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publié par Fabrice Privé le 20/12/24
Mount Eerie
- Night Palace
Night Palace

Il y a quatre ans, Phil Elverum, grand conteur de l’intime comme ses congénères Will Odlham, Bill Callahan ou feu Jason Molina, réactivait le patronyme The Microphones pour un album vital : Microphones in 2020 ne comportait qu’un seul long titre, bâti sur un motif de guitare folk (celle de son adolescence) qui s’effaçait ou se disloquait à l’occasion pour faire remonter à la surface l’expression de ses différentes tentations sonores : polyrythmie, drone, noise... Cet opus en apesanteur, rétrospectif et introspectif, permettait à son auteur de balayer plusieurs décennies de souvenirs, anecdotes, quêtes de sens, pertes de repères et prises de conscience. S’opéraient, au fil de ces 45 minutes, des allers-retours hypnotiques entre plusieurs époques de son existence ainsi qu’un ping-pong vertigineux entre sa vie personnelle et son rapport à la création. L’écriture d’Elverum, totalement liquide, était encore magnifiée par la version vidéo de l’album mettant à l’honneur plus de 700 de ses photos, dans un vaste diaporama/panorama illustrant cette grande psalmodie.

Quatre ans plus tard, une éternité pour Phil Elverum, c’est sous la griffe Mount Eerie que sort Night Palace (du nom du poème qui ornait la pochette du déchirant A Crow Looked at Me de 2017, enregistré juste après la mort de sa femme). Contrairement à ses trois prédécesseurs sous cette étiquette, dont l’acoustique ténue était largement marquée par le deuil et la survie, Night Palace renoue avec un spectre musical très large. Ce qui pourrait en faire le prolongement de Microphones in 2020, où il n’y aurait non pas un morceau, mais vingt-six (pour une durée totale d’1h20). Et si l’approche diffère entre les deux opus, le sentiment d’avoir affaire à un album-somme ou à un inventaire artistique et émotionnel est assez similaire. Sauf que Night Palace est plus touffu et plus abrupte dans ses embardées musicales : accueilli par une atmosphère chargée en électricité statique, l’auditeur est ensuite pris par la main via la basse rondelette de "Huge Fire", avant d’être lâché au milieu de la casse rythmique de "Breaths" où résonne bientôt le cri primal "Swallowed Alive"... Les premiers titres sont ainsi d’inspirations très disparates : leur enchaînement imprime un rythme, justement arythmique. Et une fois que l’on se cale dessus, approximativement, l’exploration peut commencer.

Ce périple passe par des dénivelés accidentés, des chemins contemplatifs ou des lignes de crête instables. Une notion de voyage d’autant plus prégnante que, une fois de plus dans l’œuvre de Phil Elverum, la nature et ses éléments (soleil, vent, pluie, brouillard, éclairs...) sont les reflets mouvants de ses questionnements intérieurs. Lesquels sont nourris par une acuité régénérée qui se traduit, musicalement, par un appétit retrouvé : pastilles pop pastorales, folk-songs dysfonctionnelles, respirations drones, ripostes indie rock, diffractions bruitistes, résurgences black metal ou nouveautés rythmiques trap... Phil Elverum est à l’écoute de tous ses penchants et leur laisse libre court, souvent au sein d’un même morceau : "I Spoke with a Fish", "I Heard Whales (I Think)" ou "Non-Metaphorical Decolonization" sont autant d’exemples marquants. Il passe aussi aisément d’un chant délicat ("I Walk") au spoken word le plus naturaliste ("Demolition"). Et il amplifie, comme souvent, l’écho de ses créations passées (un titre de The Glow pt. 2 trouve par exemple ici une suite, 25 ans plus tard). Bref, avec Night Palace, Phil Elverum fait se réfléchir les nombreuses facettes de sa poésie de la micro-gravité dans une lumière changeante et ravivée. Ce faisant, il remet en perspective un bon quart de siècle de The Microphones/Mount Eerie via cette sorte de "compilation originale", certes labyrinthique et exigeante, mais surtout passionnante.

La vidéo de the Microphones - Microphones in 2020 est ICI

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publié par le 20/12/24