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publié par Mélanie Fazi le 08/11/17
Lou
- Le seul moment
Le seul moment

Il suffit parfois de quelques clés éparses, quelques cailloux semés, pour que l’écoute d’un album se teinte d’une couleur particulière. Une phrase lue au détour d’un dossier de presse, qui évoque la mort d’un père et l’après. Une photo d’enfance que Lou faisait circuler lors d’un récent concert pour éclairer les chansons qu’elle s’apprêtait à nous présenter. Les deux nous reviennent en mémoire au moment de découvrir cet album, comme des fragments d’un inventaire qui raconterait une histoire par la simple juxtaposition d’objets. Il nous semble dès lors que, tout au long de cet album, le motif de la perte émerge régulièrement. Que les chansons y sont souvent empreintes d’une forme de nostalgie, de regret, de conscience de la fragilité des choses et du passage inexorable du temps. Habitées par le deuil d’une forme d’insouciance, si ce n’est celui d’une personne.

L’arbre au cœur du monde

C’est une clé potentielle, l’une des histoires que l’on peut se raconter à l’écoute de ce Seul moment. Et le trouble que suscite cet album réside là, dans ce qu’il nous donne à frôler sans le dévoiler pleinement. On le visite comme un paysage intérieur qu’on nous laisserait entrevoir sans nous en fournir la grille de lecture. Il évoque ces périodes d’introspection vers lesquelles la vie nous conduit parfois lorsqu’elle prend un tour inattendu qui nous amène à nous repencher sur notre propre histoire. Il est habité par une impression tenace de solitude, de nécessaire retour sur soi. De retour vers la nature, aussi, omniprésente ici : un arbre auquel on confie ses secrets, une barque vide sur une rivière, où l’on projette aussitôt l’image de Charon sur le Styx.

Parlons-en, de cet arbre. Il semble être ici le pivot de l’album, comme d’autres arbres mythiques occupent le centre du monde. « Il y a un arbre » nous avait saisis dès la première écoute en concert, on le reconnaissait chaque fois aux basses hypnotiques qui l’annonçaient, à son texte plus descriptif et sensuel, plus immédiatement évocateur que ceux des autres chansons. On le retrouve ici tel que dans nos souvenirs, avec sa rythmique obsédante et ses allures de rite païen. L’arbre est grand, fort et droit, il connaît la clé que nos oreilles n’entendront pas. « Il s’en passe des choses qu’on ne sait pas », chante Lou sur le morceau qui ouvre l’album. Des choses qui se dérobent à la parole et que la musique, à sa façon, peut tenter d’esquisser.

Faire le silence

On pourrait décrire cet album comme un chant d’intériorité qui cherche les mots pour se dire sans jamais les trouver pleinement. Les arrangements semblent souvent au service d’une humeur davantage que d’une mélodie ; ils disent une douleur sourde, un malaise tenace, un mystère à portée de doigts. Impression renforcée par les motifs cycliques, répétitifs autour desquels sont construits les chansons. « Ça revient » est porté par un rythme de danse triste, « La houle » par une forme d’urgence, « Il y a un arbre » par un profond mystère. Chacune à sa façon, elles jouent étrangement avec vos propres humeurs, font vibrer des cordes dont vous ne connaissiez pas toujours l’existence, elles remuent quelque chose d’enfoui profondément. Ici, rien n’est jamais appuyé, tout n’est qu’esquissé. Les arrangements sont réduits à l’essentiel, les mots davantage fredonnés que chantés ; toujours dans la retenue, comme pour une confidence.

Il est tentant, pour conclure, de citer les premières phrases de « L’entends-tu » qui semblent si bien décrire ce que nous évoque l’ensemble : « Faites le silence/On ne l’entend pas/Elle est muette/Cette chanson-là/C’est celle qu’on chante/Au fond de la nuit/Pour avoir moins peur de la vie. » Le seul moment est de cette étoffe-là, un album qui demande qu’on se taise, qu’on prenne le temps de se poser pour mieux l’entendre. Qui se présente sans bruit ni fureur, mais qui frémit d’émotions enfouies. Il est à l’image de la Lou que l’on connaît sur scène, avec sa présence indéniable et sa gestuelle étrange : ça pourrait être classique, mais ça ne l’est jamais tout à fait. Et si sa musique est unique, c’est peut-être paradoxalement parce qu’elle ne cherche jamais à l’être à tout prix ; on sent ces chansons-là dictées par une intime nécessité qui les porte ailleurs et nous invite à les y suivre.

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publié par le 08/11/17
Informations

Sortie : 2017
Label : ADCA/L’Autre Distribution

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