à la culpabilité, à la faute...
arnaud : la religion c’est ...pfffff.... il y a la religion judéo-chrétienne avec tout ce que tu dis. mais ce système là est répercuté sur pleins d’autres choses qui sont liés directement à ce que tu dis. après on peut aussi croire que ce sont des conséquences de notre civilisation... mais la culpabilité et tout ce qui tourne autour ne me semble pas appartenir ou que très peu à la religion. cela dépasse ça. le coté européen, dans la culture européenne c’est très présent, c’est présent dans tout ce que l’on fait, même si tu ne le veux pas. mais ce que tu peux retrouver dans nos paroles est-ce que c’est vraiment quelque chose qui vient d’une religion judéo-chrétienne... ? la souffrance on la retrouve beaucoup dans le bouddhisme, c’est un truc de base dans la religion en général.
le cargo ! : un silence... je recherche mes questions... arnaud et damien rient en se regardant...
arnaud : l’humanité carnassière... damien : on parlait de la souffrance... c’est un peu le problème de base ! arnaud : c’est clair !
le cargo ! : la souffrance revient beaucoup, mais on pense aussi beaucoup à la violence. vous dénoncez, donc vous avez conscience... est-ce que cela permet de mieux combattre ?
arnaud : non ! pour moi, non ! pour nous, déjà, l’important c’est d’écrire, de dire les choses. après, on reste dans un domaine, la représentation artistique, qui peut permettre de renvoyer un reflet de la réalité soit émouvant, soit différent, soit froid... donc pour moi, à part le fait que cela me donne une dynamique, je ne sais pas si cela résout quoi que ce soit...
le cargo ! : et, sans résoudre, est ce que cela aide à avancer ?
arnaud : oui, sûrement. en partie. mais après te dire en quoi. disons que ce que l’on dit on est déjà obligé de l’assumer et donc tu es quand même obligé d’accepter ce que tu es, ce qui ressort sur le disque. tu te dis, c’est moi qui fais ça, alors cela doit créer un processus... j’sais pas ... de responsabilisation !
le cargo ! : par rapport à la violence on peut facilement avoir une image caricaturale de programme. d’attendre de la violence sur scène par exemple... parce qu’on se demande, en écoutant vos albums, quelle est l’étape suivante ?
damien : casser du matériel sur scène...
le cargo ! : pas forcément, enfin je ne sais pas. tout a été déjà fait. daniel darc se mutilait sur scène... en fait on se demande quel est votre rapport à la violence et ce qui peut vous retenir sur scène et dans la vie.
arnaud : la barrière, simplement la barrière. sur scène c’est plus facile parce qu’on se dit que l’on n’est pas là pour ça. dans la vie, je ne sais pas pour toi, mais on ne se retient pas tout le temps. mais le rapport que l’on a à la musique et au texte vient de là aussi. c’est pour cela que l’on demande autre chose à la musique, autre chose au texte. on a cette envie d’être à la limite de l’intervention physique. on préfère le faire avec des mots et des sons.
le cargo ! : cela influence votre attitude sur scène ?
damien : pas trop, car on arrive à trouver des biais différents. déjà le fait d’être à deux, de travailler nos lumières d’une façon bien précise pour créer quelque chose. en fait, je pense que la scène et ce que l’on arrive à y faire suffit pour ne pas passer à l’acte avec des choses plus grossières. physiquement on pourrait être plus théâtral, en cassant quelque chose... je crois que l’on arrive, enfin on essaie d’être cohérent avec l’univers dans lequel on est. si on ne faisait pas ça, si on était dans un truc décalé je pense que la violence physique arriverait assez vite. là on est... ce n’est pas un cocon, mais presque. on arrive à créer une ambiance, sur scène qui nous suffit et qui nous permet de ne pas aller au-delà de nos limites. arnaud : alors qu’à la fin avec diabologum ce n’était plus ça. plus d’une fois j’avais envie de tout péter ou de prendre le micro et de le mettre dans la gueule du spectateur devant moi. là, avec programme, j’ai l’impression que ce n’est plus comme ça, la haine n’est plus la même...
le cargo ! : c’est aussi pour cela que je me dis que l’album est plus abordable...
damien : sinon on est juste dans le rapport contre... c’est vrai qu’on est contre, on est bête et méchant. on est vraiment contre, mais c’est pas dur d’être contre, il n’y pas de construction à faire là-dessus. donc on va se poser des questions... comment arriver à faire passer le truc que dans le fond on veut faire passer. dépasser ce « juste être contre », pour tenter des choses différentes et essayer d’atteindre des choses enfouies sans tomber dans le... dans quelque chose qui dépasserait le cadre de programme. arnaud : mais on est bien conscient du fait qu’on sait faire peur, on sait faire mal, ou faire bien, et le démontrer... cela ne rentre pas dans le cadre de programme. ce n’est pas la base, alors on va pas le redire ou le refaire et se retrouver sur scène à se dire : « tient là j’ai pas penser à casser ma gratte... » ce n’est vraiment pas du tout le propos. donc on essaye d’en donner assez pour qu’il n’y ait pas à en rajouter. damien : un super concert où il y a tout qui pète à la fin c’est génial, mais un mauvais concert où tout pète à la fin c’est pitoyable... donc on sait que ce n’est pas ça qui fait le bon ou le mauvais concert et nous, on essaie juste de faire un bon concert... de mettre notre univers en scène. apparemment on a vu des têtes en concert de mecs qui étaient dans un univers, je ne sais pas si c’était le nôtre mais ils y étaient. ca à l’air de fonctionner un petit peu.
le cargo ! : en parlant de concert vous ne trouvez pas désespérant de voir que vous êtes pratiquement les seuls à essayer de faire des choses différentes sur scène... alors qu’en vous voyant on se dit que cela parait simple de faire tellement mieux que la moyenne.
arnaud : ce n’est pas simple à faire.
le cargo ! : oui, mais les autres n’essaient même pas ou n’en donnent pas l’impression.
damien : ca les autres n’essaient pas. arnaud : juste pour finir... je sais que ce n’était pas pour rabaisser, mais si on n’avait pas rencontré certaines personnes pour nous aider sur ce plan là, on n’aurait pas pu faire ce que l’on a en tête. pour nous il y eu les circonstances qui font que... damien : etre un peu en marge, être un peu décalé par rapport à un gros consensus cela veut dire une vente de chaque instant, une argumentation de tout ce que l’on fait. c’est vraiment quelque chose d’assez impensable. arnaud : cela s’est bien passé parce que cela ne s’impose pas. cela ne s’impose pas de trouver un moyen original d’être sur scène, cela ne fait pas plus vendre... à priori. damien : c’est comme un bonus... arnaud : mais tout ça ne restera pas figé. il y a pleins de trucs que l’on veut essayer. du style... j’sais pas... commencer le morceau à la voix dans le public, un truc simple à faire...
le cargo ! : godspeed you black emperor ! était à paris dernièrement. pendant leur concert, vers la fin, les deux batteurs sont dans la salle...
arnaud : mais faut du courage pour faire ça et se dire qu’on en à rien foutre de ce que les gens vont penser... parce que beaucoup ne le font pas en ayant peur de la réaction du public.
le cargo ! : ils ont peur de ne pas assurer la réaction au maximum...
arnaud : pour nous cette mise en danger est indispensable. damien : mais pour répondre à la seconde partie de ta question je pense que l’on ne va pas s’endormir là dedans, tous les concerts ne vont pas être pareils. déjà pour des raisons bassement techniques, les salles sont vachement différentes. donc on est obligés de s’adapter, et puis de deux on a une autocensure qui est assez sévère et dès que l’on s’endort dans quelque chose on a toujours envie d’essayer autre chose. arnaud : c’est un peu comme l’idée d’interview avec les journalistes que l’on voudrait mettre ne place. cela reste compliqué à mettre en place. damien : au nouveau casino il y avait quasiment la moitié du matériel. il faut le temps de se mettre en place. il faut aussi que toute la chaîne ait envie de travailler dans ce sens là, pour que nous ne nous retrouvions pas dans une situation de combat. imposer une musique difficile, avec en plus une prestation difficile dans une ambiance difficile, on arrive à quelque chose d’hallucinant... il faut le temps et la volonté pour tout monter.
le cargo ! : dans demain, dont on a beaucoup parlé...
arnaud : (rires) ha oui, ça ! elle a été citée partout...
le cargo ! : déjà c’est le premier morceau. damien disait qu’avec le deuxième album on a moins la surprise, on peut aussi le dire entre le premier morceau et les suivants.
damien : oui, c’est vrai...
le cargo ! : arnaud disait aussi que c’était le morceau le plus radical...
arnaud : dans le texte, oui, c’est vrai !
le cargo ! : quand tu dis dans ce morceau que tu fais du style parce que tu y es obligé... y es tu vraiment obligé ? et, sans aucune contrainte, programme cela donnerait quoi ?
arnaud : des contraintes de quel ordre ?
le cargo ! : contrainte n’est peut être pas dans la chanson, mais tu dis « je fais du style... »
arnaud : déjà si tu fais pas du style... juste en parlant du texte... il faut déjà l’organiser pour qu’une autre personne, quand il va le lire ou l’écouter, puisse y trouver un intérêt... un intérêt formel. dons c’est artificiel parce qu’on va y travailler la forme. si ça tu ne le fais pas avec le texte, tu vas te dire : « bon, c’est bien tout ça, mais... »
le cargo ! : on peut aussi l’entendre dans le sens : si je ne fais pas un morceau qui ressemble à un morceau dans le sens le plus classique du terme, cela ne passera nulle part... lithium ne le sortira peut être pas... et on ne touchera personne...
damien : on a sorti un disque... génération finale.... pour une installation de la biennale de lyon, sans aucune contrainte artistique...
le cargo ! : je ne l’ai pas entendu mais henri jean debon m’en a parlé... c’est celui avec une seule note constante, ou quelque chose de ce genre....
damien : oui, c’est ça.
le cargo ! : henri jean m’a dit qu’il y entendait, au bout d’un moment des variations là où il n’y en a pas...
damien : oui, c’est ça... cela marche beaucoup sur l’illusion que tu peux avoir... mettons...quand tu es dans une pièce très close et que tu éteins la lumière d’un coup. tu y verras des formes, là où il n’y en a pas. ce qui est bien avec ce morceau, qui doit faire un peu moins d’une demi-heure, c’est qu’à la fin avec cette boucle, même nous on entend des chemins harmoniques, des mélodies qui n’existent absolument pas. bon c’est vrai que l’on triche un peu car on a fait des microévolutions par rapport au volume... les mots sont ultra cutés, enfin il n’y a pas de mots... ce sont des bribes vocales. on prend un mot ou une portion de phrase et le mix est très cassé... le mix est très cassé, le son est à droite vraiment pas fort, la voix à gauche super fort. c’est donc inécoutable au casque. si on fait l’effort de mettre le casque et d’écouter, il se passe des trucs ! forcément ! mais il faut vraiment avoir envie d’écouter le morceau, tu peux très bien écouter juste une minute. dès le premier mot tu peux te dire, j’écouterai jamais ça. y a pas de problème. mais si tu fais le pas c’est vrai que cela peut t’amener ailleurs, c’est en tout cas ce que l’on a essayé de faire. quand on l’a joué il y avait une installation, des objets, des lumières... effectivement les quelques jours où on y était il y avait des mecs qui poussaient la porte... ok, salut... ca va aller.... !!! mais il y en avait aussi qui attendait la fin, et comme c’était une boucle qui ne finissait jamais...
le cargo ! : vous avez un autre rendez vous à 18 heures... c’est ça ! je ne vous ai pas parlé de politique... ?
arnaud : non.
le cargo ! : evidemment avec votre nom les inrocks ou libé vont faire leurs jeux de mots habituels...
damien : surtout en cette période d’élection....
le cargo ! : voilà... evidemment, moi aussi je me suis dit programme... vous avez beaucoup de concurrence... très drôle. marrant de se dire que chevènement ou bayrou sortent aussi leur programme, comme vous deux. c’est vrai, j’y ai pensé au début...
damien : ha non... non !
le cargo ! : par contre je me suis demandé si programme pouvait être considéré comme un acte politique ?
damien : avec un grand p, forcément, mais un très grand alors. la politique avec un petit p, absolument pas. mais si tu ouvres le mot politique à fond, il y a forcément... à mon avis, dès qu’il y a un regard sur les choses qui concerne la communauté tu peux certainement interpréter cela comme un acte politique. arnaud : etant donné que les textes, surtout sur l’enfer tiède sont assez centrés sur des chemins d’ensemble où tout le monde peut plus ou moins se retrouver, c’est donc... comment dire... on fait en sorte que la parole ait une certaine force, un certain pouvoir. cela donne tout de suite des aspects... mais ce n’est pas une illusion, l’aspect politique, il y est. mais après comment réussir à le séparer du reste de la réalité, j’allais dire... damien : tu vois on peut dire que la politique marche en deux temps. il y a un bilan et ensuite une proposition d’avenir, peut être... nous pour l’instant on serait plutôt au bilan. là, ce sont deux disques, deux bilans.
le cargo ! : et à quand un disque de propositions ?
damien : il va falloir attendre, je crois. peut être un jour !
le cargo ! : juste pour finir. quand on a appris le titre du second album... l’enfer tiède cela ne sonnait pas très « programme » par rapport à l’image de mon cerveau dans ma bouche. on s’est dit que vous vous étiez calmé.
arnaud : l’enfer, c’est quand même assez fort comme image. pour nous la formule elle est vraiment ultra juste. par rapport à ce que l’on voulait exprimer, ce que l’on ressent c’est exactement ça. on a essayé de trouver d’autres titres, plus violents. c’était plus brutal, mais cela n’avait pas cette justesse, pour le sens !
le cargo ! : il y a un coté poétique aussi...
arnaud : mon cerveau dans ma bouche aussi il y a un coté poétique... mais c’est vrai que c’est plus sanglant, plus brutal... tu vois les dents et le cerveau dedans. avec celui là il y a un coté un peu plus gris... damien : mais tiède c’est un mot qui nous concerne, vu qu’on lutte contre et que l’on a l’impression d’y être, à la fois dans le tiède et dans l’enfer...