Guirlandes
S’il ne doit rester qu’une image de ce concert, pour ce qu’elle a d’insolite, ce sera celle de PJ Harvey en robe victorienne noire à manches bouffantes, armée d’une guitare électrique, interprétant une version particulièrement énergique de “Man-Size”. Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’impact visuel du spectacle. Ce piano décoré de bibelots et de guirlandes électriques au milieu du décor du Grand Rex avec ses balcons et son ciel étoilé. La façon dont la lumière, quasi onirique, joue sur la tenue et les cheveux bouclés de Polly Harvey. La splendide robe noire aux manches brodées d’argent, ornée d’éclats de miroirs scintillants et d’une rangée de boutons courant le long du dos (tout comme la robe blanche de White Chalk, elle est l’œuvre d’Annie Mochnacz, sœur de la photographe Maria Mochnacz à qui l’on doit presque tous les clips et pochettes d’album depuis Dry).
Relief
Malgré cette mise en scène théâtrale, on retient de cette soirée le sentiment d’une incroyable sincérité. Comme si, ne pouvant se réfugier derrière la protection d’un groupe, PJ Harvey opérait un retour aux sources et puisait en elle-même une force et une confiance nouvelles. On pressentait que ce concert solo serait unique. On n’imaginait pas pour autant le degré d’intensité atteint. Dès le morceau d’ouverture, “To bring you my love”, il se passe quelque chose de fort : on est frappé par l’énergie qu’elle insuffle à cette chanson et par la façon dont la voix, du fait de la formule solo, se retrouve mise en avant. Tout au long de la soirée, on se surprend à écouter différemment des chansons qu’on croyait connaître par cœur. Une tension immédiate se crée, la voix comme la musique occupent mieux l’espace. On focalise du coup sur des détails qui gagnent un relief intéressant : la façon par exemple dont elle recule du micro pour chanter la fin de “Man-Size” a cappella, laissant ainsi les mots s’envoler.
Comptine
Le set est curieusement plus rock qu’on ne s’y attendait : “Rid of Me”, “Snake” ou “Shame” sont habités d’une énergie splendide. Le répertoire puise dans tous les albums et fait la part belle à Is This Desire avec un magnifique enchaînement d’“Angelene” et “My Beautiful Leah”. Certains morceaux surprennent par des arrangements totalement inédits, quand le chant lui-même n’est pas transformé (sur “Down by the water” notamment). Les titres de White Chalk interprétés au piano ne représentent qu’une petite partie du concert, mais “Silence” et “The Mountain” recréent les mêmes frissons qu’à l’écoute de l’album. “Nina in Ecstasy”, comptine fragile et poignante à l’instrumentation minimale, fait monter les larmes aux yeux. “The Desperate Kingdom of Love”, toute en retenue, véhicule une émotion rare, renforcée par le climat intimiste et l’incroyable impression de proximité.
Causette
C’est peut-être ce qui sidère le plus, la force des morceaux mise à part : l’absence de groupe soulignant le côté hors norme du spectacle, on se croirait par moments dans un salon où PJ Harvey se produirait devant une poignée de spectateurs. On la regarde se balader sur scène d’un instrument à l’autre, faire la causette au public avec une désinvolture peu coutumière chez elle. Elle commente ses faits et gestes avec un humour à la limite de l’autodérision, explique qu’elle a testé les fauteuils du Grand Rex et les a trouvés très confortables, appelle un roadie pour qu’il l’aide à remettre en place une barrette récalcitrante. « Je n’ai pas de miroir sous la main », s’excuse-t-elle avant de se rappeler plus tard qu’elle en porte des éclats sur sa robe. Un lien très fort se tisse rapidement avec le public, touché par la sincérité du chant comme par la simplicité des commentaires. Et par le charisme impressionnant qu’elle déploie sitôt qu’elle s’empare de sa guitare ou s’assied au piano.
Mouvement
Au moment du rappel, mouvement général des premiers rangs : le public fasciné se lève et s’avance vers la scène. Lors des cinq morceaux suivants, le concert se rapproche d’une configuration plus classique. On sent certains fans, tout contre la scène, avides de retrouver les sensations des concerts précédents, d’autant plus que le premier morceau du rappel est l’incontournable “Rid of Me”. On le regrette presque : un peu de la magie s’est perdue, même si le spectacle reste impressionnant. On revient en terrain familier alors que ce qui précédait ne ressemblait à rien de connu. Le concert est finalement à l’image de White Chalk, cet album dont l’audace et la beauté sidèrent toujours autant après des semaines d’écoute intensive. Le disque éveille parfois le souvenir du magnifique Is this desire de 1998, dont il est pourtant très différent. Quoi d’étonnant alors à ce que ce concert soit le plus intense qu’elle ait offert au public parisien depuis celui de la Cigale cette année-là ? On achève 2007 avec l’impression de l’avoir redécouverte. Une fois de plus. Et ce ne sera pas la dernière.