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publié par Mélanie Fazi le 19/05/12
Playing Carver - Dynamo, Pantin - 18/05/2012
Dynamo, Pantin

Ainsi s’achève cette semaine où notre route aura croisé celle du projet « Playing Carver ». Il nous sera difficile, pour parler du concert, d’adopter le point de vue du public découvrant les morceaux pour la toute première fois : nous en avions entendu une grande partie lors des répétitions de la veille, que le groupe nous avait autorisé à filmer. Mais il y a, le soir de la première, une tension particulière. On sait déjà en théorie en quoi consiste le spectacle : reste à le découvrir en conditions réelles, avec les jeux de lumière, les réactions du public, et le sentiment grisant d’assister à une création éphémère.

Collectif

Plus qu’un groupe, il s’agit d’un collectif brassant un grand nombre d’énergies créatives. Différents parcours, différents styles musicaux, différentes origines même (française, anglaise, américaine, sicilienne ou encore hongroise) : sept musiciens réunis par l’envie de créer quelque chose d’unique, en l’occurrence un spectacle d’un peu plus d’une heure autour de l’œuvre de l’écrivain Raymond Carver. Se côtoient sur scène John Parish, producteur et musicien qu’on ne présente plus, Marta Collica souvent vue sur scène à ses côtés, les quatre membres du groupe Atlas Crocodile (Boris Boublil, Csaba Palotaï, Marion Grandjean et Jeff Hallam) ainsi que Gaspard LaNuit. Tous les sept se livrent à un jeu de chaises musicales, échangeant régulièrement leurs places, leurs instruments, se succédant au chant, interprétant des morceaux écrits par les uns et les autres. De ce fait, les morceaux se suivent sans se ressembler, ce qui permet de maintenir une tension constante sans le moindre temps mort. Ce qui aurait pu être chaotique ou approximatif, de la part d’un groupe n’ayant eu qu’une semaine pour répéter ensemble, paraît au contraire fluide et maîtrisé. Pas de hiérarchie au sein du collectif, c’est un projet commun auquel chacun apporte sa part et sa griffe.

Brassage

Il est étrange d’assister à un concert dont on connaît si peu le répertoire, sans la possibilité de réécouter les morceaux en sortant. Excepté les deux que nous avons eu la chance de filmer, et que nous avons reconnus avec plaisir lors du concert. Le magnifique instrumental « Blue Beard » tout en balancements jazzy, écrit par Csaba Palotaï, et « They were at a party » plus brut et nerveux, composé et chanté par John Parish. Sans repères plus précis, il nous en reste surtout des impressions. La puissance des guitares saturées et des chœurs sur certains morceaux. La voix de Jeff Hallam lisant un texte de Carver en anglais et répétant ces mots qui résonnent d’un écho funeste : « It’s her. It’s Susan. It’s her. » Un splendide morceau aux allures de musique de foire qui tranche avec les précédents sans pour autant casser le rythme de l’ensemble. Le brassage des langues, qui frappe surtout lorsqu’on écoute Gaspard LaNuit, livre en main, lire Carver en traduction française, ou John Parish reprendre en italien les chœurs de « La fine dei segreti » écrit par Marta Collica. La manière qu’a chacun d’occuper la scène, et les interactions qui se nouent parfois à l’insu des musiciens, comme Boris et Marta, respectivement penchés sur leur piano et clavier, qui adoptent le même balancement rythmique sur l’un des morceaux. Ou l’amusante juxtaposition, au centre de la scène, de John et Jeff jouant guitare et basse, l’un droit et serein, l’autre survolté et bondissant régulièrement sur place. Quelque chose se dessine sous nos yeux. Une complicité, mais pas seulement. Une manière de se compléter, de se répondre. Chaque chose à sa place, et le résultat est très beau.

Partage

On se souvient aussi d’une splendide montée en puissance sur le tout dernier morceau, une composition de Boris Boublil qui s’imposait comme un final parfait : intense et brut, avec un refrain obsédant que tous reprennent en chœur et qui vous reste longtemps dans la tête. Après des saluts façon troupe de théâtre, le public enthousiaste réclame un rappel : le groupe revient sur scène et annonce, puisque tous les morceaux prévus ont été joués, qu’il fallait choisir d’en rejouer un. Ce sera « They were at a party », un choix judicieux qui permet de prolonger un peu l’énergie de ce final grandiose.

Un manque, c’est l’impression qui prédomine en quittant la salle – tout s’est fini si tôt. Et la frustration de ne pas savoir si le projet connaîtra une suite au-delà des deux dates prévues. La matière du spectacle est riche et belle, elle comporte d’excellents morceaux qu’il serait dommage de perdre. On espère de tout cœur les recroiser, sinon sur un album consacré au projet, du moins sur les enregistrements des uns et des autres. Mais on repart heureux, aussi : d’avoir pensé, parce que le projet était intrigant et rassemblait des gens qu’on apprécie beaucoup, qu’il vaudrait la peine qu’on s’y intéresse de près le moment venu. Parce que le groupe a généreusement accepté, à travers une interview et une session, de le partager un peu avec nous. Et parce que la puissance du résultat nous a cent fois donné raison.

 

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publié par le 19/05/12