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publié par Mélanie Fazi le 18/07/13
Nadine Shah
- Love your dum and mad
Love your dum and mad

Il avait suffi de quelques écoutes des deux premiers EPs de Nadine Shah pour susciter chez nous une curiosité immédiate vis-à-vis de son album annoncé pour cet été. On avait reconnu d’emblée des signes qui ne trompent pas. L’immédiateté des mélodies, la finesse des textes, un sens inné de la narration et par-dessus tout une belle voix grave de diva jazz capable de vous saisir par les tripes pour malmener vos émotions. Une personnalité, un univers et déjà une poignée de chansons marquantes, autant dire qu’on tenait là une artiste à suivre de très près. Sans compter qu’il est difficile d’ignorer une chanteuse capable de vous donner physiquement la chair de poule en reprenant « Cry me a river », standard galvaudé s’il en est.

Démons de la routine

Là où chacune des six chansons composant les premiers EPs était un coup de poing, Love your dum and mad se révèle moins immédiat, mais plus habile à se glisser sous votre peau pour vous piéger à votre insu. Pour nous qui avions déjà reçu de plein fouet celles qui figurent sur les deux formats, difficile d’imaginer ce que sera la surprise de l’auditeur novice. On l’envierait presque d’avoir encore à découvrir « Dreary town » au rythme de valse triste, perle absolue de cet album, concentré d’émotion brute où perce une mélancolie poignante. D’autres morceaux se découvrent plus lentement, tel « Runaway » superbe de rage contenue et de froide détermination, défi lancé à la face d’un mari infidèle par son épouse délaissée.

L’album se présente en partie comme une série de portraits. Un homme tombé dans les griffes d’une séductrice qui le met à genoux, mais c’est finalement elle qui s’y brûlera les ailes (« Aching bones »). Un autre contaminé par les mœurs corrompues d’une ville où personne ne reste innocent très longtemps (« Filthy game »). Autant de personnages détruits par d’autres, par eux-mêmes ou simplement par la routine, rêvant de leur jeunesse perdue (« To be a young man ») ou affrontant les moins avouables de leurs démons – et qui trouvent parfois la rage d’en découdre contre toute attente. Nadine Shah les incarne tour à tour de sa belle voix versatile en donnant chair à toute leur gamme d’émotions. On ne s’étonnera pas de voir le dossier de presse citer des références littéraires, d’Italo Calvino à Philip Larkin, tant les textes ont la précision des poèmes et la capacité à suggérer beaucoup en peu de mots (« Let not a single tear/Roll down a wrinkled cheek/For sorrow of a love/That wasn’t mine to keep » – « The Devil »).

Porte ouverte et main tendue

Cette violence contenue transparaît surtout dans la première partie de l’album, structuré selon un glissement d’une tonalité vers son contraire. Tout commence dans la noirceur, le malaise, les guitares menaçantes et les ambiances orageuses quasi gothiques, au sens Nick Cave/Tom Waits du terme (la presse britannique a beaucoup comparé l’univers théâtral de Nadine Shah à celui des Bad Seeds). À mi-chemin, on bascule dans quelque chose de plus insaisissable à base de nappes électroniques et de leitmotivs planants, avec un bonheur parfois moins égal – si « Floating » et « Used it all » sont superbes, la structure plus flottante de « All I want » semble casser l’élan. On termine dans une relative douceur alors que le clavier reprend ses droits en tissant des motifs envoûtants, soulignés de cuivres chaleureux sur le magnifique « Filthy game » où la beauté de la mélodie contredit la cruauté du texte. Et sur la toute fin, une respiration, une lueur : le dernier titre « Winter reigns » est une évocation toute en nostalgie douce du pub où furent écrits la plupart de ces chansons, et où chacun peut trouver écoute et acceptation.

Outre l’équilibre maîtrisé entre finesse mélodique et puissance vocale qui fait la force de l’album, on soulignera le beau travail de production de Ben Hillier, notamment connu pour ses collaborations avec Blur ou Depeche Mode. Le son est dense et clair à la fois, riche de détails minutieux, tout est soigneusement dosé sans tomber dans l’excès qui rendrait ces chansons trop carrées et en apprivoiserait le mordant. Vous l’aurez compris, Nadine Shah s’est vite imposée comme l’une des plus belles découvertes de cette année. On ne sait pas encore à quel genre de carrière est promis Love your dum and mad, mais on pressent déjà qu’elle a l’étoffe d’un futur grand nom. Finalement, s’il faut vous en convaincre, une seule écoute du splendide « Dreary town » vous en apprendra beaucoup plus que toutes les chroniques du monde.

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publié par le 18/07/13