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publié par Mélanie Fazi le 21/01/13
Maud Lübeck
- Lobotom
Lobotom

L’une des premières qualités de Lobotom, et pas la moindre, est de prendre l’auditeur de La Fabrique au dépourvu. On avait adhéré très vite à l’univers de Maud Lübeck, dont le premier album avait été l’une des belles surprises de 2012. Grâce aux Disques du 7ème Ciel, qui sortent en édition limitée cet album de 2002 inédit jusque ici, on y découvre de nouvelles facettes dont on ne soupçonnait pas l’existence.

Didascalies

Le livret illustré qui accompagne Lobotom décrit l’album comme la « Bande-son d’un film imaginaire ». Pas une bande-son instrumentale et atmosphérique, mais plutôt quelque chose qui tendrait vers la comédie musicale – impression renforcée par ce livret en trois langues qui présente les textes à la façon d’une pièce de théâtre, didascalies incluses. Peut-être y aurait-il aussi une filiation à chercher du côté des références que Maud Lübeck citait en interview lorsqu’elle nous confiait son goût pour les musiques de films de Gainsbourg ou celles de Jacques Demy. On suit ici les pas d’une narratrice, Emma, qui visite une maison suite à la lecture d’une annonce, tombe dans un gouffre béant qui la mène au sous-sol et y rencontre une faune étrange : une marchande de pleurs qui vend des larmes de crocodile devant les cimetières, un tailleur pour dames « hédoniste d’organes » et des siamois reliés par la cage thoracique qui rêvent de la mer dans une baignoire. Au terme de ces rencontres, elle regagne la surface transformée, enfin née à elle-même – Lobotom étant l’allégorie transparente et affichée d’une renaissance.

Fable surréaliste

L’album est structuré comme une suite de saynètes ponctuées d’interludes – l’un « cérébral », l’autre « viscéral » — où la voix de Maud/Emma sert de fil conducteur. Un peu en retrait par moments, comme pour rappeler qu’Emma est au départ spectatrice de sa propre histoire. Si l’on retrouve certains éléments qui nous avaient séduits dans La Fabrique (une forme de grâce dans les textes comme dans le chant), Lobotom revendique une étrangeté beaucoup plus frontale, là où les textes de La Fabrique cachaient souvent leurs jeux de langage et leurs doubles sens derrière une façade innocente. On est ici dans une fable surréaliste lorgnant vers Lewis Carroll : on pense forcément à Alice lorsque Emma chute au sous-sol et y rencontre ces personnages plus improbables les uns que les autres. L’album atteint un point culminant lors de la chanson des siamois, « Gaspard et Louna », grâce à la mélodie entêtante, à l’alternance entre la gouaille des deux enfants et la voix plus douce d’Emma, et à la franche bizarrerie de la scène et du texte.

D’autres cordes

On est moins ici dans la formule couplet/refrain classique que dans une forme de mise en scène, bruitages et jeux sur les voix inclus. L’album est court mais dense, étrange et joliment désuet à la fois, et sacrément intriguant. Plus qu’une simple confirmation du talent de Maud Lübeck, on parlera plutôt de redécouverte, et c’est avec une franche curiosité qu’on attend maintenant de découvrir quelles autres cordes (de pianiste) elle possède à son arc. On remerciera en tout cas les Disques du 7ème Ciel d’avoir permis que cet album enregistré il y plus de dix ans voie le jour : des fonds de tiroir de cette qualité, on en redemande bien volontiers.

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publié par le 21/01/13