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publié par Mélanie Fazi le 20/10/14
Lidwine - "Aller dans le sens de sa propre voix"

Nos lecteurs réguliers auront souvent croisé Lidwine en ces pages virtuelles, de chronique en sessions et autres photos de concert, et parfois aux côtés d’autres artistes que nous apprécions comme Mina Tindle ou The Rustle of the Stars. Elle nous a également fait le grand plaisir en 2012 de participer à notre Fête de la musique avec un très joli set acoustique . Dans l’attente de ce premier album annoncé de longue date, nous nous étions promis de lui consacrer une interview le moment venu.

C’est aujourd’hui chose faite. Une semaine avant la sortie de ce très beau Before our lips are cold, nous retrouvons Lidwine dans un café du 20ème pour un entretien autour de son travail, de la préparation de cet album, et autres apartés au fil de la conversation. La séance photo qui suit nous conduira dans un parc paisible des environs après un détour par l’église Saint-Jean Bosco où avait été tournée la première session – photos que nous n’avons finalement pas conservées ici, mais qui nous laisseront quelques joyeux souvenirs.


Il y a dans ta musique un aspect aussi bien électronique qu’acoustique, avec une prédilection pour des instruments un peu hors-norme comme la harpe et l’harmonium indien. Quelle est ta formation musicale ?

Je n’ai aucune formation classique, j’ai dû faire six mois de piano quand j’avais treize ans. Mon premier instrument a été l’harmonium indien, que j’ai toujours et que j’ai appris de manière totalement autodidacte. Ensuite j’ai acheté des petits instruments sur eBay, auto-harpe, zither, des trucs à corde, des instruments étranges, que j’ai appris toute seule dans mon coin. Et puis la harpe, c’est venu en 2010, ça fait quatre ans. Là par contre, j’ai pris deux ans de cours, ça m’aurait paru un peu difficile d’apprendre cet instrument-là toute seule. Je pense que c’est le genre d’instrument sur lequel tu fais trop d’erreurs de position si on ne t’explique pas le B.A.-BA. Par contre j’ai arrêté les cours depuis deux ans et je vogue toute seule. Mais la seule chose où j’ai pris des cours longtemps, c’est le chant. Pas des cours de chant, plutôt du coaching vocal.

Et la partie électronique ?

La première chose que j’ai faite en musique, c’est d’acheter un séquenceur, un petit QY70, un gros, un QY700, et un ordinateur, clavier maître et j’ai bidouillé. Mes premiers essais en musique, c’était avec des machines, pas des instruments.

D’un point de vue un peu naïf, on pourrait se dire qu’il y a quelque chose de paradoxal à aller d’un côté vers l’électronique, de l’autre vers ce genre d’instruments plus classiques.

Je ne sais pas s’il y a un paradoxe… Je ne le vois pas du tout comme ça, plutôt comme plein de choses à disposition avec lesquelles jouer et essayer de construire quelque chose. Et ils ont chacun leur valeur. En électronique, il y a des sons que tu ne pourras jamais obtenir avec l’acoustique et inversement. Ça a sa raison d’être des deux côtés.

Sous quelle forme te viennent tes morceaux ?

Ça dépend. Pour « No Monkey » par exemple, c’est sûr qu’il est venu harpe/voix au départ, mais très vite j’ai enregistré la harpe en MIDI sur mon ordi et construit mes arrangements autour. Après, la version album est encore plus arrangée que ce que j’avais prévu au départ, parce qu’il y a eu l’intervention d’autres personnes et que parfois j’ai laissé des gens faire des propositions, du coup ça a pris une autre envergure que ce qui était prévu. Par contre, « Patterns on the panes » par exemple, c’est électronique au départ, c’est vraiment composé sur ordinateur et uniquement fait sur ordinateur. Il n’y a pas de recette.

Ça s’entend un peu dans la structure respective des morceaux.

Avec la harpe, quand j’ai juste un instrument à gérer, j’ai tendance à me permettre plus facilement des évolutions de structure et à suivre ma voix, alors qu’avec le séquençage sur ordinateur tu as tendance à créer des structures plus « normales », peut-être instinctivement. Parce que tu vois tes parties. Ce n’est pas du tout la même manière de penser quand tu es sur un instrument et que tu joues. Alors que quand tu travailles sur un ordinateur, tu penses par parties, j’ai l’impression. C’est plus visuel.

Sur l’album, un certain nombre de morceaux ont une structure un peu similaire : ils commencent de manière très dépouillée et des couches successives viennent se superposer au fur et à mesure. Par exemple sur « Duet for ghosts », « Holy night », « Blow the horns » ou « Protective ».

Oui. Et encore, quand on compare « Duet for ghosts », « Holy night » et « Blow the horns »… C’est un peu l’idée de ces structures qui sont non répétitives, qui n’ont pas de refrain dans ces trois-là. Enfin si, dans « Duet for ghosts », il y en a un à peu près. Mais c’est un long fil qui se déroule et qui arrive vers une espèce d’apothéose. « Protective » a un peu ce truc-là aussi, ça monte vers la fin, mais elle est quand même plus couplet/refrain.

Elle est plus marquée électronique.

Oui, et plus « chanson classique ». Et en live, elle finira le set et elle va finir très noise, vraiment énervée, saturée.

Plusieurs de tes chansons existent en deux versions, soit sur les deux EPs, soit sur No Monkey et sur l’album. Est-ce que, pour toi, une chanson n’a jamais de forme définitive ?

Il y en a une que tu arrêtes parce que tu la fixes sur un enregistrement, mais pour moi elles peuvent avoir autant de formes que… C’est le truc des arrangements : je ne dis pas que si je devais refaire l’album, je ferais la même chose. C’est tellement dans l’instant, dans les rencontres, dans les décisions que tu prends qui sont inscrites dans un moment donné, que si tu décales tout d’un mois, tu fais un truc complètement différent. Et puis si je dois les réarranger quelques années plus tard, je pense qu’elles seront complètement différentes aussi, parce que tu évolues. Donc oui, pour moi, la structure est là, l’ossature, et ensuite il y a la chair autour, et les fringues, et le chapeau, etc. Et ça peut être vraiment différent, je pense.

D’autres artistes peuvent avoir l’impression qu’une chanson est fixée une fois enregistrée et qu’on passe à autre chose, mais ce n’est pas ton cas.

J’ai eu longtemps l’angoisse de fixer les choses, de me dire « C’est ça et on arrête ça ». Et puis j’ai compris que ce n’était pas gravé dans la pierre non plus, que c’était un instantané d’un moment, et qu’ensuite on pouvait avancer et continuer à faire évoluer. Et c’est ce qui se passe quand tu es sur scène aussi, même si tu as fixé des choses avant sur disque : ça continue à changer, à évoluer avec la scène, avec d’autres énergies, d’autres musiciens. J’ai arrêté de m’angoisser et c’est une bonne chose, parce que ça te libère, une fois que tu comprends que tu n’as plus besoin de te dire « Il faut que ce soit absolument parfait », et du coup tu n’arrives jamais à t’arrêter. Alors que non, c’est toujours un « work in progress » je pense.

Comment en es-tu venue à enregistrer ton deuxième EP, No Monkey, à l’église Saint-Merri, que tu considères comme une parenthèse puisqu’il est entièrement acoustique ?

C’était suite à une discussion avec Frédéric D. Oberland. Je savais qu’il allait me falloir encore pas mal de temps pour l’album, le EP était sorti en 2010, je pensais que c’était bien que je fasse quelque chose en termes d’actualité, et Fred m’encourageait toujours à dire que mes morceaux existaient aussi tout seuls, juste avec un instrument et une voix. Comme je savais qu’il était en contact avec les gens de Saint-Merri, il m’a mise en relation avec Marguerite qui s’occupe de ça et on a réussi à avoir l’église un soir pour enregistrer avec Frédéric, qui en plus a joué un rôle assez important dans l’histoire globale puisqu’il m’a présenté à Benoît Bel, de Mikrokosm. Et ça a été une vraie rencontre, c’est quelqu’un avec qui je vais travailler très très longtemps, et que j’adore, et en qui j’ai confiance, pour une fois que je me retrouve dans un studio et que je me sens bien derrière un micro et avec quelqu’un à la console… Merci Fred. C’est pour ça que je le remercie dans l’album.

Après avoir sorti No Monkey et beaucoup joué sur scène en formule solo acoustique, est-ce que tu as eu peur de te retrouver enfermée dans cette image ?

C’était mon inquiétude dès le moment où j’ai pris la décision de le faire, j’avais peur que les gens réduisent ma musique à ça. Je pense que c’était le cas de certaines personnes. Je sais que par exemple j’ai eu des chroniques dans des webzines qui ne me reconnaîtront pas sur l’album, c’est évident. Eux l’ont pris comme un truc très folk alors que je ne me suis jamais considérée comme folk. Mais tant pis, tu ne fais pas non plus les choses en calculant. C’est vrai que ce sont peut-être des gens que j’ai amenés à écouter ma musique et qui ne me suivront pas du tout sur la suite. Tant pis, ce n’est pas grave, c’est comme ça.

Après cette parenthèse et ce passage par des versions dépouillées, as-tu abordé différemment le retour à l’électronique ?

Je pense que ça m’a aidée effectivement à conserver le… Parce que sur « No Monkey » j’avais prévu vraiment de mettre de l’électronique, sur « Duet for ghosts » aussi, du coup peut-être que ça m’a permis d’être plus dans la retenue et de me dire que ça pouvait exister en acoustique, même s’il y a des petits traitements après en électronique dans les voix, etc, mais c’est de l’habillage, ce n’est pas profondément électronique. Mais ça m’a permis de me restreindre, de me dire que ça pouvait exister en acoustique pur. Ça a été une bonne leçon de me rendre compte que les morceaux fonctionnaient aussi de manière simple sans en mettre des tonnes. C’était un peu mon défaut sur le tout premier EP. Mais je pense que c’est parce qu’à part « In the Half-Light », les chansons n’étaient pas hyper solides en termes de mélodie, donc j’avais peut-être besoin de tricher un peu plus avec les arrangements.

À part « In the Half-Light », les chansons étaient plus atmosphériques que mélodiques effectivement.

Je pense aussi que c’était un manque de compétence de ma part, d’un point de vue rythmique notamment. Je pense qu’il y en a qui seraient peut-être plus ramassées en tempo, qui fonctionneraient mieux. C’était mon premier essai, j’ai appris plein de choses en le faisant parce que j’ai fait les choses toute seule, mais c’est plein d’erreurs, évidemment. Je crois qu’il faut passer par ça pour avancer et être capable d’apprendre par soi-même, de faire des erreurs pour essayer de s’améliorer.

Après un premier EP électronique et un deuxième acoustique, on annonçait cet album comme un retour à l’électronique mais on y entend une volonté de concilier les deux.

C’est peut-être aussi le reflet de ce que je suis musicalement et de ce que j’aime musicalement. Je suis capable d’écouter Beyoncé, d’aller écouter Steve Reich ou du classique, et je passe de l’un à l’autre sans aucune difficulté. Ce sont ces deux côtés-là qu’on entend aussi. Et peut-être qu’on les cloisonne électronique/acoustique parce que, de fait, j’ai tendance en acoustique à avoir des structures qui ne sont pas des structures pop, et en électronique à avoir des structures pop, du coup on les rattache à ça. Mais je pense que c’est vraiment ce truc d’aimer ces deux choses-là, de vouloir les réunir, d’essayer de faire une pop « intelligente ». C’est marrant parce que j’ai reçu un mail d’un musicien italien que je connais depuis un moment qui m’a dit « Il y a deux âmes en toi, l’âme pop et l’âme expérimentale, et tu es tout le temps à te balancer entre les deux. » Mais moi, ça me va très bien. C’est pareil, ce n’est pas un calcul, tu fais ce que tu es.

Ce mélange d’influences très diverses, c’est quelque chose qu’on peut rapprocher notamment de la démarche de Shara Worden (My Brightest Diamond), dont tu as écouté le dernier album…

Elle a une grosse formation classique, quand même.

Et en même temps elle cite des gens comme Whitney Houston parmi la musique qu’elle a écoutée.

C’est ce que je sens aussi dans sa musique, dans la liberté de ses structures. Et puis il y a un côté très lyrique, même dans sa manière de raconter les choses. Pour moi, c’est de l’opéra moderne, presque. C’est pour ça que je m’y retrouve aussi, surtout cet album-là avec la jolie production qu’il y a derrière.

Au niveau des rythmiques, il y a peut-être un lien entre vos albums.

Oui, peut-être. Mais peut-être aussi… Je ne sais pas, ce ne sont que des suppositions, mais peut-être que quand tu as écouté beaucoup de classique, tu n’es pas sur des trucs super binaires, tu as un sens du rythme qui est complètement différent. Après, j’ai écouté beaucoup de Prince, qui a des rythmiques qui ne sont pas seulement « boum tchac », il y a des couches et des couches. Je ne pense pas que j’ai le groove de Prince, hein… (rires) Mais je pense que ça m’a appris beaucoup de choses au niveau de la prod et aussi du traitement des rythmiques.

On parlait de Shara Worden, elle reprend justement sur scène « When doves cry ».

Je pense qu’en fait les gens que j’aime aiment Prince. Natasha Khan [Bat For Lashes] l’a clairement cité pour le deuxième album. Shara Worden, c’est marrant… Il y a une autre nana que j’écoute en ce moment qui s’appelle Gazelle Twin, c’est de l’électronique assez dure, c’est une folle de Prince aussi. En même temps je pense qu’il a influencé beaucoup, beaucoup de gens. Et peut-être beaucoup de filles aussi.

La façon dont tu décris ta démarche renvoie à d’autres artistes à qui on t’a comparée, comme Björk qui revient souvent, ou quelqu’un comme Kate Bush à qui ton album fait penser par moments.

Je ne connais pas très bien le travail de Kate Bush, je suis allée piocher les morceaux qui m’intéressaient dans les albums. Je n’ai jamais vraiment écouté un album en entier, je sais que j’ai tort mais il y a plein de trucs en prod qui me posent problème, les sons de basse, les reverbs, j’ai vraiment du mal. Mais j’admire sa liberté d’un morceau à l’autre de faire des choses radicalement différentes, ça peut être très très pop, vraiment des hits pop, et d’un seul coup un truc complètement ambient, ou bizarre, pseudo traditionnel… Ça, j’adore. Je trouve que ça devrait être tout le temps comme ça.

Les trois ont quelque chose en commun avec toi qui est un côté onirique dans les ambiances.

C’est marrant parce que je ne le vois pas forcément comme de l’onirisme. Je ne peux parler que pour moi, mais je m’éloigne forcément de ce qui est référencé. C’est pour ça que je n’aime pas la guitare. Je ne peux pas utiliser une guitare parce que ça me rapproche trop du rock, et je ne suis pas rock. J’ai du mal à utiliser de la batterie, enfin là on en a utilisé quand même, mais mélangée à d’autres sons électroniques en général. Dès que je sens que c’est ancré dans un truc qui préexiste, ça me pose un problème. Et donc, de fait, je prends des sons qui font que tu sors de la réalité telle qu’on la connaît, du coup tu trouves que c’est onirique parce que ça t’amène ailleurs, je pense que c’est dû à ça, c’est-à-dire à ma volonté de ne jamais risquer trop d’être rattachée à un courant existant. Et ce n’est pas un truc intellectuel, c’est viscéral. À chaque fois que je sens que je pars dans ce sens-là… « Ah non ça ne me plaît pas, j’efface et je recommence. »

C’est peut-être aussi parce qu’il y a dans ta façon de chanter un phrasé assez particulier qui sort encore plus des références.

Peut-être. Alors évidemment, à chaque fois on me parle de Björk à cause du phrasé mais c’est bizarre, quand je l’écoute, je me dis qu’on ne chante pas du tout de la même manière. On n’utilise pas notre voix de la même manière. Quand je l’écoute, je me dis : « Qu’est-ce qu’elle envoie tout le temps, elle est tout le temps à fond. » Je pense que je ne suis pas du tout comme ça, j’ai une voix beaucoup plus fluette, dans le sens où elle a une voix beaucoup plus rocailleuse. Mais c’est pareil, les gens que j’aime écouter sont les gens qui n’ont pas des phrasés que tu as entendu quinze fois. Normalement, on a chacun notre caractère vocal, et il y a plein de gens qui donnent l’impression de l’avoir effacé pour rentrer dans une espèce de mode. Parce qu’il y a des modes, en plus, avec les voix c’est vraiment clair, il y a des moments où toutes les filles et tous les mecs se mettent à chanter pareil.

Et c’est dommage, on a tellement chacun notre identité, et c’est ce qui fait l’intérêt et la beauté d’une voix et ce truc personnel qui t’attire. Il faut aller dans le sens de sa propre voix, et moi, la mienne, c’est plutôt… J’ai plutôt l’impression, quand je ne chante pas mes morceaux et que je reprends du jazz ou des trucs comme ça, que je transforme ma voix parce que je chante « à la manière de ». Et ce n’est pas ma voix naturelle. Il n’y a que quand je travaille sur mes morceaux que j’ai l’impression de la laisser sortir un peu comme elle doit sortir. Après, heureusement que tu contrôles sinon tu ferais n’importe quoi, mais c’est là où il me semble que je ne la transforme pas en quelque chose qu’elle n’est pas au départ.

La préparation de l’album s’est étalée sur un certain temps, tu parlais de trois ans en interview ?

Oui, je pense, parce qu’en 2010 il y a eu le premier EP, j’ai dû commencer en 2011… C’est ça, trois ans. Enfin pas à fond les ballons pendant trois ans, il y a eu des moments… J’avais commencé à enregistrer avec Alexandre Mazarguil qui est cité dans l’album, au Frigo, et puis au bout d’un moment je sentais que ça ne ressemblait pas à ce que je voulais, que ce n’était pas encore prêt, qu’il fallait beaucoup plus de temps. Alors j’ai arrêté, j’ai laissé reposer plusieurs mois, j’y suis revenue, j’ai fait No Monkey, j’ai rencontré Benoît, et c’est à partir de ce moment-là que je m’y suis vraiment recollée pour de bon. On a commencé à prévoir des dates de travail ensemble, et ensuite je suis allée à Lyon trois ou quatre fois, entre des moments où on enregistrait les voix, des moments où on enregistrait la harpe, mais je retravaillais beaucoup à la maison. Mais là, par exemple, les derniers six mois ont été bien intenses. Et avec l’envie de finir.


Il y a sur l’album un très beau travail sur les chœurs, qui tiennent un rôle important dans plusieurs morceaux comme « Before our lips are cold » et « Blow the horns ». Peux-tu nous parler de ce pool de choristes dont tu fais partie et qu’on retrouve sur les projets des unes et des autres ?

Je me demande comment ça a commencé en fait, cette histoire. Est-ce que c’est Pauline [Mina Tindle] ? Parce que déjà, sur les premières vidéos du Cargo qu’on a faites, il y a Pauline, il y a Clotilde [Veillon], il y a Barbara [Silverstone], et Claire Deligny. C’était même avant qu’on fasse les chœurs pour Pauline, je pense. Enfin peu importe, mais à une époque, j’avais lancé l’idée qu’on se réunisse pour s’entraider entre filles faisant la même chose, c’est-à-dire avec nos propres projets. Je m’étais dit que toutes les semaines ou toutes les deux semaines, on pouvait se faire un thé et s’échanger des trucs. Mais comme chacune avait un emploi du temps chargé, ça ne s’est jamais fait. Et donc la première fois qu’on a été vraiment été réunies avec le pool, c’était Mina Tindle et ça devait être à la Maroquinerie. Il y avait Emma [Broughton], Diane [Sorel], Dorothée [Hannequin] et moi, je crois. J’avais déjà fait des chœurs il y a longtemps pour Dorothée, parce que c’est une amie de longue date… Ça s’est fait un peu naturellement. Il y a le plaisir de soutenir les autres derrière aussi, alors qu’on est presque toutes solistes. Le plaisir d’être juste derrière et de donner de l’énergie, d’être entre copines et de soutenir une autre copine qui est devant, je trouve que ça fait du bien.

Sur certains morceaux de ton album, les chœurs sont vraiment marquants. « Blow the horns » et « Before our lips are cold » n’auraient pas le même impact sans eux.

On va essayer en live de faire « Before our lips are cold » en version minimale, sans cuivres et sans chœurs, on va voir ce que ça donne mais ça peut être intéressant. Elle aura moins ce côté épique mais plus le côté organique et percus, enfin plus tribal. Au début, pour moi, elle ne devait pas être épique, elle devait être beaucoup plus tribale que ça. Mais c’est aussi la manière dont j’ai enregistré les chœurs, je ne les ai pas enregistrés en proximité. Du coup, il n’y a pas beaucoup de chair au niveau des chœurs, c’est très large mais pas exactement ce que je voulais. Donc elle a pris un côté hyper épique que je n’avais pas prévu. Ça arrive, des fois, les accidents. Il y a un moment où tu luttes, tu luttes, et puis tu dis « Bon, d’accord, ça va dans ce sens-là, on arrête, elle sera épique et puis voilà. » Et sur « Blow the horns », il y a Diane et Emma, plus ma voix, on a mélangé les trois. Là, je pense que c’est important sur la fin d’avoir les chœurs. C’est toujours beau, je trouve, les chœurs. J’en mets partout de toute façon.

Ce morceau était un des plus marquants de tes concerts récents, quand tu descendais dans le public avec ta harpe, entourée des choristes.

Au début, cette chanson avait déjà des chœurs quand je l’écrivais. Et puis c’est beau d’être portée par les voix, de ne plus être soliste à un moment et de sentir toutes les voix qui t’accompagnent, c’est quand même un vrai plaisir.

Dans les textes des chansons de l’album, on retrouve souvent une sorte de quête de moments de grâce ou de transcendance. C’est presque un fil conducteur.

Je me rends compte que l’album a vraiment été conçu dans une période où je n’ai plus eu d’histoire personnelle pendant très longtemps. Et du coup j’étais dans le questionnement, ou à un moment plus de questionnement d’ailleurs, je me disais : « C’est comme ça, je n’aurai plus jamais d’histoire et à ce moment-là je vis simplement dans une espèce d’imaginaire où il peut arriver des choses, mais ça n’arrivera pas dans la vraie vie », avec quand même un petit espoir que je me cachais quelque part, bien enfoui. C’est pour ça qu’il est dédicacé à mon compagnon. Et pour tous les morceaux, je me dis que c’est comme si je l’avais attendu, que j’avais parlé de cette personne-là et que d’un coup il soit arrivé alors que je pensais que ça n’arriverait jamais. Mais pour en revenir à cette histoire d’instants de grâce… Oui, l’envie de revivre quelque chose, de savoir si tu peux à nouveau interagir avec un autre être humain. Et vivre à la fois dans une espèce de souvenir de rencontres que tu as eues et l’espoir que quand même, à un moment, il va arriver à nouveau quelque chose même si tu n’y crois plus.

Comment en es-tu venue à jouer « Holy Night », qui est plus ou moins une reprise de « Silent Night » mais pas tout à fait ?

Je pense que c’était un jour où je n’allais pas très très bien, peut-être avant Noël, je ne m’en souviens pas, et j’ai voulu reprendre le traditionnel « Silent Night ». Et puis vu que je l’avais attaqué harmoniquement très différemment de la vraie version, ce qui m’a emmenée complètement ailleurs. De mon point de vue, j’estime que c’est un morceau à moi, qu’il y a juste une citation au départ d’un traditionnel, mais je pense qu’il ne va pas être considéré comme ça par la SACEM. Mon éditeur a posé une demande pour essayer de le faire enregistrer comme un original, au moins considérer que les arrangements sont des arrangements nouveaux. Mais je n’y crois pas. Moi, je le considère comme un morceau à moi avec simplement une citation de départ qui sont les deux phrases de « Silent Night ». Et en plus j’ai changé une partie des paroles… C’est un emprunt, comme un sample dans une chanson. C’est un truc que j’ai pris et qui fait partie du domaine traditionnel, qui appartient à tout le monde, et que j’ai amené ailleurs.

Tu as participé récemment à la pièce Liliom de Ferenc Molnar mis en scène par Jean Bellorini, où tu joues de la harpe et chantes « Blow the horns ». Comment t’es-tu retrouvée dans cette aventure ?

Par le biais d’un ami, Sébastien Trouvé, qui a travaillé plusieurs fois avec Jean Bellorini en tant qu’ingénieur son, et qui cette fois-ci était amené à gérer le son et surtout la musique. Et à la demande de Jean Bellorini qui souhaitait une harpiste, il nous a mis en contact, Jean est venu me voir en concert. Et puis ça s’est fait assez naturellement, j’ai été embarquée dans l’histoire pour mon plus grand plaisir et en apprenant un maximum de choses dans un environnement qui n’était pas le mien : le travail avec les comédiens, la mise en scène, la mise en lumière, la mise en son, en musique… J’ai appris énormément de choses, et puis ce n’est pas terminé, puisqu’on va encore tourner fin 2014, en 2015 et en 2016.

Est-il facile de concilier ces différentes activités, la sortie de l’album d’un côté, la pièce de l’autre ?

Ce n’est pas facile en termes de gestion de son temps, de l’énergie, etc. Mais je pense que ça fait du bien de ne pas être tout le temps sur son projet personnel égocentré et égotique, et de travailler pour les autres de temps en temps, de ne pas avoir la responsabilité aussi d’être tout le temps maître à bord et à la barre en permanence. Là, ce n’est pas moi qui suis à la barre, je suis là pour servir le projet de quelqu’un d’autre, et ça me va aussi pas mal. Je ne pourrais pas me réduire à ne faire que ça non plus, mais de pouvoir faire des aller-retours entre les deux, c’est plutôt agréable.

Comment abordes-tu la sortie de l’album par rapport à la sortie des EPs ?

La grosse différence, c’est que pour moi, l’album représente vraiment ce que je suis maintenant. Donc je n’ai aucune peur, ça plaît, ça ne plaît pas, ce n’est pas le problème. Je suis tellement contente de ce qu’on a réussi à faire et du travail accompli par rapport à mon premier EP, et d’avoir enfin quelque chose qui soit représentatif de ce que je suis musicalement, que ça ne m’enferme pas dans un genre particulier comme c’était le cas du EP précédent, je n’ai pas d’angoisse par rapport à ça. Après, j’essaie de me battre pour qu’il soit le plus visible possible, mais je n’ai pas de structure derrière moi, volontairement, pas d’attaché de presse, je fais tout moi-même, donc je sais que j’aurai une visibilité assez réduite mais qui me convient aussi. L’important, c’est que j’arrive à trouver le public à qui ça correspond, trouver les gens qui aiment ce genre de musique et arriver à être en contact avec eux. Je préfère ne pas en avoir beaucoup, mais bien fidèles et bien contents de ce que je fais plutôt que d’être très visible et d’avoir des gens qui ne vont peut-être pas me suivre sur le long terme. Je préfère construire ça très lentement mais solidement.

Est-ce pour le même genre de raisons que tu n’as pas de structure ?

Je n’ai pas envie d’avoir à perdre de l’énergie en discutant ou en défendant ma manière de voir. J’ai envie d’avoir la liberté de gérer les choses comme je le veux sans avoir à tout le temps me justifier. C’est pour ça que j’ai toujours préféré ne pas avoir de structure pour gérer ça. Les seules structures que j’ai sont mon tourneur, Les Tontons Tourneurs, et mon éditeur, et ça se passe très très bien. Mais l’idée d’un label m’a toujours fait peur, parce que d’après le peu de copines avec lesquelles j’ai discuté qui ont eu ou qui ont encore des labels, en général, il y a quand même des moments pas très sympathiques, et j’ai envie de m’éviter ça. Et il y a une espèce de volonté de prouver et de me prouver, même si c’est à petite échelle, que c’est faisable tout seul et qu’on n’a pas forcément besoin d’une structure. Et je pense que c’est aussi une autre forme de calcul : si on enlève les intermédiaires, on n’a pas besoin de vendre d’énormes quantités, parce qu’il y a moins de gens qui prélèvent une somme en passant. Du coup, ça permet peut-être de vivre avec une petite économie qui me conviendrait tout à fait, parce que je n’ai pas de velléités de me retrouver placardée en 6x3 dans Paris. Si je trouve cet équilibre dans une petite économie qui me permet de vivre et de continuer à faire des albums tous les deux ou trois ans ou peut-être plus, ça me va. Et avec la liberté d’esprit, et que ça ne soit jamais fait dans la douleur et le fait d’avoir à batailler pour obtenir quelque chose.

Pour les concerts qui suivront la sortie de l’album, la formule sera-t-elle différente par rapport à ce qu’on a pu voir récemment ?

Oui, il y aura une formule en duo avec un batteur qui gèrera tout l’électronique, donc batterie électronique avec Octapad et Push d’Ableton, ce qui va me libérer de la gestion de l’électronique et puis apporter beaucoup d’énergie, je pense : il y aura toujours une base de certaines séquences qui seront dans les machines, mais une grosse partie va être jouée. Ça va être beaucoup plus vivant et on va pouvoir se permettre plus de choses, enfin je vais pouvoir me permettre plus de liberté sur scène et modifier un peu certains morceaux. Il y aura toujours des moments purement acoustiques sur « No Monkey », « Blow the horns » etc, mais il y aura aussi le plaisir de ne plus être toute seule sur scène. Et d’apporter une nouvelle énergie avec la batterie.

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publié par le 20/10/14