De Liesa Van der Aa, on a d’abord connu quelques éléments biographiques : jeune violoniste anversoise marquée par la double influence de la musique classique et d’une pop volontiers expérimentale (Velvet Underground and co), précédée par une réputation de prodige éclectique, officiant aussi bien dans la musique que dans le théâtre. On a découvert ensuite par bribes le projet multimédia accompagnant l’album : dix vidéos, une par chanson, chacune réalisée par un artiste différent. Voilà qui retient forcément l’attention, tout en suscitant une vague méfiance. Découvrirait-on dans Troops un univers vraiment personnel, ou des prétentions arty ne débouchant que sur du vide ?
Orfèvres du chaos
Entendus séparément, les quelques morceaux découverts grâce aux vidéos n’avaient pas pleinement réussi à nous convaincre. On cherchait le point d’accroche sans bien le trouver. Restait à s’immerger dans l’album pour se faire un avis, une bonne fois pour toutes. Et là, une étincelle. Dès les premières notes de « Louisa’s bolero », les attentes comme les a priori volent en éclats. Le motif circulaire et lancinant de la chanson, son crescendo séduisant, nous cueillent en douceur. Lorsqu’y succède « Low man’s land » dont l’ambiance de cabaret ivre convoque l’ombre de Tom Waits, on sait que cet album va nous parler. Et sans doute nous accompagner un bon moment.
Pour un album qui sait régulièrement se montrer déroutant, Troops est étonnamment accueillant. On s’y perd comme dans la bande-son d’un film à l’ambiance lynchienne. La soudaine rupture de ton qui fait basculer « Into the foam » dans la bizarrerie pure accompagnerait sans mal les scènes les plus glaçantes de Twin Peaks. Dans un premier temps, on écoute davantage l’ensemble comme un collage sonore que comme une collection de chansons. L’ambiance générale est onirique, avec la part d’étrangeté inhérente aux rêves. On ne s’étonnera pas d’apprendre la participation d’autres orfèvres du chaos comme les musiciens de DAAU ou le producteur/ingénieur du son d’Einstürzende Neubauten.
À tâtons
On pense aussi parfois à dEUS première époque, pour le son du violon comme pour les brusques virages. « Lou » pourrait d’ailleurs être le pendant d’« Instant Street », une mélodie accrocheuse en diable qui s’emballe soudain sur la fin. « Lou » avec son refrain improbable (« Listening to Rosemary Clooney/While driving his pick up truck (…) », avec son souffle grisant, dont l’enchaînement avec « Lost Souvenir » à la chorale entêtante forme le point culminant de l’album. Les chansons de Liesa Van der Aa, même les plus classiques, sont rarement linéaires : elles se construisent couche par couche, elles avancent à tâtons en semant des boucles et des chœurs qui vous restent dans la tête. Au sein d’une même chanson, comme le splendide « Birds in Berlin », la mélancolie éthérée peut soudain basculer dans le chaos. Même au bout de plusieurs écoutes, on ne sait jamais vraiment où chaque morceau nous emmène.
Ce n’est sans doute pas un hasard s’il est si difficile d’isoler un extrait représentatif. « Lou » ? L’album est moins immédiat. « Into the foam » ? Il est moins étrange. « Louisa’s bolero » ? Il est bien moins paisible. Alors comment convaincre d’autres auditeurs de s’aventurer ici comme on se perd en forêt avec une poignée de cailloux ? Il faut écouter l’ensemble pour comprendre. Finalement, Troops se révèle un album aussi fascinant qu’attachant, qui ne ressemble en rien à ce qu’on pouvait en attendre. La surprise n’en est que meilleure.
NB : La série de vidéos accompagnant l’album est regroupée sur un DVD disponible avec le vinyl et une édition limitée du CD. Elle est également visible sur la chaîne YouTube de Liesa Van der Aa.