La musique de Lux Montes a les couleurs changeantes et le velouté des ailes d’un papillon s’enivrant du parfum capiteux d’une rose, protégé par une solide couronne d’épines.
La jeune femme m’avait donné son premier EP il y a cinq ans et cette rencontre musicale était suffisamment prometteuse pour que je me jure de ne pas perdre le contact, même si je ne l’ai jamais revue depuis… Tu m’as manqué mon amour m’avait à l’époque séduite comme l’improbable rencontre entre Ela Stiles (pour la fragilité et la force du a capela) et Queen Adreena (pour les basculements inattendus d’humeur et la stridence des guitares).
Ayant depuis peaufiné son approche vocale et encore une peu plus creusé dans les interstices entre les cordes de son piano et de ses guitares, Lux Monte revient avec un album polyglotte (Française de racines espagnoles, elle habite en Belgique) et polymorphe qui réconcilie électro et hardcore, folk et gothique. Son titre : La verdad, rien que ça ! Vérification avec l’intéressée, à la fois prolixe et pudique.
À travers tes groupes précédents, il semble que ton parcours soit un peu semblable à celui de Chelsea Wolfe, partie du folk pour arriver à des musiques beaucoup plus lourdes et agressives. Fait-elle partie des artistes dont tu te sens proche ?
Avec June Lullaby, qui est ensuite devenu Enfantloup, nous étions plusieurs musiciens ce qui permettait des arrangements plus fournis (2 guitares, 1 violon, basse batterie). Les compositions étaient plutôt folk. Même si j’étais co-auteure-compositrice, sur scène je me concentrais sur mon premier instrument : la voix. Ces projets arrivaient à leur fin tout doucement et en parallèle j’ai commencé à travailler sur un projet solo sous le nom de Lux Montes. Je me suis soudainement retrouvée avec une liberté totale d’expression, sans devoir faire de compromis. La première chanson qui est née dans la foulée a été « Gonna kill you » (présente sur l’album La Verdad), c’est assez symbolique. Il fallait que je mette fin à quelque chose pour qu’une nouvelle naisse ! Je me souviens avoir composé cette chanson d’une seule traite à la guitare électrique, instrument que je n’avais pas beaucoup exploité jusqu’alors. Après coup, je réalise que de m’emparer d’un instrument à l’énergie virile, plutôt perçu comme masculin, a certainement symbolisé cette volonté d’émancipation artistique et personnelle.
C’est également à ce moment-là que j’ai commencé à écouter des projets où des artistes féminines exprimaient quelque chose de plus viscéral, comme effectivement Chelsea Wolf, Scoutt Niblett avec son minimaliste empreint d’une énergie vitale très forte, souvent en duo batterie voix sur scène. Shannon Wright et son don de soi très brut et en même temps plein de pudeur. Toutes ces découvertes m’ont inspirée et m’ont, j’en suis persuadée, donné l’énergie de foncer pour sortir mon premier EP. Grace à cela sont venus des titres comme « La nuit est noire » et « Cry & Smile ».
Musicalement, quand et comment t’es-tu affranchie du clivage électro/électrique, synthé/guitares ?
J’ai la sensation qu’il s’agit d’une énergie rock sous-jacente qui se traduit différemment en fonction des morceaux. J’oscille entre des sonorités électro et rock, en effleurant parfois la pop... on m’a dit récemment que je faisais de l’Avant-pop. Je ne connaissais pas. En tous les cas, je crois que ma musique reste accessible malgré un goût prononcé pour l’expérimentation…c’est toujours difficile de prendre du recul lorsque l’on a travaillé plusieurs mois sur une même production. Quoi qu’il en soit, je conçois les choses dans leur globalité. Le fait de parfois se demander dans quelle famille on va ranger tel ou tel morceau…je crois que cela est clivant et cela peut freiner la créativité. Alors je fais les choses comme je les sens, je suis mes intuitions. Tout ça donne naissance à une mosaïque de morceaux qui, je pense, trouve une unité dans leur processus de création, peu importe les instruments utilisés et les références qu’ils évoquent.
Maintenant, je repars sur de nouvelles compositions, sur une base piano-voix mais le passage à l’enregistrement va surement les transformer et me faire explorer de nouveaux chemins.
Les textes sont sombres ou désenchantés, mettant en scène des personnages mystérieux, violents ou ayant perdu leur part d’innocences. Quelle sont tes sources d’inspiration ?
C’est drôle parce que je n’ai pas l’impression que mes textes soient si sombres...mais ils sont surement emprunts d’un certain fatalisme, d’une sorte de désenchantement oui. Après réflexion, on dirait l’histoire de personnes qui tentent de s’extraire d’un destin tout tracé. Je crois qu’il y a beaucoup d’espoir malgré tout, une force de vivre qui peut s’exprimer par le texte mais aussi musicalement. Par exemple, la rupture franche au milieu du morceau « Boy » et l’arrivée des distorsions expriment pour moi la résistance du personnage, sa volonté de bousculer l’ordre établi, de retrouver sa liberté.
Je ne sais pas trop d’où me viennent ces histoires ou ces personnages. Sûrement un mélange de ce que je lis et regarde. Souvent des images qui me viennent au moment où je compose et ensuite je tire le fil. Mais ces textes gardent une part de mystère, même pour moi… Récemment j’ai relu les Sœurs Brontë et il a quelque chose d’assez beau dans ces personnages féminins forts malgré leur apparence et qui tracent leur chemin parmi les embûches vers une fin plus ou moins heureuse. J’aime le côté romantique et passionné de ces grands tableaux de vie.
D’un autre côté, les deux morceaux en français révèlent un sens de l’humour noir face à la gravité du Monde notamment « Merveilleux ». Quelle est l’histoire de cette chanson ?
J’ai écrit le premier couplet d’un seul trait et ensuite le second en inversant les vers du premier. Cela donne parfois un sens inattendu. Le refrain peut donner l’impression d’un certain cynisme mais je crois que cette chanson exprime une grande tendresse envers tous ceux qui manifestent l’envie d’avancer, de se réaliser malgré l’apathie et l’aveuglement général qui nous menacent. En tous les cas, c’est avec ce sentiment que je l’ai écrite, sentiment de résistance contre tout ce qui voudrait nous ensommeiller.
Est-ce que « Superhero » est autobiographique ?
C’est l’histoire d’un « Superhero » qui n’a plus la force de poursuivre sa mission de sauver les hommes, dont il ne comprend pas les agissements. Ce morceau était à l’origine écrit en anglais et batterie-voix. Il est passé par de multiples réarrangements. La version qui est sur l’album est plutôt électro et lorsque j’ai décidé de le traduire en français son sens m’est apparu encore plus fortement... Les paroles semblent simplistes et mécaniques, mais elles résument pour moi l’ambivalence dans laquelle nous vivons. La balance entre la volonté de faire changer les choses et la paresse ou la résignation. Tant que le danger n’est pas à notre porte, nos actions pour sauver le monde nous semblent parfois timides.
Le début de « Beast and Fishes » était a capella. Tu interprètes plusieurs personnages avec des voix très différentes, en chœurs comme « Carrousel ». Est-ce pour toi une manière de contrebalancer un peu la noirceur des textes ? Comme une actrice qui passe d’un personnage à l’autre de peur de se laisser enfermer par l’un d’eux ?
Dans mes projets précédents, je n’avais pas vraiment exploité la palette d’expressions de ma voix. Elle venait de manière assez classique se poser sur les instruments et exprimer un texte. Lorsque j’ai commencé à fabriquer mes morceaux pour Lux Montes, j’ai réalisé que la voix était un instrument à part entière et qu’il pouvait exprimer d’autres choses, plus inconscientes. Sur mon premier EP, je me suis d’ailleurs plus concentrée sur l’expressivité de la voix que sur les textes proprement dit. La texture de la voix suffit parfois à raconter une histoire, à brosser un personnage, à installer une atmosphère, à donner du sens indépendamment des paroles.
Pour frapper les esprits, ta présentation parle des univers de David Lynch et de Pedro Almodovar. Je dirais plutôt Guillermo Del Toro, qu’en penses-tu ?
Je ne connais pas beaucoup le cinéma de Guillermo Del Toro. Humainement, je me sens vraiment plus proche du cinéma d’Almodovar. J’aime beaucoup le cinéma de Bergman et ses personnages parfois insaisissables de par leurs multiples facettes psychologiques (je pense à Persona ou Cris et Chuchotements). Plus récemment, Stalker de Tarkovski m’a chamboulée. Cette quête hantée et mystique vers un lieu sensé exhaucer les vœux de ceux qui y accède, le personnage principal qui se sacrifierait pour préserver l’idée de l’espoir de/en l’Humanité. C’est d’une beauté folle ! Dans le cinéma de David Lynch, il y a aussi cette ambivalence des personnages presque cauchemardesque.
Tes racines espagnoles sont-elles importantes pour toi ? Le nom du groupe EnfantLoup, ton nom de scène, la chanson « La Verdad » avec le passage parlé en espagnol …
Oui, mes origines espagnoles sont importantes. On se demande pourquoi l’on fait les choses, qu’est ce qui nous a amené où l’on est ? Pourquoi je chante ? En fait j’ai toujours entendu ma grand-mère (et ma mère) chanter dans sa langue. C’est aussi une femme extrêmement volontaire. Elle est arrivée d’Espagne avec une valise, sans connaître un seul mot de français et elle a su dépasser les difficultés d’intégration à force de volonté, de bonne humeur et de générosité. Je l’ai toujours admirée et j’essaie de puiser ma force en m’inspirant d’elle. Je crois que c’est pour cela que la langue espagnole surgit de temps en temps dans mes textes. Et c’est aussi une langue agréable à chanter qui ouvre de nouvelles possibilités d’expression.
Comment te viennent les idées d’arrangements ? Comment t’es-tu construite comme multi-instrumentiste ?
Pour ce qui est des arrangements, ce sont souvent les mélodies qui viennent à ma voix. En fonction de la texture que j’imagine, je les reproduis ensuite avec les instruments à ma disposition, avec ce qui fonctionne le mieux. Comme je n’ai pas de formation académique, je n’écris pas selon une logique mathématique. C’est plutôt un processus empirique et intuitif. Je m’amuse beaucoup aussi au moment de l’édition, où je vais expérimenter en découpant, transposant, dépitchant ou décalant les choses. C’est vraiment pour moi l’avantage de travailler en home-studio. On peut prendre le temps d’expérimenter, une fois la matière enregistrée. Cela permet une grande créativité et aussi de pouvoir aller dans une direction que l’on n’aurait pas imaginée au départ : créer des ruptures, des passerelles au sein des morceaux.
Cette approche multi-instrumentiste est surtout prégnante dans le cadre de la production phonographique. Les instruments sont comme des outils, des crayons de couleurs. Je ne prétends pas pouvoir tout jouer sur scène. Jusqu’à cet album, j’ai ressenti le besoin de tout maitriser dans l’écriture afin de me réapproprier mon propos artistique et d’essayer sans entrave. En ce moment je travaille sur de nouveaux enregistrements et j’ai de nouveau envie de solliciter des musiciens avec qui collaborer et qui pourraient me surprendre par leurs propositions.
Justement peux-tu nous parler de tes collaborateurs : Julien Varnier à la batterie et Cédric Oléon, Mixage/Mastering ?
Cédric Oléon, l’ingénieur du son avec qui j’ai travaillé, a été d’une aide précieuse. Je crois qu’il a su respecter mon approche DIY tout en restituant un son cohérent. J’avais déjà enregistré en studio avec mes groupes précédents, donc je me suis un peu inspirée de cela, à tâtons. J’ai posé mes micros devant mon ampli et envoyer du son. C’était très grisant. J’ai ensuite posé mes voix et fait progressivement arrangements et éditions. Il a su valoriser mes prises, même si les conditions d’enregistrement n’étaient pas toujours été optimales. Il est aussi force de proposition dans le choix de certains effets sur les voix et les instruments. Nous travaillons à distance car son studio est à Clermont-Ferrand. Cela nous oblige à avoir des échanges précis et structurés et cela laisse le temps de prendre de recul sur les mix qu’il m’envoie, avant de faire un retour. Je sens qu’il comprend dans quelle direction je veux aller et c’est un énorme gain de temps et d’énergie.
Avec Julien Varnier, cela s’est passé autrement. Je suis partie toute seule dans une maison de campagne pour enregistrer cinq des titres de l’album guitare/voix. Les morceaux étaient assez âpres et dépouillés et dégageaient une énergie qui me plaisait bien. Je voulais les sortir comme ça, puis j’ai fait écouter les morceaux à Julien et il était motivé pour m’accompagner sur scène. On a alors travaillé en essayant de trouver les parties rythmiques les plus justes, de laisser respirer les morceaux. J’avais aussi des motifs en tête auxquels il est venu donner corps. Puis l’énergie partagée sur scène ma convaincue d’ajouter ses batteries sur le disque.
Comment fais-tu pour retranscrire l’éventail de tes possibilités sans groupe sur scène ? Vis-tu cela comme une contrainte ou une liberté ?
En allant m’installer en Belgique, j’avais l’intention de chercher un(e) nouveau batteur. Puis j’ai considéré les choses sous un autre angle et je me suis dit que ce serait l’occasion de travailler un set en solo (je l’avais déjà fait au début du projet mais dans une forme moins aboutie). Afin d’avoir une configuration confortable et moins complexe à gérer sur scène, j’ai centré mon set autour du clavier, en retranscrivant certaines parties de guitare au piano. J’ai longtemps hésité à intégrer aussi de la guitare, mais j’avais besoin d’une installation plus compacte. Cela a influé sur l’expression scénique en me permettant de créer un rapport plus intimiste avec le public. Évidemment, cela implique de faire des choix et dans mon cas, d’intégrer un looper pour sampler clavier et voix et de lancer parfois des éléments de production.
J’adore l’énergie et la complicité partagées avec d’autres musiciens sur scène et la richesse que cela peut apporter musicalement et scéniquement… mais c’est aussi une grande fierté d’assumer son projet en solo. Pour enrichir cette démarche, j’ai collaboré avec la vidéaste liégeoise Lily Rensonnet qui a réalisé une vidéo très graphique qui donne une dimension esthétique et immersive au set. J’imagine que la formule va évoluer avec le temps et avec mes prochains enregistrements. Cette expérience est en tout cas très enrichissante et je crois que cela touche les personnes qui viennent m’écouter.
Comment as-tu choisi tes pochettes qui sont des œuvres peintes qui s’opposent presque : l’une très colorée, l’autre d’un bleu lumineux ?
J’ai une sorte de retenue à l’idée de montrer mon visage tel quel sur les pochettes. En faisant de la musique, je crois que l’on explore d’autres facettes de soi, parfois mystérieuses à soi-même. Pour « Tu m’as manqué mon amour », c’est une amie peintre qui m’a offert mon portrait. Je ne m’y reconnais pas totalement mais j’aime l’idée que c’est comme cela qu’elle m’imagine. Le titre de l’EP m’est venu de là d’ailleurs. J’avais envie de me parler comme à quelqu’un que je reverrais après plusieurs années, pour me donner la force d’assumer ce que je pouvais exprimer en tant que musicienne. La pochette de La Verdad résulte d’une séance photo avec Albertine Guillaume. J’avais déjà choisi le titre (La Vérité) et j’avais envie de travailler avec la photo, mais en détournant cette captation de la réalité. Nous avons essayé différentes choses et l’une des photos était presque mystique. Elle l’a ensuite retravaillée avec des encres et cela donne une sensation aquatique où l’on ne reconnaît pas mon visage.
Dans ton rétro tour de l’année 2019, tu dis que « grâce au réalisateur Julien Kartheuser, j’ai coréalisé 10 vidéos qui accompagnent l’album, publiées ou à venir ». Peux-tu nous en dire plus ?
Pour mon premier EP, j’étais partie avec l’idée de faire un clip pour chaque chanson, ce que l’on a fait avec Albertine Guillaume, photographe de formation mais qui s’est prêtée à la coréalisation pour l’occasion, dans une démarche d’expérimentation. J’ai toujours eu le gout de la vidéo. Je n’envisage pas cela seulement comme une manière de mettre la musique en image mais l’occasion de faire une rencontre avec un autre artiste, une autre vision et de proposer une extension à la musique. A Liège, j’ai fait la connaissance de Julien Kartheuser qui prépare son entrée dans une école de cinéma et nos sensibilités se sont bien trouvées. J’avais le fantasme de faire une nouvelle fois une vidéo par chanson mais je n’avais pas le budget ni le temps nécessaire. Nous sommes donc partis sur l’idée d’un clip pour « Superhero » et d’une série de capsules vidéo, comme de courts tableaux pour chacun des autres morceaux. Cela a été intéressant d’y réfléchir ensemble. Au moment de tourner, certaines choses ont bien marché, d’autres ont été créées sur le terrain. Les capsules ne sont pas vraiment des teasers puisqu’il n’y a pas de clip complet derrière ce qui fait que dans cette logique de communication réseau sociaux et compagnie, il n’est pas facile de mettre ce travail en avant…mais je suis contente qu’il existe aussi pour la richesse de cette rencontre.
Propos recueillis par Cathimini avant le confinement
Partiellement parus dans Abus Dangereux 153 (mars 2020)
"La Verdad" CD/Digital (Verdad Rds/Elles en ont)
Photo (c) Albertine Guillaume