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publié par Fabrice Privé le 06/05/16
Peter Hook & The Light - La Sirène, La Rochelle - 30/04/2016
La Sirène, La Rochelle

Sur le papier, le concept laisse perplexe. Au pire, on peut y voir une entreprise nécrophage ou l’exercice rance d’un cover band à peine plus légitime que les autres. Mais l’idée a eu le temps de cheminer dans les esprits : cela fait maintenant 5 ans que Peter Hook fait vivre, sur scène et sur sa basse, les répertoires emblématiques, s’il en est, de ses deux anciennes formations : d’un côté Joy Division, groupe suicidé avec Ian Curtis dans une cuisine de Manchester il y a 36 ans, de l’autre New Order, groupe à l’existence intermittente mais ressuscité depuis 2011 sans la puissance pourtant motrice de Hooky. Le premier a fait passer une formation accélérée au punk pour qu’il canalise son urgence, épaississe son romantisme urbain sans renier sa syncope élémentaire. Le deuxième a dressé des pans entiers de dance music, a fait pleuvoir les livres sterling sur Manchester avec, entre autres, les royautés de "Blue Monday", a largement perfusé le label Factory et son Hacienda, ce club mythique dans lequel a été incubée, à la fin des 80’s, toute la génération Madchester (Happy Mondays, The Stone Roses, Inspiral Carpets...). Si l’on fait la somme incongrue des deux héritages : on est face à une hydre mythique qui vise aussi bien l’esprit, le cœur, les jambes, les nerfs, les neurones... Bref, perplexe, on a le droit de l’être. Impressionné, on l’est sûrement. Parce que, de surcroît, Peter Hook, pour ne parler que de lui, c’est, musicalement, un son de basse caractéristique et influent qui a opéré la soudure parfaite entre le mélodique et la rythmique, et, visuellement, un colosse à l’imagerie puissante et évocatrice, arc-bouté sur son instrument et jambes écartées.

De manière assez originale, Peter Hook & The Light assurent eux-mêmes leur première partie en livrant un premier set dédié à New Order. Les notes en suspension du magnifique "Elegia" laissent place à une poignée de titres qui ne vont pas réussir à clarifier les impressions. Les restitutions sont excellentes, nerveuses, quand elles touchent aux débuts de New Order, encore largement imprégnés de l’esthétique Joy Division : "Dreams Never End" et "Ceremony" (qui datait d’ailleurs de l’ère Curtis). Les choses se compliquent quand il s’agit d’évoquer la suite et plus particulièrement de suppléer à la voix de Bernard Sumner, celui qui devint chanteur malgré lui quand Joy Division se réinventa en New Order à la mort de Ian Curtis. Il faut dire que les hymnes synthétiques "Shellshock" ou "Thieves Like Us", s’ils font jouer à plein la nostalgie, s’exportent mal en dehors de l’époque dans laquelle ils sont définitivement ancrés : le milieu des années 80. Peut-être fallait-il oser l’irrespect et tenter leur mise à jour. Intermède. Interrogations persistantes.

Comme à l’époque où Ian Curtis avait imposé le titre de Kraftwerk en préambule de leurs prestations, c’est sur les notes mécaniques de "Trans Europe Express" que débute le vrai concert, soit, dans l’ordre inversement chronologique, une relecture des deux albums de Joy Division : le carnivore rampant "Closer" et l’aspic post-punk "Unknown Pleasures" (avec deux petits bonus : "Atmosphere" et "Digital"). Dès lors, les doutes s’estompent : la palette sonore se noircit instantanément, l’instrumentation s’assèche, le ton se durcit et le groupe resserre les rangs laissant un Peter Hook, visiblement très concerné, monter au front. En toute légitimité. Notons que son fils, Jack Bates, est en renfort à la basse pour laisser plus de latitude vocale à son père. Et les impressions du début se confirment : le timbre de voix de Peter Hook, sans égaler l’intensité névrosée de Ian Curtis, est beaucoup plus à l’aise dans ce répertoire, livrant sa propre interprétation habitée et contournant facilement l’écueil de l’imitation. La puissance culte et la pertinence ravivée des morceaux font le reste. Pour illustrer la consistance du répertoire, deux enchaînements qui auront fait bien mal et beaucoup de bien ce soir : "A Means to an End"/"Heart & Soul"/"Twenty Four Hours" pour "Closer", "New Dawn Fades"/"She’s Lost Control"/"Shadowplay" pour "Unknown Pleasures". La soirée est achevée, en même temps que les doutes initiaux, avec la rareté "Something Must Break", l’épileptique (forcément) "Transmission" et "Love Will Tear Us Apart" qui, même hyper fédérateur, s’éloigne de l’hymne de stade qu’il avait finit par devenir avec New Order et se recharge ici un peu de sa dynamique émotionnelle des origines.

Dans la lutte successorale qui agite la nébuleuse New Order, à grands coups d’interviews et de biographies interposées, avec une morgue et une verve mancunienne assez délectable, on sent bien une certaine répartition des rôles se dessiner : Peter Hook n’hésite pas à se frotter régulièrement à la scène (parfois petite) presque trois heures durant, comme ce fut le cas ce soir, puisant avec succès dans une énergie monochrome et primitive. Les reste de New Order, avec son récent album "Music Complete" - au moins pour moitié très réussi - a décidé de faire à nouveau tourner la boule à facettes, allant jusqu’à invoquer des vibrations funky ou italo-disco au sein de sa perfection electro-pop. La vie agitée de ce groupe, dans ses différentes incarnations, a toujours été un peu schizophrène. Devant le match actuel, on n’a pas envie de compter les points. On y gagne peut-être encore sur les deux tableaux.

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publié par le 06/05/16