accueil > articles > cinéma > Once

publié par Mickaël Adamadorassy le 22/03/10
Once - John Carney
John Carney

Un gars, une fille (et beaucoup de musique)

Je ne l’avais pas remarqué ni au premier ni au deuxième visionnage de Once, mais le nom des deux personnes principaux n’est jamais cité pendant le film alors oui Once c’est bien l’histoire d’un gars, "the guy" au générique, joué par Glen Hansard et d’une fille, "the girl", campée par Marketa Irglova. Tous les deux avec leurs problèmes, leurs cassures. Et la musique comme moyen de communiquer, de créer une complicité, une seconde chance là où les mots ou les actes ont échoué. Cet "anonymat" est donc un choix pas du tout anodin mais me voyant mal parler du "gars" et de la "fille" pendant toute la chronique, je vais me permettre de les appeler Glen et Marketa quitte à entretenir la confusion un peu plus sur le côté autobiographique de Once.

Une histoire toute simple

Le réalisateur John Carney l’a voulue ainsi : un script d’une soixantaine de pages, un micro-budget constitué d’une subvention et de ses propres deniers et des acteurs qui n’en sont pas. Glen et Marketa sont avant tout les compositeurs de la musique du film et ils en sont devenus les protagonistes un peu par hasard. Et pourtant c’est en cela que tient toute la force de Once, le film est filmé de manière quasi-documentaire, si la caméra tremble, ce n’est pas un effet de style mais "parce qu’on avait pas les moyens de se payer des trépieds [pour la caméra]" raconte Carney.

Tout tient dans la musique et les personnages. Un peu à l’image de Before Sunrise et de sa suite Before Sunset, deux films, qui rappellent Once jusque dans l’affiche de celui-ci et où l’ "action" se résume finalement à peu de chose, tout se passe dans les dialogues entre les personnages. Et Les silences de complicité. Ou ceux qui au contraire traduisent la distance, avec beaucoup de justesse. Il y a aussi les regards fiévreux, les interprétations échevelées de Glen. Jouées par un autre acteur elles auraient tout de suite quelque chose de faux, de très exagéré. Mais il y a tellement qui passe dans ses yeux et dans les mouvements de son corps, qu’on ne doute pas une seconde de la sincérité du propos.

Broken Hearted Hoover Fixer Sucker Guy

La rencontre entre nos deux héros est à l’opposée du coup de foudre de la comédie romantique, Glen joue de la guitare dans la rue, on le voit le soir à s’égosiller comme un beau diable sur une de ses compositions dans une rue désespérément vide ... à part Marketa, qu’il chambre pour la modestie de ce qu’elle dépose dans son étui à guitare. Et elle le gratifie d’un magnifique "bullshit" quand il répond à côté alors qu’elle essaie de lui tirer les vers du nez sur la fille à qui la chanson est destinée.

Ca aurait pu s’arrêter là sans un deus ex machina sous la forme d’un aspirateur : celui de Marketa est cassé, il répare justement les aspirateurs. D’où la promesse de se revoir le lendemain, consentie du bout des lèvres. Mais Marketa est entêtée, le lendemain elle est là avec son aspirateur qu’elle traine par le tuyau, comme la laisse d’un animal improbable. Un des moments de poésie incongrue du film avec la scène où elle va acheter des piles pour le baladeur et se ballade en chantant dans les rues en chaussons-animaux .

Falling Slowly

Glen finit par céder et avant de s’occuper de l’aspirateur lui propose de manger un coup. "I’m always hungry" lui répond Marketa, ce qu’on peut interpréter comme une allusion discrète à la réalité sociale difficile aussi bien pour elle que pour lui. Et c’est encore quelque chose de beau dans le film, comment le quotidien peut s’effacer complètement devant la musique. Penser à Once c’est penser à une bouffée d’oxygène, de grands espaces, une ballade dans la rue après la pluie. Pourtant la réalité du film se réduit souvent à des espaces presque claustrophobiques.

Mais pour en revenir au gars et à la fille dans leur restaurant, la conversation s’épuise déjà et Glen aborde alors le seul sujet qu’en définitive ils ont en commun, la musique, il apprend qu’elle aussi est musicienne, elle joue du piano mais n’a pas eu les moyens de s’en payer un depuis qu’elle est arrivée en Irlande. Mais le gérant du magasin de musique d’à côté la laisse jouer du piano le midi. Il demande s’il peut venir avec elle pour l’écouter jouer. Finalement c’est lui qui va lui apprendre une de ses chansons et là on tient notre coup de foudre mais il est musical : une compréhension instinctive, deux sensibilités qui se rejoignent et s’entremêlent pour créer quelque chose de beau, à partir d’une trame toute simple, d’une mélodie qui semble couler de source

Autant les premières chansons de Once étaient bien mais sans plus, à la première écoute on entend du songwriting folk qui n’est pas sans rappeler la Tom McRae ou Damien Rice (d’ailleurs cité dans les remerciements), autant Falling Slowly est une chanson qui vous séduit immédiatement, contrairement à ce que son nom pourrait suggérer, et l’avantage de faire la review de ce film si longtemps après c’est de pouvoir vous dire que ce n’est pas un coup de foudre passager, chaque écoute de cette chanson est toujours pour moi un pur bohneur sur disque et encore plus sur scène.

Chassés - Croisés

L’interprétation de Falling Slowly est le moment qui lance définitivement le film, la connexion entre les deux personnages est faite et l’histoire va se jouer maintenant sur deux plans : le personnel et le musical. Bien sûr les deux sont liés et certaines chansons expriment les sentiments des personnages ou l’atmosphère de l’instant comme dans une comédie musicale. Mais il y a bien néanmoins une différence entre la musique et la vie, même si la musique peut occuper presque toute une vie, même si c’est ici le canal, le lien entre deux vies au départ totalement disjointes.

Du point de vue musical, les choses se passent presque sans accrocs, Glen implique Marketa dans sa musique, les morceaux s’accumulent, ils recrutent d’autres musiciens et décident d’enregistre une démo, l’occasion d’écouter encore de très belles chansons comme "when your mind’s made up".

Au niveau personnel, c’est plus compliqué, on a l’impression que ces personnages se sont rencontrés à un moment de leur vie, où rien ne les destinait à nouer une relation, où aucun obstacle ne leur ai épargné, ils ont un passé qui les hantent et sur lequel ils sont loin d’avoir tiré un trait. Le futur ne s’annonce pas franchement mieux avec encore bien des choses qui les éloignent l’un de l’autre.

Pourtant la musique maintient le lien entre eux, le nourrit mais cela rend aussi les choses de plus en plus compliquées.

Et c’est là dessus que je vous laisse, à vous de découvrir la suite en regardant Once, tout ce que je dirais c’est qu’il y a forcément un gagnant dans cette histoire : la musique, puisque que d’une collaboration ponctuelle pour un album, The Swell Season est devenu un groupe qui continue de nous offrir des chansons de toute beauté sur disque et en concert. La musique a gagné sa propre vie après le film mais le contraire est vrai aussi. La vérité, l’humanité qui transparait dans chaque scène de Once peut vous toucher même si la musique nous vous plait pas plus que ça.

P.-S.

Cet article fait partie d’un dossier spécial consacré à The Swell Season.

Partager :

publié par le 22/03/10