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publié par Mélanie Fazi le 22/04/15
Pauline Drand
- Double EP
Double EP

Découvrant les chansons de Pauline Drand il y a deux ans sur les recommandations de l’ami Oliver Peel, il s’en est fallu de peu que nous passions à côté sur un malentendu. Une oreille distraite aurait pu la cataloguer un peu vite parmi les filles à guitare jouant de la folk éthérée comme il y en a tant, et nous aurions tourné la page. Sauf qu’il y avait ce grain de voix qui donnait une couleur particulière aux morceaux, juste assez terrien pour ancrer les chansons au sol. Juste assez marquant pour nous convaincre de leur donner une chance.

Se défaire du bouclier

Les concerts avaient confirmé cette première impression : il y avait une présence dans la voix, dans l’écriture, dans le corps même, qui capturait l’attention, tranquillement, l’air de rien. Peut-être pas une révélation immédiate et fracassante, mais on y revenait. Il était difficile de détourner l’œil comme l’oreille quand Pauline Drand donnait chair à ses élégantes chansons sur scène. Il avait fallu le passage progressif de l’anglais au français pour achever de nous convaincre : les textes comme les mélodies y gagnaient une densité et un supplément d’âme. Peut-être, parfois, se dénude-t-on autrement quand on se défait du bouclier d’une langue étrangère pour réendosser la sienne. On découvrait alors une vraie grâce dans la façon de tisser les mots, d’esquisser les instants, les humeurs et les saisons.

Magnifier sans étouffer

Vient aujourd’hui l’épreuve du feu, celle du passage sur disque avec son lot d’écueils à éviter. Dès la première écoute de ce double EP, le doute n’est plus permis, l’évidence que l’on pressentait imminente se produit enfin. Si l’on retrouve intact le squelette de ces chansons que l’on a d’abord connues dépouillées, les arrangements les habillent avec la subtilité adéquate pour les magnifier sans les étouffer, pour séduire sans s’imposer. Voix et guitare dialoguent en harmonie, à une parfaite distance l’une de l’autre ; quand les cordes et les vents s’invitent pour ajouter d’autres nuances à cette délicate palette, l’écriture gagne en souffle, les ambiances se densifient. Et voilà que le fantôme de Nick Drake, influence assumée, traverse furtivement le superbe « Aux jours de juillet ».

L’âge de ses os

À chacune de ces huit chansons correspond une humeur, une couleur : balancement jazzy nerveux sur « Horses », duo envoûtant avec le chanteur portugais Tiago Saga sur « Animal », mélodie solaire et habillage plus pop sur l’accrocheur « Émilie sait » ; le frisson indéfinissable qui parcourt « Des faons et du vent » évoque brièvement la Suzanne Vega de l’époque Solitude Standing. Mais au cœur de chaque chanson, on retrouve la même mélancolie paisible, la même tonalité intemporelle, cette voix derrière la voix dont la gravité dément l’âge de ses os. « Le noir est bleu pour qui l’entend », chante Pauline Drand sur « Émilie sait », entre autres jolies trouvailles poétiques. On entend ici davantage de bleu que de noir, mais un bleu qui tire sur les nuances de gris, un beau dégradé riche et subtil. Bleu comme les états d’âme que la noirceur n’atteint jamais vraiment. Sa musique est douce comme une brise de printemps, comme un ciel à peine voilé de nuages, un soleil encore pâle mais qui réchauffe déjà. L’air est son élément et le bleu, toujours, sa couleur.

Terre et firmament

Même lorsqu’il parle de regrets, d’occasions manquées et de pluie en été, ce double EP vous laisse de belle et douce humeur. Il sait dire le spleen sans pesanteur, s’envoler sans se perdre dans l’éther. Et toujours, il reste sur le fil, entre terre et firmament, entre une fragilité touchante et une assurance qui s’affirme peu à peu, riche de promesses fécondes. Huit chansons comme un acte de naissance : quelque chose de très beau est en train d’éclore. Comme une fleur au printemps. Un talent encore en bourgeon mais déjà précieux.

NB : Ce double EP en édition limitée est en écoute et en vente sur la page Bandcamp de Pauline Drand.

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publié par le 22/04/15