Sous le charme de sa Fabrique sortie tout récemment, nous avions
déjà rencontré Maud Lübeck pour filmer une session. Mais à force de nous perdre dans les recoins de l’album pour en explorer les multiples facettes, nous avons eu envie de l’interroger sur son parcours, son rapport à la musique et ses textes moins innocents qu’il n’y paraît de prime abord. Rendez-vous pris dans un café parisien par un lundi matin pluvieux pour parler d’écriture à double sens, de collaborations, de Fête de la musique et de carpes-robots japonaises.
On vient de te découvrir avec La fabrique, mais tu es très active sur scène depuis plusieurs années. Peux-tu nous parler de ton parcours avant cet album ?
Le projet a vraiment commencé il y a trois ans avec la scène, mais je fais de la musique depuis des années. La fabrique est mon huitième album. Les autres dorment tranquillement chez moi. Je crois que j’étais un peu bloquée par le fait de ne pas faire de scène, et forcément, quand on ne fait de la musique que pour soi, il ne peut pas se passer grand-chose. Donc oui, je fais de la scène depuis trois ans. Les morceaux que j’ai choisis pour l’album sont ceux que je jouais, ça correspond à ma setlist. Et puis j’aimais bien cet équilibre entre les morceaux un peu mélancoliques et les autres, un peu plus pop.
Par exemple, “Neige”, en écoute sur le site Les InrocksLab et qui est vraiment très beau, aurait-il pu avoir sa place sur l’album ?
Oui, parce que je le joue parfois en rappel. Je l’ai joué samedi aux Trois Baudets. Il aurait peut-être sa place sur un autre album… Il y a plein de morceaux auxquels je suis assez attachée et qui ne sont pas sur l’album parce qu’il fallait faire un choix. Mais en tout cas ils sont là, ils auront peut-être une vie…
Des projets pour ces morceaux, justement ?
Pour l’instant, non. Enfin là, j’ai un projet par rapport à l’album, c’est peut-être trop tôt pour en parler mais j’ai un vinyl qui va sortir au 7ème Ciel, et en bonus, il y aura un album-concept que j’ai enregistré il y a dix ans à peu près. Mais sinon, je suis un peu concentrée sur cet album qui sort enfin.
Tu as mis longtemps à trouver un label ?
Ça a pris trois ans. À partir du moment où j’ai commencé à faire de la scène, j’ai commencé à intéresser des labels, et je pense que si l’album a mis autant de temps à sortir et à se faire, c’est parce que tous ces gens m’ont un peu fait perdre du temps. En plus, pour au final faire un album chez moi.
Sur disque comme sur scène, tu fais pratiquement tout toute seule. Est-ce que c’est par choix, parce que tu fonctionnes mieux comme ça ?
En amont, pour ce qui est de la création pure, j’aime travailler seule, j’aime composer et arranger les morceaux seule. Maintenant, c’est certain que j’aurais aimé me retrouver en studio pour enregistrer l’album avec des musiciens. Donc cette partie-là, ce n’est pas un choix. Pour ce qui est de la scène, c’est parce que c’était plus simple d’être seule en scène au départ. En plus, comme la scène me faisait assez peur, je trouvais intéressant de l’affronter seule pour ne pas avoir à me cacher derrière qui que ce soit. Mais là, je suis en train de monter une petite formation à deux et à trois pour certaines dates.
Avec Simon et Martin d’Exsonvaldes ?
Voilà.
Comment en es-tu venue à collaborer avec eux ?
C’est le hasard d’une rencontre avec Simon. On s’est retrouvés pendant deux mois ensemble à faire une formation scénique, et ça tombait pile au moment où j’enregistrais mon album chez moi. C’est à ce moment-là qu’il m’a proposé de faire quelques guitares. Du coup, de façon assez naturelle, c’est vers lui que j’ai envie d’aller pour faire de la scène.
Est-ce que le titre de La fabrique est un clin d’œil au côté « fait maison » de cet album enregistré seule ? Il y a un côté « petite fabrique de musique ».
Ah mais c’est totalement ça ! En fait, je ne trouvais pas le titre de l’album, donc je me suis rabattue sur le titre d’une chanson, et finalement, quand j’ai lu la liste, La fabrique m’a paru assez évident du fait que je me suis un peu transformée en fabrique à moi toute seule. C’est fait maison, oui.
La pochette reflète aussi cet aspect, avec ces instruments, on a presque l’impression d’un coffre à jouets.
C’est ça, et il y a le côté un peu fabriqué, je suis au milieu, ça va de l’instrument au disque. Par contre, je l’ai mis à l’envers. Normalement tu vas de gauche à droite, du passé à l’avenir. Mais la photo est aussi prise chez moi, c’est vraiment du fait maison, à part le mixage qui a été fait en studio par Alexandre Firla.
On lit un peu partout que tu es autodidacte. Comment es-tu venue à la musique ?
C’est elle qui est venue à moi, je crois, je ne sais plus très bien comment ça a commencé. Je sais juste que c’est à quinze ans que j’ai décidé que je ferais ça de ma vie, parce que déjà, à l’époque, je composais. C’est à l’adolescence que j’ai pris cette décision, parce que j’avais écrit un livret et une musique, une sorte d’opéra pop. Enfin je n’ai pas écrit la musique, juste le livret, et j’ai pris la décision que cette chose deviendrait un jour célèbre. Pas moi, mais elle. Donc, forcément, il fallait que je m’y mette. Parce qu’en plus, c’est un grand projet, quand même, de rendre un opéra célèbre. C’était un truc un peu fou. Enfin, j’étais ado… Ensuite, ça a été de longues années d’apprentissage. J’ai fait des études qui n’ont absolument rien à voir avec la musique puisque je suis psychologue de formation.
Je me trompe peut-être, mais il me semble qu’on rencontre plus d’autodidactes à la guitare qu’au piano, c’est quelque chose de moins fréquent.
En fait, je me suis vraiment mise au piano à treize ans. Le plaisir de jouer est venu par cet instrument. J’ai eu l’occasion de le rencontrer, déjà, parce qu’il y en avait un chez moi. Quand je partais en vacances, il y en avait un chez mes grands-parents, il y en avait partout, c’est vraiment l’instrument de la famille. J’ai quand même décidé d’apprendre un peu, j’ai dû prendre trois ans de cours à l’adolescence, mais je travaillais le piano à la veille du cours. Sinon, toute la semaine, je me consacrais à mes ballades personnelles, et j’ai tout de suite été happée par la création. Enfin, la création… Mais déjà, à l’époque, je commençais à m’enregistrer. Ma première maquette date de cette époque.
Tu as aussi composé de la musique pour des films ?
Des courts-métrages. Et aussi pour de la pub. J’adore ça, c’est ce qui me plaît le plus, travailler sur l’image, il y a une espèce d’évidence. Même quand je compose pour des chansons, je travaille avec la même logique que dans la musique pour l’image. Et dans les chansons de l’album, il y a pas mal de thèmes qui étaient au départ destinés à de la pub mais qui n’ont pas été pris, et que j’ai revisités en chanson.
Par exemple ?
Il y a “Les larmes gelées”, c’était au départ une musique avec des orchestrations très classiques, des cordes, des cuivres, etc. “Byebye” aussi, c’était fait pour ça. J’ai revisité ces morceaux pour l’album dans des versions un peu plus pop. Quand je me retrouve sur scène, je les revisite encore pour du piano/voix. “C’est pas rien”, aussi.
Et pour ce qui est des textes, est-ce que l’écriture est pour toi liée spécifiquement à l’écriture de chansons ?
C’est uniquement lié à la chanson. Non, sinon, je n’écris pas…
Quand on découvre ton album et qu’on commence à l’écouter attentivement, on s’aperçoit qu’au-delà de la surface « tranquille » au premier abord, il y a beaucoup de jeux de mots, de doubles sens, qu’on découvre parfois très tard, et qui peuvent changer radicalement la perception qu’on avait de la chanson. Est-ce que tu recherches cet effet de surprise ?
Oui, parce que pour moi, c’est toujours de là que partent mes chansons. Tout d’un coup, je vais entendre le double sens par hasard. Par exemple pour “Je t’aimais trop”, il y a eu une espèce de résonance, d’un coup je me suis dit : c’est marrant, dans « je t’aimais trop », il y a « métro ». Mais après, c’était incroyable, parce que tout s’y prêtait, il était extrêmement facile à écrire, ce texte. L’écriture d’une chanson part toujours de ça. Je n’écris pas parce que j’ai quelque chose sur le cœur à raconter, ce n’est pas forcément quelque chose de personnel, c’est juste que tout d’un coup, je vais m’amuser d’une phrase et avoir envie de la développer. Et je trouve vraiment intéressante l’idée que chacun puisse y voir ce qu’il veut. J’ai déjà croisé des enfants tout petits qui adhèrent totalement à mon univers, à un autre niveau. Mais du coup, ils ont cette possibilité d’y accéder.
Est-ce que ça te dérange qu’il soit possible de passer à côté de ces doubles sens ? Dans certaines chansons, c’est assez évident, mais il y en a d’autres qu’on découvre au bout de dizaines d’écoutes.
Ce qui va m’énerver, c’est si j’entends juste « ah oui, c’est sympa, c’est léger », alors que ce n’est pas juste sympa et léger, il y a effectivement plein d’autres choses. Mais à la fois, je recherchais aussi cet effet-là. Quand j’ai commencé à faire de la scène avec pas mal d’autres morceaux, j’en avais marre, on me disait après les concerts « C’est beau, mais c’est triste, c’est mélancolique », on me renvoyait beaucoup cette image-là. Et je me suis rendu compte qu’après, il fallait l’assumer. Parce que je ne me reconnais pas au quotidien dans l’image de quelqu’un de mélancolique et de triste. Donc je me suis dit : il faut que j’amène un peu plus de légèreté à mon univers, et j’ai développé de plus en plus cette tendance à faire en sorte qu’il y ait au moins cette possibilité de lecture.
L’effet est très différent selon les chansons. Le double sens de “Je t’aimais trop” m’a fait rire quand je l’ai découvert, alors que pour “Mon amourenboîte”, je me suis aperçue très tard que je n’avais pas compris la fin, qui est plus sombre et produit vraiment l’effet inverse.
Oui, et si tu fais attention à la fin et qu’ensuite tu recommences du début et que tu entends « une boîte en bois pleine de toi », tu peux comprendre que c’est un cercueil. Ce n’est pas juste un petit coffre à souvenirs…
Sinon, j’ai aussi été frappée par le texte de “Virose”, offerte en bonus vidéo sur l’album. La première phrase notamment : « Je me suis tranché les veines avec la dent que j’avais contre toi ». Elle commence par quelque chose d’assez violent et se termine par une pirouette, et tout le texte est comme ça, on est constamment tiraillé, si bien qu’on ne sait jamais où on en est.
Je pense que ça parle de quelqu’un qui ne sait pas non plus où il en est. Mais ça, c’est un très vieux morceau… Il faut que j’arrête de dire que j’ai des vieux morceaux, on va dire que je suis très vieille… Mais il est sur l’album grâce au clip. Sandrine Belmont a fait le clip toute seule. L’idée était de partir sur un titre qu’on aimait bien toutes les deux, mais aussi qui n’était pas trop long. Donc c’était parfait, “Virose” fait une minute et quelques. Et puis on a eu envie de mettre ce titre en bonus sur l’album. Mais quelque part, je le trouve vraiment très différent, dans l’écriture, dans tout… Enfin je sens que c’est un vieux morceau.
Par rapport à quoi, à la construction ?
Déjà, il y a des phrases que je retravaillerais. J’adore la dernière phrase, « Je me suis jetée sous un train de vie monotone, à mourir d’ennui », j’adhère à 100%. Et puis il y a des phrases un peu violentes, c’est très caustique parfois, c’est une construction que je ne m’autorise plus forcément aujourd’hui. J’essaie de faire passer les choses de façon plus douce au départ. Là, il y a des phrases assez crues, comme « Je me suis tranché les veines avec la dent que j’avais contre toi ». Mais il manque une phrase à ce texte. La dernière phrase, c’était « J’ai tout essayé sauf la mort, et alors ? » Ça, je ne l’ai pas mis en chanson, mais c’était dans le texte.
Au niveau des textes, celui de “La fabrique” tranche également, il est plus immédiat et joue plus sur les images que sur les mots, quasiment une imagerie de science-fiction. Comment est venu ce texte ?
“La fabrique”, c’est typiquement le genre de chanson partie d’une phrase, j’entendais « Je veux qu’on me ramène à la fabrique », c’était mon obsession du moment. Et j’entendais « dans le bassin du jardin botanique ». Je me disais : qu’est-ce que c’est que cette histoire, de quoi ça parle, qu’est-ce qui se passe dans un bassin de jardin botanique, il y a des poissons, quel genre de poissons, des carpes, qu’est-ce qui arrive à cette carpe, pourquoi veut-elle qu’on la ramène à la fabrique, est-ce qu’elle s’ennuie, est-ce qu’elle n’est pas à sa place, parce qu’elle a l’impression d’être un robot… Enfin il y a quelque chose qui se met en place, et qui fait que je raconte cette histoire que je découvre au fur et à mesure. Ce qui m’a fait rire, c’est que comme j’aime bien travailler avec internet, j’ai tapé « carpe robot » et j’ai vu que ça existait. C’est au Japon, c’est exactement l’image que j’avais en tête, ils ont inventé une carpe-robot qui sonde le fond des bassins. Donc elle existe, ma carpe. Et puis je crois que j’aimais bien l’idée de parler d’un poisson pour parler de nous tous, un peu comme Walt Disney…
Il y a aussi un rapport intéressant aux objets, à travers lesquels tu racontes des histoires. Là encore, je trouve que c’est cohérent par rapport au « bric-à-brac » de la pochette.
C’est vrai que je m’en étais fait la réflexion en regardant les titres. Il y a le parapluie, la balançoire… Mais après, je ne sais pas trop pourquoi je fonctionne comme ça.
“Je t’aimais trop” a été un duo avec Vincent Delerm. Peux-tu nous raconter l’histoire de ce duo ?
Au départ, ce n’était pas un duo sur ma première maquette, ma première version de “Je t’aimais trop”. Il s’avère qu’on a des connaissances communes, il s’était retrouvé à écouter ma maquette de l’époque et j’avais appris qu’il aimait. Comme j’aimais aussi beaucoup son univers, ça m’a donné envie de le contacter et de lui proposer un morceau. Et puis les choses se sont faites comme ça, tout simplement, on a enregistré une maquette.
Est-ce que cette version aurait pu figurer sur l’album ?
Non, parce qu’à partir du moment où j’ai commencé à enregistrer l’album, je suis repartie de zéro. J’ai choisi la liste des morceaux que je voulais sur l’album, j’ai tout réenregistré de A à Z, et du coup il aurait fallu qu’il revienne chez moi. Et puis à l’époque, je ne savais pas ce que j’allais faire de cet album, je ne savais pas s’il allait être signé, donc c’était plus simple de le faire comme ça.
Tu as plusieurs chansons en écoute sur le site Les InrocksLab, comment est-ce que ça s’est passé ?
Je m’étais inscrite sur le site CQFD. C’était au tout début de CQFD, c’était assez chouette, il y avait une belle énergie, c’est un site qui m’a permis de faire de vraies rencontres d’artistes. Et c’est à cette époque que je me suis retrouvée sur une compilation qui s’appelait Indie moods, qui était faite à l’initiative d’artistes CQFD. Entre autres, il y avait Catherine Watine dessus, c’est elle qui a mis le projet en place. On était une vingtaine d’artistes, il y avait Cascadeur, Jil is Lucky, plein de gens. Et cette compilation, comme c’était la rencontre d’artistes sur le site, avait été parrainée par les Inrockuptibles. Et c’est comme ça, je pense, que j’ai été repérée par JD Beauvallet.
Quel genre de musique écoutes-tu ? As-tu été marquée par des artistes en particulier ?
Je ne sais pas, j’écoute tellement de choses… En plus, j’ai toujours des passions… Je vais avoir une passion pour un artiste et une fois que je suis rassasiée, c’est terminé. Je ne vais même pas forcément m’intéresser à la suite. Il y en a eu en chanson, mais aussi dans plein d’autres domaines. En chanson, j’ai eu ma passion Brigitte Fontaine, ma passion Dominique A, ma passion Gainsbourg… Ma passion Barbara, mais depuis qu’elle est morte, je ne peux plus. Bashung, plein de gens comme ça… Et puis surtout, j’ai écouté beaucoup de musique classique, des musiques de films, c’est quelque chose qui a une grande place, et aussi pas mal de pop. J’ai eu ma passion Björk, ma passion Divine Comedy, Peter von Poehl…
Et en musiques de films ?
Il y a un album que j’adore, c’est l’album des musiques de films de Gainsbourg. J’adore Jacques Demy, François de Roubaix… Il y en a trop, en fait.
On raconte que tu aurais assisté à l’une des célèbres Fêtes de la musique du Cargo. Quel souvenir en gardes-tu ?
Je suis arrivée au moment d’Exsonvaldes, et c’était super joli parce que j’étais derrière un petit fourré, j’avais l’impression d’être à la campagne, d’assister à un concert d’Exsonvaldes dans les bois. C’était une belle soirée.
Tu as plusieurs concerts prévus à Paris dans les jours qui viennent ?
Le 25 avril à l’Entrepôt, le 27 à la librairie Charybde, l’International le 30 et la Loge le 4 mai. À chaque fois, je joue dans des formules différentes. Le 4 mai, je serai en trio. À l’International et l’Entrepôt, je serai en duo avec Simon, et à la librairie, je serai toute seule.
Et ensuite, tu as des projets ?
Non, pour l’instant, l’idée, c’est de rester concentrée sur cet album et sur la scène. Et je suis ouverte à toutes formes de collaborations… sur les projets des autres, par contre. À la fois, j’ai envie qu’il m’arrive plein de choses autour de cet album et de faire de la scène, et à la fois j’ai terriblement envie de me poser, parce que finalement, quand on a un album sous le bras, ça bloque un peu la créativité. Je n’allais pas refaire un autre album par-dessus. J’avais besoin qu’il sorte pour enfin laisser la place à toutes les chansons qui sont enfermées à l’intérieur, j’ai besoin d’ouvrir le sas et que ça sorte, et de faire de nouvelles choses. J’ai hâte aussi de pouvoir m’y remettre – pour mon prochain album ou pour celui des autres…