Un coup de cœur qui vous prend dès la première écoute. Et qui vous suit le matin, la journée, le soir. Des fois, la nuit aussi. Là, c’est signe d’accoutumance forte. Une sorte de pile qui vous recharge à répétition. Une écoute en boucle qui vous enlace sans vous étouffer. Un morceau qui a autant de qualités que de défauts. Des passages qui vous énervent, d’autres qui vous font juste frissonner. L’alternance de tout ça qui vous laisse juste coi. En l’occurrence, sur ce troisième album de Peter Kernel, c’est "High Fever". La promesse d’un titre, la transe exaucée.
Avec un morceau de ce calibre, le service minimum consisterait à ce qu’il ouvre un album dont la suite ne serait qu’un mou complément. C’aurait pu se contenter paresseusement de ce bel effet d’entrée.
Pour le plus grand plaisir universel, rien que ça, Peter Kernel a juste eu l’intelligence de faire le service maximum. Le reste n’est pas mou, mais dur, comme dans leur clip. Ça s’agite, ça s’excite, ça se lève. Certes, ils ne font pas mieux que ce morceau sur un seul des autres. Il n’est pas d’autre plaisir aussi immédiat. Mais ils assemblent du différent, du savoureux qui nous tient sur la longueur. Sur onze autres titres dont l’oreille s’éprend petit à petit, dans un grand ensemble bien ordonné. L’album est équilibré, la progression se fait avec rythmes. Une grande variété d’effets rythmiques. Comme un pouls instable. Comme le nôtre qui s’aligne, le temps d’un album, sur le sien. La promesse d’un autre titre se révèle peu à peu, celui de l’album : Thrill Addict est bien une addiction programmée par des frissons parcimonieusement provoqués. Ce sera sûrement souligné à chaque fois que cet album est évoqué, c’est juste une évidence. Un titre qui sied, comme cette musique qui parfois poisse, parfois caresse, parfois souffle, toujours prend.
La responsabilité n’est pas à rechercher chez un solitaire Peter Kernel. Il est deux derrière son sobriquet. Et unis avec ça. Prêts à se numériser patiemment la tête pour la beauté d’une posture parfaite. C’est, ce sont Aris Bassetti et Barbara Lehnhoff. L’une canadienne, l’autre suisse. Leurs instruments de délits sont aussi simples et basiques que les couleurs primaires. Mais ils en tirent toutes les nuances et les contrastes qu’une petite heure de musique le permet. Une batterie classique se marie à des battements synthétiques ; les morceaux sont traversés d’effets rythmiques improbables, quasi-accidentels. Les cordes sont vibrantes : le son des guitares alterne entre le très clair et le saturé ; la basse est tour à tour rêche ou ronde. Leurs voix s’enchaînent. Elle est parfois hérissante, lui suave. Puis l’inverse, toujours dans un mouvement fusionnel.
L’ouverture “Extasy” restitue bien leur sens du contraste. Les premières secondes s’emballent avant que la musique ne se relâche et nous descende lentement comme pour nous poser au chaud dans cet album. A l’autre extrémité, le dernier titre, “Tears don’t fall in space” est aussi fondant qu’un morceau de Low : tout semble suspendu, presque léthargique, comme pour nous garder un peu plus encore. Entre ces deux crochets, on se prend des claques sonores : l’incroyable “High fever”, déjà évoqué, ou des morceaux à guitares mordantes, plutôt façon Pavement fin de règne, ou encore ce “Leaving for the moon” qui évoque le “Bull in the heather” de “Sonic Youth” pour plein de bonnes raisons. Ou plus loin, le délire presque mystique de “Majestic Faya”, digne de Prince Rama version rock. Ou encore ce “It’s gonna be great”, version poisseuse de la pop solaire de Joy Zipper, ce qui nous ramène à Pavement. Ou le difficile “You’re flawless”, sûrement le plus bruyant et crispant des morceaux, mal nécessaire pour savourer l’échappée de fin, la sortie en douceur.
Cela a déjà été souligné mais le charme fou de ce Thrill addict tient à l’intelligence de sa progression, de son assemblage, à son ambiance d’ensemble qui en fait un tout cohérent, aussi délicat que violent. Une sorte de monographie du couple. C’est aussi la précision chirurgicale de chaque morceau, bien loin du standard couplet/refrain/couplet. Ces morceaux regorgent de trouvailles, sonores et écrites, qui surprennent avec la même intensité après plusieurs écoutes. Et tout est pourtant si simple, si brut.
Notre première incursion dans l’univers de Peter Kernel ne donne pas envie d’aller découvrir ce qu’ils ont fait précédemment. Pas dans l’immédiat. La crainte, un peu timide, d’être déçu par l’avant, ou aussi par l’après. Cet album est une telle bouffée d’air frais en ce début d’année morose qu’il n’est nul besoin d’aller respirer ailleurs. Avec Thrill Addict, ça poisse, ça caresse, ça souffle, ça coupe le cœur et ça le prend, dès la première écoute.