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publié par Mélanie Fazi le 12/10/16
Maud Lübeck
- Toi non plus
Toi non plus

En voilà un que nous attendions avec une impatience teintée d’une certaine curiosité. C’est que nous portions un grand attachement à La Fabrique, premier album de Maud Lübeck, d’autant plus fort qu’il avait été pour la matelote qui vous parle la première étape d’un chemin de redécouverte d’une scène francophone (voire parisienne) féconde et passionnante. Quelques mois plus tard, Lobotom, bande-son d’un film imaginaire sortie en catimini, nous avait laissé entrevoir une palette beaucoup plus large que nous ne l’avions soupçonné jusqu’alors. On retrouve aujourd’hui Maud Lübeck bien entourée par d’autres protagonistes de ladite scène francophone : La Féline prête son timbre lumineux sur « Encore », Robi son talent pour la mise en images sur le clip du single « Toi non plus », tandis que Jean-Charles Versari s’est occupé de l’enregistrement des voix et du mixage.

La fin du désir

Toi non plus, de manière assez transparente, est conçu comme la chronique d’une séparation, retracée ici de manière chronologique. Les titres mêmes sont éloquents : l’album s’ouvre sur « La disparition » (celle du désir qui, du jour au lendemain, s’éteint au sein d’un couple) et se clôt sur « À la fin » (la séparation définitive, avec l’ambiguïté propre à chaque fin qui peut également annoncer un nouveau commencement). Si l’on retrouve avec une familiarité immédiate la griffe de Maud Lübeck, dans la douceur du chant comme dans la finesse des paroles, Toi non plus se démarque de La Fabrique dans sa tonalité plus sombre et moins ludique, mais aussi dans sa structure : plus qu’une collection de chansons indépendantes, il s’agit ici d’un album qui s’appréhende d’un seul bloc.

Malgré de grandes différences, ne serait-ce que formelles, entre les deux propositions, on ne peut s’empêcher d’établir un parallèle avec Élégie de Katel paru en début d’année, conçu comme une pièce cohérente qui explorait les différentes facettes du deuil. C’est d’un autre deuil qu’il est question ici, celui d’une relation, dont chaque chanson capture une étape, une humeur : le désarroi de la fin du désir, le renoncement au soleil, à la vie (« L’imperméable »), l’impression de sombrer au milieu des autres (« La noyée »), le refus de s’y laisser reprendre (« Je plus rire »), la séparation effective du couple et des logements (« La coupure » où l’on quitte les lieux d’une vie commune en coupant à la fois le cordon et l’arrivée d’eau). Tous ces moments déjà vécus mais qui, chaque fois, terrassent et déboussolent comme au premier jour.

Ce qu’il reste de soi

L’un des titres les plus forts et les plus surprenants de l’album, « Toi non plus », single hypnotique et obsédant, dit en particulier le désarroi de ne plus sentir l’autre en soi, de redevenir deux entités distinctes et de ne plus bien savoir ce qu’il reste de soi tant les frontières étaient floues. Rythmique implacable, diction somnambule qui énumère les parties du corps, le sien ou celui de l’autre, avant de lâcher cette sentence glaciale, définitive : « Je n’y suis plus/Toi non plus ». On retrouve la même sensation d’irréalité et de dissociation dans l’excellent « Je plus rire », porté par un tempo qui s’emballe comme les battements d’un cœur, et qui « déconjugue » les verbes comme pour dire la désincarnation, la distanciation avec soi et les autres, en même temps que les promesses faites sous l’effet du dépit (« J’veux plus tomber d’amour/Ça rendre con surtout »).

Paradoxalement, malgré cette orientation plus sombre et plus introspective, les chansons de l’album semblent plus charnelles que celles de La Fabrique. Le côté bricolé maison qui en faisait le charme a disparu ici ; les sonorités sont plus électroniques, l’album plus cohérent sur la longueur, le chant et les constructions un peu plus amples, parfois teintés d’un lyrisme qui fait mouche. Sur « La noyée » ou « J’oublie », on découvre dans le chant de Maud Lübeck des nuances qu’on ne lui connaissait pas. Une assurance plus grande, peut-être, qui se dévoile peu à peu. Quoique l’humeur se prête moins à rire, on retrouve par endroits, par petites touches, cette fantaisie gentiment barrée qu’on avait appris à associer à son univers où gravité et légèreté se confondent parfois : des jeux de mots discrets cachés dans les recoins (« Tout me fait de l’éphémère » sur « J’oublie », l’un des titres les plus poignants), ou ce final abrupt qui interrompt « La coupure » comme on coupe le courant d’un appartement au moment de le quitter.

Journal intime

Malgré sa thématique, Toi non plus est d’un abord accueillant : il y a dans cet album une tristesse sous-jacente qui en forme le cœur et le fil conducteur, mais elle affleure à peine, elle n’est jamais pesante. Chaque chanson est une page arrachée dans un journal intime, une humeur cueillie au vol comme une touche de couleur singulière. L’irruption discrète de la voix de La Féline, qui s’accorde joliment avec celle de Maud Lübeck, fait l’effet d’une douce respiration au sein d’un huis-clos empreint de gravité. L’ensemble est touchant, réjouissant, chaleureux au final, et témoigne d’une vraie progression de la part d’une artiste en qui on plaçait de grandes attentes. Toi non plus, quatre ans après La Fabrique, signe de fort belles retrouvailles.

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publié par le 12/10/16