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publié par Mélanie Fazi le 06/06/08
My Brightest Diamond
- A thousand shark's teeth
A thousand shark's teeth

Langage

À l’écoute de A thousand shark’s teeth, comme à la découverte de son prédécesseur Bring me the workhorse, on est frappé par la singularité du langage musical de Shara Worden. Ex-fan de Whitney Houston, nourrie de musique classique et d’opéra, elle affiche un parcours atypique dans le domaine pop/rock. Si elle cherche et défriche constamment, elle ne paraît pas toujours consciente du décalage qui fait son charme - on se la rappelle expliquant en interview qu’elle a composé ses premières chansons en croyant faire du Mariah Carey, avant de comprendre que le résultat n’avait rien à voir. C’est peut-être justement parce qu’elle a été nourrie de musiques différentes, selon nos critères parfois conformistes, qu’elle parvient à créer quelque chose d’aussi unique. Avant d’être ensorcelant, A thousand shark’s teeth est un album surprenant.

Shara et les sortilèges

À en croire la présentation officielle, les deux albums de My Brightest Diamond ont été conçus en parallèle : d’un côté, A thousand shark’s teeth accompagné par un ensemble à cordes, de l’autre Bring me the workhorse décrit comme un disque de rock plus conventionnel. Ce dont on s’étonne à la première écoute de ce nouvel album qui bouscule finalement moins nos repères que le précédent - peut-être parce qu’on cerne déjà en partie l’univers de Shara Worden, ou parce qu’on a découvert certaines chansons lors d’un concert inoubliable au Point FMR. Des images se plaquent sur ces titres familiers : Shara perchée dans un arbre pour chanter “Apples” au milieu des bourgeons en session Cargo, ou mimant sur scène une théière en forme de boxeur pour interpréter “Black and Costaud” inspiré par L’enfant et les sortilèges de Ravel.

Fulgurances

On entre dans cet album en terrain familier : le magnifique “Inside a boy” semble faire écho à “Something of an end” qui ouvrait l’album précédent. En plus apaisé, peut-être. Puis on s’aventure dans l’inconnu. Si la splendeur de cette musique frappe immédiatement, on devine qu’il faudra prendre le temps de l’apprivoiser. Ce n’est pas que ce disque laisse insensible aux premières écoutes : on sent qu’il y a là quelque chose qui va nous remuer en profondeur, mais qu’il faudra d’abord chercher. Il faudra s’imprégner de ces chansons, en tracer les contours, démêler les motifs et les mélodies. C’est peut-être ce qui fait leur beauté. On guette ces fulgurances, on sait qu’elles surviendront. En attendant, on se laisse séduire par les titres les plus accrocheurs : “Inside a boy” à la mélodie plus évidente, un “Apples” enjoué où le chant et la rythmique empruntent des chemins contraires, “Diamond” auquel le groupe doit son nom (« You are the brightest diamond/Hidden in my pocket »).

Funambule

On s’étonne une fois encore du paradoxe qu’incarne Shara Worden, cette minuscule bonne femme au double visage : lutin farceur à la joie de vivre si contagieuse sur scène mais qui crée sur disque une musique grave et intense. A thousand shark’s teeth est empreint d’une tristesse moins brute que son prédécesseur, peut-être adoucie par les cordes. Moins violente, aussi : on ne trouvera pas ici l’équivalent d’un “Freak out” ou “Bring me the workhorse” angoissants. Ce disque-ci est aérien, à l’image de la pochette où Shara, funambule et magicienne, joue de l’accordéon perchée sur une échelle devant un paysage immense. On se laisse porter par sa voix, par la beauté des arrangements : on flotte. On explore cet album comme un paysage onirique. Même les titres (“To Pluto’s Moon”, “Ice and The Storm”) sont un poème qui invite au voyage. Certaines chansons se glissent en vous comme une humeur : il faut un moment pour en déchiffrer la structure. Mais on sait que l’émotion, quand elle surviendra, sera belle et pure. Certaines chansons paraissent en équilibre instable. Quand ce n’est pas dû à la construction du morceau, c’est la voix qui semble improviser la mélodie. Une impression de cohérence extrême domine pourtant : de toute évidence, Shara sait où elle nous mène. Alors on la suit. On la regarde avancer sur un fil, gracieuse et légère, sans jamais basculer.

Solfège

Le chant se risque parfois à de curieuses arabesques, dont l’exemple le plus frappant reste “Apples” : on y entend Shara monter dans les aigus telle une diva (« So we baked them with sugar... ») puis conclure la phrase d’une voix de petite fille espiègle dans un même souffle (« ... and we ate them »). Le chant qui anime ce disque est aérien, versatile, parfois théâtral (notamment sur l’envoûtant « Black and costaud », l’un des sommets de l’album). Joliment maîtrisé, surtout. Très loin de la logique punk consistant à apprendre sur le tas, on se trouve face à une artiste qui a intégré le solfège et les bases avant de s’en défaire - ou de réapprendre autrement. D’où cette impression d’un album ne ressemblant à rien de connu.

Eaux mouvantes

Des « mille dents de requin » promises par le titre, on ne trouvera de trace que dans les paroles : cet album se révèle finalement moins violent que son jumeau dont il évoque un reflet déformé par des eaux mouvantes. Bring me the workhorse était étrange et beau. Ce disque-ci est moins rugueux, moins poignant, plus léger - mais tout aussi maîtrisé. Et peut-être encore plus séduisant. Lyrique et intimiste à la fois, davantage marqué par la formation classique de Shara - qui tisse à base de harpes, de vibraphones et de marimbas des atmosphères d’une grâce incomparable. Un superbe livre d’images où, derrière la petite fée rieuse du Point FMR, on redécouvre une grande dame au pouvoir de suggestion immense.

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publié par le 06/06/08
Derniers commentaires
Simon - le 11/06/08 à 18:20
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superbe review !
bien obsérvé