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publié par Mickaël Adamadorassy le 02/04/10
La Maison Tellier
- L'art de la fugue
L'art de la fugue

Quand on a reçu le disque de La Maison Tellier, je connaissais pas du tout alors je demande à la cantonade ce qu’il en est. Et Benoît de me répondre très exactement "Ouais ! J’aime bien ces normands-là.". je sais pas vous mais moi tout de suite ça m’a fait envie.

C’est ce que pour moi la Normandie c’est un coin quand même plutôt vachement rock’n’roll, j’veux dire, le camembert, la prune de grand père, le calva et puis les vaches quand même. Surtout les vaches, parce qu’il est un peu question de western ici. Banjo, mandoline, sacs d’or et poker faces. Et puis de mal d’autres choses en fait parce que La Maison Tellier c’est un repère où toutes sortes de musiques pas recommandables viennent s’encanailler. Et le pire c’est qu’on aime ça.

Le sens de la formule

Pourtant ce n’était pas gagné d’office. Première piste. L’arpège et la voix me font penser immédiatement et sans que je sache trop pourquoi à... Francis Cabrel. Ouille la prochaine fois que je croise les Tellier, je vais m’en prendre une belle, au café de la Danse, Raoul a dit tout le bien qu’il pensait de notre moustachu guitariste préféré. En fait il ne l’a pas dit mais il a pensé très fort. Et il fait un peu la même chose dans la chanson en question, Babouin. L’histoire est personnelle mais elle est peinte par petites touches, en pointillé, à chacun d’y apporter , d’y sentir (ou pas) les émotions tissées en filigrane. On peut deviner la nostalgie, peut-être même le tragique mais la voix ne trahira pas la part de mystère du morceau, pas de pathos dans les intonations, une économie de mots qui semble presque maladroite mais qui parle plus que de longues phrases.

"tu étais devant assez souvent, moi je suivais toi qui était devant" ..de quoi faire hurler un prof de français pourtant j’y trouve quelque chose de beau, une façon décomplexée de manier la langue , plus proche de Louise Attaque que de Cabrel, qui évoque aussi une étonnante scène canadienne qui utilise le français avec simplicité mais avec plus de réussite que beaucoup de groupes traumatisés par Noir Désir.

N.B. : Vous pouvez voir une vidéo de Babouin dans la partie "session cargo"

Les influences

Puisqu’on parle de la bande à Cantat, c’est une filiation qui est aussi pas mal évoquée pour la Maison Tellier, sur l’Art de la fugue je ne l’ai pas du tout sentie, par contre en live sur le répertoire plus ancien, il y a certaines intonations qui évoquent Cantat mais il faut relativiser , on n’est pas non plus dans la mauvaise caricature comme dans le cas des affreux de Luke.

Quitte à comparer, ça aurait plus de sens de citer Calexico par exemple. L’americana est une composante qui elle est bien plus quantifiable, il n’y a pas la section complète de mariachis mais la trompette y est et apporte à l’édifice une pierre plutôt originale et qui s’intègre bien au reste, ce qui n’est pas toujours évident avec les cuivres (à écouter tout particulièrement sur la partie instrumentale de "laisser venir" ou sur l’accompagnement de goldmine où les cuivres sont essentiels)

On pourra citer aussi Mount Forever où le jeu de guitare évoque irrésistiblement les compositions de Nick Drake, une influence revendiquée d’ailleurs par Helmut Tellier. Et passée à la moulinette de la Maison Tellier, ça donne l’ajout d’harmonies vocales qui renforce encore le côté très singulier de la mélodie.

Le grand écart

Dès la deuxième piste, La Maison Tellier fait le grand écart : après une chanson en français où l’attention se focalise sur le texte mais qui bénéficie d’un très bel accompagnement acoustique, on enchaîne sur un blues électrique brûlant, exécuté avec grande classe, que ce soit le crémeux de la guitare solo ou le graou dans la voix. Et l’accent ? impeccable. Si vous pensiez qu’un groupe français ne peut pas jouer un vrai blues, La Maison Tellier vous démontre en 3’27 que vous avez rien compris.

Suite Royale poursuit l’aventure du côté américain, plus americana que bluesy pour le coup. On y notera le sens de la formule, le goût pour les aphorismes même qui revient souvent chez La Maison Tellier. "on dit que pour détruire un homme il faut lui donner ce qu’il veut". ou encore "Aime ton prochain comme toi même mais aime le de loin"(La Peste).

Suite Royale c’est là encore une histoire qui s’écrit en petites touches éparses, "unis dans la cité du vice par un prêtre en costume d’Elvis, (..) [toi avec] du sang sur ta robe blanche" . De l’impressionisme musical qui se nourrit d’une Amérique mythologique.

La suite de l’album surprend un peu moins, on retrouve un autre blues, d’autres morceaux plus influencés par l’americana mais on a aussi le fameux Mount Forever évoqué plus haut qui est donc proche du folk anglais, No Name#3 qui joue encore des harmonies vocales et qui pourrait se situer entre la berceuse et ... le new age ou le psychédélique. Il n’est point de sôt métier 2 en duo avec la chanteuse Libbie fait penser un peu à du Dominique A dont le groupe a d’ailleurs fait une reprise. La voix féminine et la présence plutôt inattendu du clavecin emmène le morceau dans une direction encore bien différente des autres titres du disque.

En conclusion...

Au premier coup d’oeil, il est difficile de voir une cohérence dans l’Art de La Fugue. Il y a bien ce goût pour l’Amérique ou pluôt une certaine culture musicale américaine, ces aphorismes disséminés sur le disque, lâchés sèchement, pas de trémolos dans la voix, pas de longs discours pathétiques. A chacun de s’y retrouver mais du coup difficile d’y trouver ceux qui nous intéressent. Ils ont l’air plus à l’aise quand les chansons sont de petites histoires. Et dans celles-ci on pourra voir tout au plus une certaine ambiance commune de veille d’apocalypse (la peste, laissez venir et Josh The Preacher). Mais là encore c’est un peu comme on veut.

Et quelque part on peut imaginer que c’est ça l’art de la fugue, des textes qui résistent à l’analyse ou qui ne fonctionnent que comme des miroirs, et des musiciens qui ont pris le droit de changer de style musical à l’envie, de fuir les carcans qui collent si facilement à la peau, americana, groupe français qui chante de la folk en anglais, le groupe qui a fait une reprise marrante de RATM. L’art de la fugue c’est un groupe y démontre qu’il est tout ça mais surtout bien autre chose.

Ou mieux un groupe qui s’affranchit de toutes ses considérations et a juste fait un bon disque avec de bonnes chansons.

> voir aussi : notre dossier spécial La Maison Tellier

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publié par le 02/04/10