Ce n’est pas exposition de photos, mais on pourrait le croire. Car le film Cold War semble moins être une succession de scènes qu’une succession de clichés qui prennent vie. Et sur ce tapis d’images ciselées s’élève une bande originale qui, entre chants traditionnels polonais et jazz du Paris des années 50, raconte une histoire d’amour dans le contexte de la Guerre Froide. Réalisé en noir et blanc au format 4:3, ce poème de cinéma a valu au réalisateur polonais Pawel Pawlikowski, oscarisé en 2013 pour Ida, de remporter le prix de la meilleure mise en scène lors de l’édition 2018 du Festival de Cannes.
Zula, une jeune femme interprétée par la prodigieuse Joanna Kulig, est originaire de la Pologne rurale. Lors d’une audition pour rejoindre l’ensemble Mazurek, une troupe de chanteurs de musique traditionnelle, elle rencontre Wiktor (Tomasz Kot), membre du jury. Les personnages, inspirés par les propres parents du réalisateur, mais pourtant fictifs, vont alors se perdre dans un amour intense. Une passion qui débute sur fond de chants polonais, dont « Dwa Serduszka » (« Deux Cœurs »), ci-dessous dans un enregistrement de la troupe Mazowsze, qui a servi de modèle pour l’ensemble Mazurek.
Cold War est en fait un film binaire. A commencer par les deux couleurs sur la palette du réalisateur : le noir et le blanc. Puis, le musicien brun et la chanteuse blonde. Les touches blanches et les touches noires du piano. Varsovie et Paris. Le bloc de l’Ouest contre le bloc soviétique. La dualité de la liberté et de l’emprisonnement. Et quand on y regarde de près, le titre lui-même, Cold War (« Guerre Froide »), est en mode binaire. Il nous rappelle que le nom de cette guerre est un oxymore. Ici, c’est aussi une métaphore pour une relation passionnelle.
Ces oppositions sont peut-être encore le plus visibles dans la musique. Car au début, les chants traditionnels polonais sont d’une morosité magnifique, et d’une fabuleuse simplicité. Le réalisateur s’amuse aussi à montrer la disposition des spectateurs pendant les concerts sous des formes géométriques, tout en lignes droites. Mais, une fois à Paris, le public des cabarets devient désorganisé, et la lascivité du jazz joue en contrepoint de la musique polonaise. Un contraste qui éclate au moment où Joanna Kulig reprend « Dwa Serduszka » dans une version jazz. La chanson a par ailleurs été choisie pour la bande annonce du film.
Que ce soit dans la froide campagne de la Pologne ou dans la chaleureuse ambiance des cabarets parisiens, la musique de Cold War est chargée d’émotion et de sens. Pawel Pawlikowski laisse les images et la musique prendre le contrôle du film. La réalité de l’opposition des deux blocs pendant la Guerre Froide est ressentie plus que comprise. Quant aux dialogues du film, principalement en polonais, ils complètent la partition avec les délicats accents de cette langue slave. Alors oui, Cold War est une histoire d’amour entre Zula Et Wiktor. Mais au fond, cela ressemble bien à une histoire d’amour entre Pawel Pawlikowski et la musique.