On aura assez souvent été marqués par le côté religieux de la musique de Patti Smith pour ne pas être séduits par l’idée de la voir se produire dans le cadre imposant de l’église Saint-Eustache. Toute son œuvre, tout son imaginaire, tournent autour d’une certaine notion du sacré, avec ses icônes (Baudelaire ou Rimbaud), ses reliques, ses prières, et une vision particulière de l’art comme religion. C’est sous le signe du recueillement que s’ouvre le concert. Citant le poème de William Blake, “The Tyger”, elle souligne l’« effroyable symétrie » de l’existence en rappelant que ce 4 novembre marque à la fois l’anniversaire de son vieil ami Robert Mapplethorpe et le décès de son époux Fred Smith, auquel elle dédiera logiquement “Frederick” en milieu de concert.
« We shall live again »
On s’attendait, compte tenu du cadre, à un répertoire calme et dépouillé. Ce fut essentiellement le cas, à quelques morceaux près. Le plus beau d’entre tous était certainement “Ghost dance”, magnifié par l’acoustique parfaite du lieu qui amplifiait les deux voix, la sienne et celle de Lenny Kaye. Une troisième musicienne les accompagnait : une jeune fille discrète au piano, sa fille Jesse Paris Smith. Chaque chanson est précédée de quelques mots la replaçant dans son contexte, la reliant parfois à l’une de ses icônes, à l’un de ses proches, voire à des disparus. “Wing”, sublime et aérienne, justement liée à sa fille Jesse. “Cash”, à Frederick – morceau qu’elle devra reprendre trois fois du début sous les rires complices du public avant d’y trouver ses repères. Ou encore “My blakean year” accompagné d’un autre poème de Blake, “The Lamb”, dont elle relie l’histoire au frère disparu du poète. Le répertoire, sans grande surprise, puise essentiellement dans Gone again et Trampin’, les deux albums les plus méditatifs. Dans ce contexte si particulier, ils feront souvent naître en nous un frisson qui a, plus que jamais, quelque chose de religieux.
Discordance
Seule fausse note d’une soirée parfaite, trois morceaux qui s’accordaient mal avec la tonalité générale. Trois des plus connus, voire des plus attendus – trop attendus : “Frederick” déjà cité, “Because the night” et “People have the power”. Après la grâce et la légèreté de ce qui précédait, ils paraissaient presque patauds, trop terre-à-terre. Concession aux attentes du public, sans doute. La foule était enthousiaste, mais l’impression de communion était rompue. Même si “Because the night”, dépouillée de ses arrangements datés, réserve quelques instants de grâce furtifs. On aurait préféré, avouons-le, sacrifier l’un de ces trois morceaux pour entendre plutôt “Easter” qui semblait s’imposer comme une évidence en ces lieux.
Sermon
Tout autant que par la musique et l’incroyable beauté du son, on aura été frappés par le discours précédant chaque chanson. On la connaît pourtant bien, la voix de conteuse sereine de Patti Smith, ponctuant tous ses concerts de petites histoires. Mais il y a quelque chose de très particulier dans l’acoustique d’une église. Quelque chose qui sonne différemment. Elle avait ce soir des allures de prêtresse dans ce décor imposant. Quelque chose d’humble et de très beau à la fois. Par moments, ses paroles sonnaient comme un sermon – pas dans ce qu’il a de solennel, mais dans ce qu’il a de serein. Ce qui peut passer pour un gimmick sur une scène de concert prend un tout autre poids dans une église. Lorsqu’elle conclut le concert en nous appelant à évoquer les disparus, non seulement les siens, mais aussi tous les nôtres, il est difficile de réprimer une bouffée d’émotion sincère. Qui doutait encore que la musique puisse être une forme de religion ?