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publié par Mélanie Fazi le 13/07/07
Persepolis - Marjane Satrapi + Vincent Paronnaud
Marjane Satrapi + Vincent Paronnaud

Sur le papier (si l’on peut dire), le projet d’adaptation de Persepolis était intrigant. Avec son graphisme stylisé et dépouillé, d’une remarquable expressivité, la BD autobiographique de Marjane Satrapi n’était pas de celles qu’on aurait spontanément imaginé voir portées à l’écran. L’idée de ce film n’en était que plus excitante, ne serait-ce que parce qu’elle semblait promettre un résultat hors norme.

Mouvement

La première bonne idée de Marjane Satrapi et de Vincent Parronaud est d’ouvrir leur film par une séquence qui n’apparaît pas dans la BD et qui voit Marjane errer à l’aéroport d’Orly. Comme pour afficher dès le départ leur volonté de ne pas transposer platement les dessins à l’écran. Ce nouveau Persepolis a été réellement pensé comme un film de cinéma. Pour qui garde bien en mémoire les dessins d’origine, le résultat est frappant. On s’étonne, dans les premières minutes, de reconnaître à l’écran la petite Marjane de huit ans et sa famille, de les voir bouger, de les entendre parler surtout. On est le premier surpris de s’y habituer si vite. Le travail sur les voix est remarquable et colle parfaitement aux images, au point qu’on en oublie très vite leur familiarité : on n’entend plus Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve et Danielle Darrieux mais Marjane, sa mère Taji et sa grand-mère. Même la voix de Marjane enfant est d’une remarquable justesse (Dieu sait pourtant qu’il est difficile d’obtenir des voix d’enfants crédibles). L’animation est tout aussi impressionnante : à la fixité des images de la BD répond une quête constante de mouvement et de fluidité. Le film regorge de trouvailles visuelles. Quand le père de Marjane lui explique par exemple comment le shah est arrivé au pouvoir, ses paroles sont illustrées par un spectacle de marionnettes. Au noir et blanc d’origine, les deux auteurs ont préféré un travail sur les nuances de gris qui donne à l’image une belle profondeur.

Regard

Persepolis raconte l’histoire d’un pays, l’Iran, aussi bien que celle d’une famille. On la découvre à travers le regard de Marjane, petite fille à la conscience politique déjà bien ancrée et qui se rêve future prophète, puis adolescente dont le franc-parler lui attire des ennuis, bientôt envoyée en Autriche par ses parents qui espèrent la protéger de la guerre comme du climat de répression qui règne en Iran. Ce qui fait la force et la richesse du film, comme de la BD avant lui, c’est la façon dont la petite et la grande Histoire s’entremêlent constamment. On y parle aussi bien de l’angoisse des bombardements que des combines nécessaires pour se procurer un album d’Iron Maiden à Téhéran. Malgré la gravité du contexte, le ton est souvent cocasse. Persepolis ne sombre jamais la lourdeur d’un film à thèse. Parce qu’il parle de vécu et que chaque détail y sonne juste, parce que Marjane Satrapi revendique la subjectivité de son point de vue, parce qu’elle fait preuve d’un humour et d’une autodérision qui allègent le tout. Les scènes les plus tragiques n’en sont que plus marquantes. Elles vous serrent la gorge et vous frappent à l’estomac.

Questions

C’est là que le film émerveille le plus : dans ce va-et-vient constant entre drame et comédie. Sans être au centre de chaque scène, la guerre et le climat politique restent présents en toile de fond. Même les scènes les plus légères soulèvent des questions graves, l’air de rien. Sur l’intégrisme religieux, l’exil, la culpabilité du survivant, la responsabilité de chacun. Et parce qu’on s’attache à cette famille, parce qu’on découvre l’Iran par les yeux de Marjane, ces choses-là nous deviennent moins abstraites. On pressent qu’on ne les verra plus jamais de la même façon. Persepolis est de ces films qui plantent en vous une petite graine qui ne demande qu’à germer.

Média

Toutes ces qualités étaient déjà présentes dans la BD. On s’étonne même de les retrouver à ce point intactes dans le film, à la séquence près ou peu s’en faut. Pour autant, l’adaptation n’est jamais une simple copie conforme. Le passage d’un média à l’autre a été magnifiquement réfléchi et maîtrisé. On se trouve bel et bien face à un film de cinéma dont l’humour, l’émotion, le côté profondément humain touchent à l’universel. Il vous poursuit bien au-delà de générique de fin. Il donne envie, surtout, de le partager avec tout votre entourage. Il y a des petites merveilles qu’on ne peut vraiment pas garder pour soi.

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publié par le 13/07/07