accueil > articles > interviews > muse

publié par Renaud de Foville le 12/01/00
muse - un phénomène sans précédent

la dernière fois que nous avons interviewé muse, l’album n’était pas encore sorti, et la gloire que tout le monde leur promettait n’était encore qu’hypothétique. depuis, comme vous le savez, tout est allé très vite et, surtout en france, on a assisté à un phénomène sans précédent pour un groupe anglais qui venait de sortir un premier disque : les concerts gratuits (fnac ou mcm café) ont donné lieu à des émeutes, les billets de la cigale ou du bataclan se sont arrachés en quelques jours et se vendaient parfois à plus de trois cent francs au marché noir, plusieurs sites internets (cf. les liens sur le cargo) et des fanzines français ont vu le jour. tout le monde veut voir la nouvelle petite merveille anglaise. il était donc temps de faire le point avec le groupe, d’en savoir un peu plus sur la façon dont ils ont digéré tout ça et sur ce que l’avenir nous réserve. nous sommes partis à rouen (cf. sur le cargo la chronique du concert), le 8 janvier, où le groupe nous a accueilli dans son bus, quelques heures avant le concert dans un exo 7 plein a craquer (presque 1000 personnes, quand supergrass rameutait environ 600 personnes un mois plus tôt).

le cargo ! : la dernière fois que nous vous avons rencontré vous étiez à la route du rock et vous étiez sur le point d’exploser en angleterre, comme en france. beaucoup de choses se sont passées depuis, et pas exactement ce à quoi nous nous attendions...

matthew : pas exactement ce à quoi nous nous attendions ? ? !

le cargo ! : non, pas ce que nous pensions, ni en france, ni en angleterre.

dominic : ce qui s’est passé en france nous a plus surpris parce que nous avions peu joué là-bas, nous avons ensuite sorti l’album - la france est le pays ou l’album est sorti le plus tôt - et là d’un coup c’est devenu fou...

matthew : oui, c’est une vraie surprise...

dominic : tout s’est toujours passé plus lentement en angleterre : il nous a fallu cinq ans pour obtenir un contrat, six ans maintenant. c’est toujours plus lent, plus progressif, il y a une sorte de transition. en france, ça a juste fait " bang " et ça y est, c’est parti...

le cargo ! : vous avez pratiquement causé des émeutes à paris. on nous a dit que des filles étaient arrivées à 10 heures du matin pour assister au show case de la fnac le concert du mcm café aussi a été incroyable. comment réagissez-vous à tout ça en tant que groupe et en tant qu’êtres humains ?

chris : c’est bizarre, c’est vraiment étrange car comme l’a dit dom on a pas joué tant que ça. on s’est juste assis dans le bus qui était devant le mcm café et c’était la folie : il y avait des tas de gens se battant pour entrer dans le mcm café et on se demandait vraiment ce qui était en train de se passer. on se demandait si c’était une blague. c’est complètement irréel par moments.

dominic : c’est vrai. c’était vraiment surréaliste. on en s’attendait pas du tout à ça. voir 500 personnes attendant encore dehors espérant pouvoir rentrer dans la salle, c’est vraiment incroyable. c’est bizarre parce que c’est vraiment dur pour un groupe de rock anglais de bien marcher en france, en tout cas c’est ce qu’on m’a dit, donc c’est une grosse surprise, vraiment une énorme surprise.

le cargo ! : est ce que c’est juste bizarre ou est ce parfois un peu effrayant ?

matthew : ça peut être inconfortable par moments, quand tu veux être au calme, tranquille et te relaxer et même reclus seul au chaud dans le bus. parfois j’apprécie et parfois ça fait peur, quand des gens te parlent de trois angles à la fois, on te pose trois questions à la fois, tu réponds à l’une d’elles et les autres ne sont pas contents. ça peut être spécial, oui...

le cargo ! : nous avons remarqué qu’une partie de votre public à paris ne vient au concert que parce que vous êtes censés être le prochain grand groupe, les futurs radiohead. je ne sais pas si s c’est pareil en angleterre, mais en france c’est vraiment comme ça.

matthew : je pense qu’un tiers, ou la moitié des gens sont là parce qu’ils aiment la musique et ils la connaissent, et je pense que l’autre moitié est là parce qu’ils ont lu beaucoup de choses sur nous où ils en ont entendu parler quelque part. je n’ai pas de sentiment particulier à ce sujet.

le cargo ! : plus tard, en novembre, vous avez joué en première partie des foo fighters et des red hot chili peppers à bercy (cf. chronique du concert sur le cargo). on a trouvé que la première moitié de votre set était vraiment moyenne, approximatif, et la seconde moitié bien meilleure. êtes vous d’accord ?

matthew : oui. on avait pas vraiment pu répéter, le son était bizarre et quand j’étais sur scène je ne pouvais pas voir dom et chris à cause de la batterie des foo fighters qui me bloquait la vue et c’était vraiment très désagréable. je ne me sentais pas à l’aise pendant la première moitié et après ça s’est arrangé.

dominic : j’étais très nerveux aussi ce soir là car c’était le plus gros concert depuis le début de notre carrière et quand je suis arrivé, je me suis dit : " mon dieu, il y a tant de gens ! ", et donc tout le monde était un peu nerveux. on avait l’estomac noué.

le cargo ! : c’est très rare qu’un groupe anglais marche mieux en france qu’en angleterre. d’habitude c’est le contraire. des groupes comme travis, catatonia ou les manics street preachers sont pratiquement inconnus en france. est ce que vous avez une idée sur les raisons de cette situation ?

matthew : je pense que c’est peut être parce que...je ne sais pas, j’espère, je pense que les gens en france sont plus intéressés par la musique que par sa " présentation ". en angleterre, je pense que la " présentation " est très, très importante, la façon dont vous vous comportez en interview, à la télévision est très importante, beaucoup plus qu’ici. je pense vraiment qu’ici les gens sont plus intéressés par la musique que par l’image.

le cargo ! : vous allez faire votre première tournée en tête d’affiche en angleterre en février. est ce que c’est un peu la tournée " ça passe ou ça casse " ? vous devez avoir beaucoup de pression.

dominic : non, ce n’est pas ça passe ou ça casse. je pense que nous nous attendons à ce que certains concerts soient pleins et d’autres moins. nous marchons assez bien dans certaines régions d’angleterre, dans certaines ville. ça change. nos avons fait des centaines concerts et parfois devant personne, donc...

matthew : je ne pense pas que ce soit jamais une question de " ça passe ou ça casse ". c’est plutôt " ça passe ou ça continue "...

le cargo ! : il semble que la presse anglaise n’ait pas très envie de dire du bien de l’album. ils disent souvent que vous sonnez trop comme radiohead et ils semblent vous trouver trop sérieux pour des garçons de 20 ans. nous sommes sûrs que nous ne vous préoccupez pas trop de ce que disent les critiques mais comment réagissez vous quand vous lisez la presse anglaise ?

chris : nous n’y faisons pas trop attention, franchement. chacun a le droit d’avoir sa propre opinion et si quelqu’un n’aime pas l’album, bon c’est comme ça. c’est pas très grave. il y a des gens qui l’aiment et d’autres qui ne l’aiment pas, et tant que certains l’aiment, tout va bien.

dominic : les journaux anglais peuvent être très sensibles aux phénomènes de mode, et il y a a tellement de journalistes, de critiques, si quelqu’un pense que l’album n’est pas bien, ils répandent le bruit d’une certaine manière, et personne ne l’aimera. ca se passe un peu comme ça en angleterre, vraiment.

le cargo ! : parlons de vos concerts maintenant. on vous a vu au new morning en juillet, et on a le sentiment que vous n’êtes déjà plus le même groupe sur scène. vous avez beaucoup changé ?

matthew : entre quand et quand ?

le cargo ! : juillet et maintenant ?

matthew : vous pensez à quels concerts en particulier ?

le cargo ! : le new morning, le mcm ou les inrocks. vous êtes d’accord ?

matthew : je pense que c’est important de changer, d’évoluer, d’essayer de s’améliorer. peut être qu’aux yeux de certains nous régressons, mais selon nous on s’améliore...

dominic : on change tout le temps, vous savez. plus tu joues de concerts, plus tu t’améliores à tous les niveaux. ça évolue en permanence, puis tu commences à jouer de nouvelles chansons, c’est en perpétuel mouvement.

matthew : quand on a commencé, le show était très rock, du rock à l’état pur. au moment du new morning entre autres. je pense qu’actuellement nous sommes en train d’essayer de nous diversifier, nous jouons plus de chansons calmes, dont une reprise que nous jouons en ce moment.

le cargo ! : vous changez les versions de vos chansons en permanence. si vous réenregistriez l’album maintenant, est-ce qu’il sonnerait différemment ?

dominic : je suppose que oui, car nous l’avons enregistré il y a près d’un an, et que ça représente un point précis de notre carrière, un point précis dans le temps. je suis sûr que si nous l’enregistrions maintenant il serait un peu différent, parce que nous avons eu beaucoup de temps pour jouer les chansons, on les joue différemment chaque soir, donc je ne sais pas si ce serait meilleur, mais ce serait différent, ce serait un nouveau point de référence.

le cargo ! : est ce qu’il y a des choses que vous trouvez "embarrassantes" sur l’album ?

matthew : le premier couplet de "sunburn", je chante un peu faux.

dominic : vraiment ? !

matthew : et bien, selon moi, c’est légèrement ohhhhh (démonstration proche du chant de la castafiore) . ça fait un peu "nerveux". j’aimerai pouvoir refaire cette partie.

le cargo ! : est ce que vous vous êtes déjà lassés de certaines chansons ? vous devez les jouer depuis très longtemps maintenant pour certaines ?

dominic : non, ce n’est jamais très lassant.

matthew : c’est justement une des raisons pour lesquelles les chansons changent beaucoup en concert, nous essayons de faire en sorte que ça reste intéressant pour nous.

dominic : c’est différent chaque soir. chaque concert est différent. tu jours devant des gens différents, tu obtiens donc des réactions différentes. ça suffit garder l’ensemble intéressant.

le cargo ! : vous êtes un groupe très jeune. des groupes comme u2 ou les smashing pumpkins ont dit qu’ils avaient beaucoup apprécié le fait de pouvoir grandir à l’ombre de groupes plus connus. ce n’est pas vraiment le cas pour vous, notamment en france. vous devez d’une certaine manière commettre vos erreurs en public.

matthew : cela fait 6 ans qu’on est ensemble. on a eu plein de temps pour grandir. certains groupes enregistrent leur album au bout d’une ou deux années. la plupart des groupes en fait. nous avons enregistré notre premier album au bout de 6 ans.

le cargo ! : vous avez dit que pour vous le rock n’était pas une fin en soi mais un moyen d’expression, et que vous vouliez avoir une carrière à la tom waits, faire des choses très différentes. vous jouez déjà quelques nouvelles chansons en concert et elles ne semblent pas très différentes de showbiz.

matthew : ce soir, nous jouons deux nouvelles chansons. l’une à la guitare acoustique, assez douce.

le cargo ! : un peu comme "unintended" ?

matthew : elle est un peu plus sombre, ce n’est pas le même genre de chansons exactement. nous avons une autre chanson qui est plus influencée par daft punk si vous voulez ! mais vous ne remarquerez peut être pas de grandes différences avec le reste, il faut attendre l’enregistrement du deuxième album, c’est là que tu découvre vraiment comment jouer les chansons.

le cargo ! : vous jouez beaucoup de faces b en ce moment. pourquoi n’en gardez vous pas certaines pour plus tard ? peut être pensez vous qu’elles sont trop liées à une certaine période du groupe qui est révolue ?

dominic : oui, la plupart des faces b sont assez anciennes. on les a écrit parle passé. ce serait bien de se " débarrasser " de tout ça de sorte que lorsque nous nous mettrons au prochain album, nous ne travaillions que sur des nouvelles chansons.

matthew : on pourrait peut être , à l’occasion de la sortie d’un album futur, inclure un deuxième cd avec une sélection de différentes choses, de vieilleries, des faces b, des sessions que nous avons enregistrées pour radio 1 et différentes sessions acoustiques. on pourrait rassembler tout ça et faire une compilation de choses plus rares. peut être, mais pas avant deux albums.

le cargo ! : on aimerait vous faire parler de l’honnêteté dans le rock. vous avez dit qu’il était très dangereux d’être trop honnête dans un groupe. en concert, ou en interview, ou en général ? est ce que vous pouvez développer cette idée ?

matthew : je pense que le premier album pour nous et pour moi était purement honnête. a cent pour cent. la raison est que c’est principalement moi, m’exprimant sur mes propres sentiments, sur la façon dont je ressens les choses. c’est très nombriliste et centré sur mes propres opinions. si vous obtenez du succès en vous exprimant ainsi, ça peut devenir dangereux, car vous allez alors avoir l’impression que la seule manière de continuer et de progresser, c’est d’être encore plus honnête et en fait de réveiller en vous des choses et des sentiments qui ne sont pas véritablement les vôtres, mais vous pensez qu’ils le sont car vous allez trop profond à l’intérieur de votre "cocon". donc je pense que c’est important d’apprendre d’artistes comme tom waits ou queen, qu’à mesure qu’on avance, on doit s’approprier des personnages qui ne sont pas vous mêmes.

le cargo ! : et à propos des concerts, la façon dont vous jouez sur scène ? .

matthew : quand on étudie le théâtre ou la comédie, la première chose qu’on vous apprend, c’est de vous exprimer vous-même, et vus passez beaucoup de temps à apprendre comment exprimer ce que vous êtes, comment décrire votre personnalité à quelqu’un d’autre.

l’étape suivante est de parler quelqu’un d’autre, d’apprendre à le connaître, et se comporter comme lui. quand j’étudiais le théâtre, c’était comme ça que ça se passait. d’abord on apprend à se connaître soi-même, et ensuite on apprend à découvrir quelqu’un d’autre et à s’approprier sa personnalité et ses sentiments, puis à les exprimer soi-même. je ne sais pas du tout pourquoi je raconte tout ça. je ne vois pas le rapport avec jouer en concert... je pense que jouer en concert est en grande partie honnête. je pense qu’il y a une ou deux choses, l’expérience des gens qui sont très très proches de moi, comme ma famille, ce genre de personnes, j’exprime leurs sentiments. donc je dis que ce n’est pas honnête de ma part mais en fait c’est honnête, ce sont les sentiments de quelqu’un d’autre. ce sont des choses que j’ai vues ou entendues

le cargo ! : de nombreux musiciens disent que c’est très facile pour eux de voir si un musicien sur scène est honnête ou pas, si il est vraiment dedans ou pas. est ce que ça vous parait vrai ?

chris : vous pouvez voir si les autres artistes font semblant ou pas, ou s’ils sont vraiment de dans sur scène ou pas. la plupart des gens que j’ai vu, je n’en vois pas un duquel on peut dire qu’il n’est pas vraiment dedans. en tout cas pas les groupes qui arrivent à quelque chose, car pour y arriver il faut être honnête et vraiment dedans. quand on voit un nouveau groupe, tu peux voir si il ne sont pas vraiment dedans, ils vont probablement s’arrêter ou quelque chose du genre. il faut vraiment être dedans pour arriver à un certain niveau.

Partager :

publié par le 12/01/00