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publié par Nausica Zaballos le 09/12/09
Les Vies privées de Pippa Lee - Rebecca Miller
Rebecca Miller

Un film confession ?

On pourrait s’attendre à un film confession en allant voir Les vies privées de Pippa Lee, née Sarkissian. Il s’agit de cela et bien plus. La scène d’ouverture voit Pippa recevoir les éloges d’un cercle d’intellectuels réunis lors d’un repas de famille à l’occasion du déménagement de Pippa et son mari, célèbre éditeur newyorkais. Tout est dit dans cette scène inaugurale, l’intelligence de Pippa, sa solitude également et surtout sa frustration. Frustration d’être prise pour une énigme par la majeure partie de son auditoire. Lassitude de devoir endosser à contrecœur des masques pour coller à l’image que ses différents convives, amoureux transi, fausse amie et lâche mari se font d’elle. Alors Pippa va parler à la caméra de ses différentes vies, celles qui contredisent ou viennent renforcer sa stature d’épouse modèle...La confession sera tortueuse, pire encore... car elle renforcera l’aura énigmatique qui colle à Pippa depuis des années...Mais au cours de ce processus douloureux d’introspection, Pippa aura enfin gagné la confiance et la tendresse de sa fille, l’horizon d’une véritable relation amoureuse fondée sur l’acceptation et le désintérêt et un sommeil paisible. Pippa semble avoir tout pour être heureuse : son mari, victime de plusieurs crises cardiaques, a enfin décidé de faire passer sa carrière au second plan. Elle et lui ont emménagé dans une grande demeure loin du tourbillon médiatico-intellectuel de la grande ville. Mais, bien vite, le spectateur comprend qu’une tombe s’est refermée sur Pippa qui se retrouve désœuvrée, gagnée par l’ennui, avec pour seule amie une vieille dame. Et le passé, sans garde-fous, sans frontières imposées par l’activité professionnelle, familiale ou la sexualité resurgit.

Le mensonge d’une mère folle.

La littérature psychanalytique regorge d’exemples où les mères sont accusées d’être responsables de l’irruption des troubles mentaux de leur progéniture. Le récit de Pippa est l’illustration parfaite de comment les déviances de la mère peuvent nourrir les névroses et le mal-être de la fille. Les Vies de Pippa Lee retrace les différents moments de la vie d’une femme : son enfance, son adolescence, sa vie d’épouse et de mère...Cependant, le film aurait également pu s’appeler Le souvenir de Suky... Suky, la mère de Pippa qui pendant des années a su maintenir une façade que sa fille a fini par lézarder. Tout au long du film suinte un terrible secret qui hante la jeune femme accomplie jusque dans sa nouvelle demeure : la folie d’une mère. Le secret au cœur de la demeure familiale, de la communauté paroissiale, du cercle d’amies et de la nouvelle famille constituée par Pippa et son mari. Le secret qui engendre la honte, la peur et la culpabilité, empêchant ainsi d’avancer dans le monde librement et sans masque. Cet inavouable secret, Pippa s’est pourtant évertuée à le crier à tous au risque d’être elle-même prise pour une cinglée. Pour guérir, il lui a d’abord fallu fuir sa famille et tourner le dos à une enfance qu’elle s’était imaginée belle...

L’enfance et l’adolescence selon Pippa

L’enfance d’abord...avec ces merveilleux souvenirs d’une admiration pour sa mère, Suky, remarquablement interprétée par Maria Bello. Un amour fusionnel qui finit par littéralement ravager l’esprit et le corps de Pippa lorsque son frère, alors adolescent, lui fait remarquer que sa mère, en apparence si parfaite, est finalement folle à lier. Une double personnalité que tout le monde fait mine d’ignorer pour éviter à la famille de voler en éclat et surtout sauvegarder les apparences au détriment de la stabilité émotionnelle de Pippa. Car si Suky maintient cet équilibre entre des périodes où son activité bouillonnante et efficace semble tenir du surnaturel et des moments d’intense désespoir auxquels seuls Pippa semble être en mesure d’y mettre fin, c’est grâce au speed, qui donne l’énergie nécessaire pour éviter de prendre conscience que malgré la tranquillité apparente, rien ne va. Le drame de Suky n’est pas uniquement la toxicomanie, c’est la dépendance affective...un besoin d’amour qui vampirise les autres et en particulier sa fille. Se rendant indispensable à tout le monde, parfaite maîtresse de maison, Suky a réussi à faire accepter ses troubles psychologiques, à les rendre légitimes presque...Un mari et des fils infantiles, trop heureux de retrouver un repas servi à table et une dévote à l’Eglise...Seul Pippa se révolte, et peut-être parce qu’elle est la seule à réellement aimer sa mère. Mais, c’est lorsqu’elle prend conscience que le processus d’identification est dangereux qu’elle parvient enfin à quitter la demeure familiale. Pippa ne souhaite pas devenir la même droguée que sa mère...Pourtant, elle va reproduire. Pour guérir, encore faut-il affronter le monstre au regard angélique, ne pas fuir et se souvenir...

Se souvenir pour guérir

Ce n’est qu’en prenant un peu de distance que l’on est en mesure d’assembler les pièces disparates du puzzle et réinterpréter les souvenirs qui ne cadraient pas avec le ressenti et démentaient l’apparente cohérence du tableau de famille, accroché de biais à la vue de tous. Alors qu’elle vient d’emménager dans sa superbe demeure en grande banlieue, des faits inhabituels se produisent dans la cuisine...Pippa est persuadée qu’un visiteur nocturne vient cambrioler son frigidaire chaque soir. Craignant également pour la santé mentale de son mari âgé, Pippa se demande si les ahurissantes découvertes du petit matin ne seraient pas la preuve d’un début d’Alzheimer chez son époux. Mais la caméra qu’elle installera va révéler qu’elle souffre de somnambulisme...un somnambulisme qui va s’accompagner d’une remontée des souvenirs...Les Vies de Pippa Lee offrent un voyage dans l’inconscient. Un inconscient toujours prêt à surgir, au travers de troubles du sommeil, d’angoisses, de pleurs ou de situations quotidiennes qui semblent dérailler...la lassitude de Pippa, c’est son amnésie. Une amnésie partielle car on comprend au détour d’une scène que son mari, son sauveur, son découvreur, son accoucheur, lui a déjà permis de parler du passé au début de leur vie commune. Mais maintenant que Pippa semble montrer des signes de fatigue, de chancellement psychologique, le nom et le souvenir de la mère folle sont bannis. On comprend la colère du mari. Après tout, c’est bien lui qui a sauvé Pippa d’un avenir incertain.

La fuite, oui mais après ?

Si Suky avait fait ses adieux à sa véritable personnalité, Pippa le reproduira en se laissant enfermer dans un rôle, incapable de se libérer de la culpabilité d’avoir abandonné sa mère à ses démons. Les fuites successives de Pippa montrent qu’elle a bien du mal à se débarrasser du modèle maternel. Échouant tout d’abord chez sa tante lesbienne, elle finira à la rue après avoir suscité le désir des compagnes de jeu de sa tante. Et Pippa posera pour des photos érotiques d’un genre particulier, rappelant que rien ne l’y forçait, juste parce qu’elle aimait l’attention qu’on lui prodiguait. Et l’on pourra faire le parallèle avec les scènes d’enfance où Pippa, déguisée en Barbie, était l’unique objet d’amour d’une mère en transe. Une mère perverse dont Pippa mettre plusieurs années à s’affranchir. Le drame de Pippa, c’est d’avoir été prisonnière d’un miroir...un miroir des plus dangereux car il n’est jamais le sien mais celui d’une autre... Pippa pense que pour ne plus souffrir, il faut oublier. Elle se gave alors de drogues et de sexe, incapable de voir qu’elle devient la réplique inversée de sa mère. Le mérite de l’alliance apparemment improbable entre Pippa la séductrice et le vieil intellectuel est d’avoir permis à Pippa de dire...Ce que son père n’a pas voulu entendre, son mari l’acceptera. Comme la vérité ne pourra retentir dans la famille, Pippa n’assistera pas à l’enterrement de sa mère et ne remettra plus jamais les pieds chez les siens. La reconstruction passe par là. Cependant, le seul héritage maternel, la culpabilité et la dette, l’emportera et Pippa, à la naissance de ses enfants, se laissera enfermer dans un rôle quasi similaire à celui endossé par sa mère : celui de l’épouse parfaite, soumise et anesthésiée.

A la reconquête de soi : une renaissance

Mais Les Vies de Pippa Lee est un film résolument optimiste. Au détour de quelques marivaudages entre intellectuels désabusés se joue une belle histoire d’amour entre Pippa (interprétée par Robin Wright Penn) et le fils de sa voisine, Chris Nadeau (Keanu Reeves), marginalisé car incapable de mentir, ce qui nous vaut ne succulente scène de voiture où il se révèle odieux en assénant quelques vérités à Pippa. Récemment séparé, lui aussi aux prises avec une mère autoritaire abusive, il va progressivement réveiller le désir et la mémoire de Pippa. En regardant pour la première fois depuis bien longtemps ses souvenirs en face, en admettant qu’elle est responsable de la froideur de sa fille et en choisissant la jeunesse (la vie) au détriment de la vieillesse (son mari et la mort), Pippa pourra revivre et se réinventer une nouvelle fois.

Les Vies Privée de Pippa Lee mérite le détour : réunissant un casting exceptionnel (Robin Wright Penn, Keanu Reeves, Maria Bello, Winona Ryder, Julianne Moore), ce film léger malgré les thèmes évoqués (la fidélité à un héritage encombrant, la peur d’être soi, la culpabilité) est un véritable message d’optimisme. On pourra peut-être lui reprocher un happy-end surfait mais néanmoins il offre aux spectateurs un formidable portrait de femme qui parvient enfin à s’émanciper à l’orée de sa vie. Lorsque Pippa quitte son passé et son présent pour s’envoler vers un futur débarrassé de faux-semblants, dans l’Ouest, avec son jeune amant, elle est parvenue à se réconcilier avec sa fille et à chasser de sa mémoire le terrible souvenir de sa mère. Son allure vestimentaire a changé, elle a dénoué ses cheveux. En un mot, elle est devenue une femme libre.

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publié par le 09/12/09