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publié par Nikola Kesic le 28/11/04
Le secret des poignards volants - Zhang Yimou
Zhang Yimou

Fenêtre sur l’Asie

Fin des années 80, début des années 90. Le cinéma asiatique explose ses frontières et réduit les codes du cinéma d’action en bouillie (même si John MC Tiernan avait déjà bien préparé le terrain). Sous les yeux de spectateurs incrédules viennent s’étaler les gunfights chorégraphiés par John Woo bien sûr, mais aussi les délires visuels de Tsui Hark et de Ching Siu Tung, aidés en cela par des icones tels que Chow Yun Fat ou Jet Li. Cette fenêtre sur l’Asie permis aussi de faire découvrir des auteurs plus intimistes tels que Wong Kar Wai et Zhang Yimou. Ce dernier se fit connaître avec son style réaliste et contemplatif et ses drames sociaux firent le tour du monde et des festivals (Berlin, Venise, Cannes). Il faut dire que sa femme et actrice principale de l’époque, à savoir Gong Li, était pour beaucoup dans la réussite de ses films (6 au total dont Le Sorgho Rouge et Epouses et Concubines). Yimou lui offrait des rôles à la hauteur de son talent et de sa plastique et leur cinéma se nourrissait de cette relation muse-pygmalion jusqu’à leur divorce. Dans ce tournant de sa vie d’homme et de réalisateur, l’homme se remet en question et se cherche le temps de trois films dont The Road Home qui va lui donner l’occasion de trouver sa nouvelle muse, Zhang Ziyi et de faire rebondir sa carrière d’une manière totalement inattendue.

Les clés du succès

Comment expliquer en effet son attachement soudain à ce genre, à priori à l’opposé de ses habituels drames intimistes, qu’est le Wu Xian Pan (film de sabre traditionnel chinois), reflétant de manière fantasmée le passé du pays grâce à des icones historiques fortes (l’équivalent du western pour le cinéma Américain) ? Peut-être qu’à l’image d’un M. Night Shyamalan, a-t-il voulu orienter son cinéma vers quelque chose de plus populaire et s’assurer les clés du succès (commercial j’entends) en offrant au public des drames profondément humains, mais à l’aide d’un genre plus spectaculaire. En 2003 débarquait donc sur nos écrans, Hero, au casting prestigieux : Jet Li, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu Wai et Zhang Ziyi révélée 3 ans auparavant par un Tigres et Dragons au succès international (le film rapporta plus de 100 millions de dollars aux Etats-Unis, du jamais vu pour un film « étranger »). Le film, s’il était politiquement douteux (en filigrane on y excuse en quelque sorte le massacre de masse afin que le pays sorte de son marasme et puisse évoluer) se révèle plastiquement réussi. Les combats, dans la plus pure tradition du film de sabre, sont chorégraphiés de main de maître. Venu prêter main forte, Ching Siu Tung (Histoires de fantômes chinois) n’est pas pour rien dans la grâce des personnages lors de leurs joutes en apesanteur. Le succès étant au rendez-vous, Zhang Yimou décide de remettre le couvert en réalisant un autre Wu Xian Pan. Qu’en est-il donc de ce Secret des Poignards Volants ?

Faux-semblants

Tout en restant dans la lignée du précédent, le réalisateur épure le fond afin de mettre en avant ce qui faisait la force de ses « films d’auteur ». Exit la polémique politique et historique, Zhang Yimou centre l’intérêt du film sur les personnages mais surtout sur le sentiment amoureux. Rien de bien nouveau sous le soleil me direz-vous, si ce n’est que, comme pour Hero, les apparences sont trompeuses. Les faits relatés, les actions des personnages, leur identité, tout n’est que faux-semblants. Le réalisateur a bien retenu que ce qui fait la force d’un cinéaste comme M. Night Shyamalan, c’est sa capacité à berner le public. Aussi use t-il de ce stratagème, mais contrairement aux révélations finales des films tels que Sixième Sens ou encore Le Village, Zhang Yimou distille ses rebondissements de manière beaucoup moins assénante. Ils sont à l’image des protagonistes, dont les sentiments se révèlent progressivement jusqu’à les faire se confronter au nom des basiques que sont l’amour et la jalousie. La forme au service du fond, alternant les morceaux de bravoure (les scènes de combats sont assez jouissives, les fameux poignards volants sont d’une mobilité surprenante) et les passages intimistes (la base de son cinéma), le cinéaste semble avoir pris sa vitesse de croisière dans le cinéma à grand spectacle. En allégeant son propos et en recentrant la forme (le légendaire et le chevaleresque attirent à priori plus de spectateurs que n’importe quel drame social), le réalisateur chinois s’est à coup sûr condamné l’accès aux salles d’art et essais pour s’ouvrir celles des cinémas multiplex.

Emouvoir l’humain

Alimentant de plus belle un basculement d’identité cinématographique totalement assumé, Zhang Yimou nous livre un film esthétiquement réussi mais lisse (le film n’a pas de « patte »). En s’immisçant derechef dans la catégorie des blockbusters, il décide de nouveau de distraire les foules plutôt que d’émouvoir l’humain, comme il avait si bien su le faire avec ses premiers films. Peut-être sujet à une fatigue d’auteur engagé (il était régulièrement confronté aux autorités politiques en vigueur dans son pays), son film n’en parait que plus fragile pour ne pas dire vain. Mais au-delà de ces appréhensions, ne faut-il pas simplement faire comme lui et tourner la page afin de se divertir et ressortir du film pas forcément enrichi certes, mais certainement diverti. N’est-ce pas le minimum qu’on demande au septième Art ?

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publié par le 28/11/04