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publié par Mathilde Vohy le 04/12/20
Lombre - "J'ai envie que les gens écoutent mes textes mais surtout qu'ils les vivent"

Ses morceaux sont une bouffée d’oxygène, une grosse dose d’espoir même dans les moments les plus anxiogènes. En trois ans et deux EPs, Lombre s’est imposé sur la scène française de spoken word avec des mélodies dansantes et des textes autour de la lumière et du noir, au point d’appeler son dernier opus La lumière du noir. L’artiste nous y invite à magnifier nos failles et à ne jamais baisser les bras. Un disque prenant, émouvant et utile, surtout en cette fin d’année difficile. Intrigués par sa perception du noir et sa relation à Soulages, nous sommes allés à la rencontre du ruthénois.

Salut Andréas ! Tu as sorti ton deuxième EP La lumière du noir au mois de septembre, peux-tu brièvement nous le présenter ?

C’est un EP de 6 titres que j’ai travaillés pendant deux ans et demi et qui a été réalisé par Clément Libes, qui a notamment bossé pour Big Flo et Oli, Amir, Cali et Christophe. Il sait faire un tas de choses et j’ai eu énormément de chance de travailler avec lui. Voilà et sinon ma musique c’est du spoken word, c’est un mélange entre le rap et le slam en gros.

Comme tu le disais, tu as sorti ce deuxième EP deux ans et demi après ton premier. Qu’est ce qui a changé depuis 2017 ?

Mon premier EP est sorti en 2017 et c’était une sorte de premier CV. C’était très spontané, et j’aime ça, mais j’avais besoin d’approfondir l’identité artistique. De trouver précisément un équilibre entre la voix, le texte qui est super dense et la musique. En fait, il faut que la musique entoure bien les textes. Qu’elle ne le cannibalise pas. Tout ça, je m’étais promis de le faire après mon premier EP. J’avais besoin de trouver ce cadre sinon je partais dans tous les sens. Clément m’a beaucoup aidé sur la partie composition musicale.

Comment l’as-tu rencontré ?

On s’est rencontrés par hasard sur une petite date. Je savais qui il était et il habite à Toulouse donc on s’est vu plein de fois, j’avais besoin de lui pour travailler, je savais que c’était la bonne personne !

J’ai aussi l’impression qu’il y a aussi plus d’entrain et de confiance en toi sur cet opus. Est-ce quelque chose que tu as remarqué ?

Complètement ! Le premier était spontané et m’a aidé, notamment à avoir de la visibilité via des prix comme le prix Nougaro ou le grand prix SACEM. Puis le temps est passé par là et j’ai travaillé deux ans et demi donc ça fait grandir. J’ai essayé d’être à la fois précis et sincère, et direct. J’ai voulu faire un disque carré et travaillé.

Cet EP est rempli d’espoir. Tu répètes par exemple, dans « Espoir noir », “L’espoir est noir mais l’espoir n’est pas mort, la lumière brille encore”. Ces messages te sont-ils premièrement destinés ?

Carrément. L’écriture a toujours été un exutoire pour moi. Je m’en suis servi pour mettre sur papier ce qui me faisait mal et pour toujours me rassurer, trouver de la lumière. Donc effectivement l’espoir dans les chansons est primordial. Je n’ai pas envie que les gens pensent que comme c’est introspectif, j’écris des trucs qui font mal. Au contraire, je cherche le meilleur dans toutes les situations décrites.

Penses-tu pouvoir apaiser les peines de ceux qui t’écoutent ?

Je l’espère profondément. J’ai la chance d’avoir de bons retours du public ou des pros. Je sens qu’il y a de l’intérêt pour le projet et je suis content. J’avais besoin de parler de mes failles mais j’avais tout aussi besoin que les gens se sentent concernés par la chose. Sinon je ferai de la musique dans ma chambre en fait.

Ta diction hyper rapide donne l’impression que tu écris et composes de manière impulsive. Est-ce le cas ?

Les choses ont évolué parce que j’ai appris à écrire, à être plus direct, à ne pas perdre l’idée du thème initial. Je partais dans tous les sens dans mon premier EP, là je cadre mieux. Et les prochaines chansons sont encore meilleures au niveau du texte ! Après ça reste impulsif oui. Et c’est quelque chose d’important pour moi. Ça fait partie de l’esthétique et de l’identité du projet. J’ai pas envie d’écrire pour écrire, j’ai envie que ça soit quelque chose qui sorte naturellement de moi.

L’amélioration de ton écriture, a-t-elle été naturelle ou as-tu été aidé ?

Ça a été naturel pour l’écriture ! Je suis assez content de m’être fait tout seul. Ca m’intéresserait de faire des séminaires d’écriture parce que ça ne peut que me faire avancer mais pour l’instant j’ai évolué seul. Je prends du recul, j’analyse ce que font les autres, je comprends les schémas et je m’améliore !

Tu parles beaucoup du noir et de la nuit qui sont souvent assimilés à la tristesse et à la peur. Toi, qu’est-ce que t’inspire la nuit ?

C’est une bonne question ! Moi ça m’inspire plus de la mélancolie que de la tristesse. La nuit m’inspire aussi beaucoup de souvenirs. Dès qu’il fait sombre, au sens propre comme figuré, on a tendance à penser à ce qu’il y a derrière nous en se disant qu’on ne le revivra plus jamais. Il faut se dire qu’il y en aura d’autres, et que justement il faut se battre et aller de l’avant pour se créer de nouveaux souvenirs. J’aime jouer avec les paradoxes et aborder des thèmes pas très joyeux pour en faire ressortir la lumière et l’espoir.

Justement, tu parles du noir et de la nuit sur des mélodies rythmées et colorées. C’est une manière pour toi de les revaloriser ?

Ah oui, clairement ! Dans mon premier EP, je savais que je voulais envoyer de la lumière aux gens mais je n’avais pas trouvé la recette. A l’époque, les gens écoutaient beaucoup en concert mais ne bougeaient pas forcément et c’était un peu frustrant. Sur le deuxième EP je voulais que les gens dansent et vivent ! Le premier les gens s’arrêtaient sur les textes, c’était super, mais j’ai envie qu’ils arrivent à les vivre en même temps ! Et ça c’est pas forcément facile à faire (rires).

Pour finir sur cette thématique, es-tu un homme de la nuit ?

Très bonne question, ça dépend des périodes. Après je suis pas du genre à travailler de 23h à 6h du mat, même si j’aimerais beaucoup l’expérimenter. J’ai essayé tous les formats : écrire avant la musique, après la musique… Et là maintenant j’écris et compose en même temps et on fait ça l’aprem. Mais je rêverais de m’enfermer une nuit entière dans un studio avec toute une équipe. Je pense que ca pourrait plus m’inspirer que faire ca un après-midi par exemple. Je pense qu’il y a une sensibilité différente. Le fait qu’on se sente seul la nuit rend l’expérience plus intime. Il y a aussi plus de place pour que je m’exprime parce que le monde est un peu à l’arrêt. La nuit, la ville dort alors que le jour la vie va à mille à l’heure.

Tu parles souvent des mêmes sujets mais avec un vocabulaire hyper riche et hyper varié. Comment travailles-tu cela ? Es-tu un grand lecteur ?

Ca c’est un truc inexplicable parce que je lis peu et j’étais pas fan de cours de français ! (rires) On me pose des questions sur des techniques d’écriture et je suis toujours incapable d’y répondre ! Quand je te dis que c’est spontané ça l’est vraiment ! Même moi ça me fait halluciner des fois. Ce qui est encore plus fou c’est que des fois je fais des passerelles entre plusieurs phrases d’un texte mais je ne m’en rends pas compte. C’est involontaire et pas du tout conscientisé. J’en suis fier mais c’est quand même mystérieux !

J’ai vu que tu donnais des cours d’écriture. Sens-tu que cela a de l’influence sur tes textes ?

Pendant cette période sans concert j’ai un peu plus de temps pour faire ce genre de choses. J’ai adoré mais je dirais jamais que je donne des cours d’écriture. J’essaye de léguer aux autres cette manière d’écrire très spontanée et je les incite à créer leur propre style. Il y a plein de gens qui cherchent à imiter ce qui se fait déjà et c’est dommage. Il faut laisser son histoire parler, moi, perso ça me touche beaucoup plus dans ce que je lis et j’écoute.

Cet EP fait notamment référence à Soulages, un peintre qui vient comme toi de Rodez. A partir de quand t’es-tu intéressé à ses œuvres ?

Mes parents adorent Soulages donc je le connais depuis toujours. Plusieurs fois, à des concerts, on m’a dit que je faisais du Soulages en musique. A force, je m’y suis vraiment intéressé. Ça m’a beaucoup parlé. Je pense que sa philosophie m’a beaucoup inspiré inconsciemment en fait. Comme on vient de la même ville, je me suis toujours dit que j’essayerai un jour d’écrire un texte sur lui. Et l’année dernière, pour ses 100 ans, Rodez avait créé un appel à projets appelé “Le siècle Soulages”. Pour cela j’ai accéléré la création de ce morceau avec Clément. J’y fais notamment rebondir des phrases de Soulages avec mes couplets. Comme j’étais content du résultat je l’ai carrément ajouté à l’EP qui ne devait faire que 5 titres et je lui ai même donné le nom de la chanson, « La lumière du noir ».

Hormis ces références à Soulages, on découvre également des parallèles au cinéma sur tes EPs, notamment via les clips et les jaquettes des disques. Est-ce un art auquel tu es sensible ?

Oui, mais je suis incapable de te dire ce que je veux précisément. J’ai la chance d’avoir une super équipe qui m’aide à faire quelque chose de léché et précis et qui m’écoute beaucoup. Je trouve que le résultat sur ce deuxième EP est vraiment cool, c’est original et répond bien au projet.

Même la jaquette d’Eau trouble, ton premier EP, était très jolie je trouve, ça ressemblait déjà à une photo de film.

C’est vrai, d’ailleurs j’ai été frustré parce que j’aimais bien l’idée du liquide amniotique pour symboliser la naissance, je trouvais ça original mais j’ai retrouvé l’idée pas mal de fois chez d’autres artistes. Même Shakira l’a fait ! (rires) D’ailleurs je ne sais pas si tu as remarqué mais le fait que j’ai les cheveux mouillés sur la pochette du deuxième EP c’est une réponse au premier !

Tu danses beaucoup sur scène, en plus de la peinture et du cinéma on dirait que c’est quelque chose qui te touche et t’aide à extérioriser ?

Complètement. J’ai fait trois ans de danse en intensif quand j’étais au lycée. Ça m’a aidé à me lâcher et à conscientiser beaucoup de choses par rapport à la scène et à mon corps. J’essaye de continuer à le faire même si je ne veux pas rentrer dans un truc très chorégraphié. Le mouvement m’intéresse plus que la chorégraphie. C’est du spectacle vivant donc il faut qu’il y ait un truc vraiment vivant quoi ! (rires)

Pour finir, Lombre c’est le nom d’un Pokémon, qui, je cite “commence ses activités malicieuses et sournoises au crépuscule”. Ça te correspond bien non ?

Ah ouais ? Je savais pas c’est un truc de ouf ! Mais par contre qu’est-ce qu’il me saoule pour mon référencement sur internet celui la ! (rires)

P.-S.

Merci à Andréas et à son équipe pour le temps et l’espoir au quotidien. Merci également à Apolline d’avoir rendu cette rencontre possible ! Photos © Kevin Spadafora

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publié par le 04/12/20