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publié par Fabrice Privé le 05/12/24
Kim Deal
- Nobody Loves You More
Nobody Loves You More

Sortir un disque solo, c’était déjà le projet, en 1994, pour l’album qui deviendra finalement celui de The Amps (Pacer). Pas facile pour Kim Deal de franchir le pas, elle qui avait toujours voulu faire partie d’un groupe, qu’il s’agisse de se mettre à son service avec les Pixies ou d’être à sa tête avec les Breeders. Il aura donc fallu 30 ans pour que l’idée chemine et se concrétise. Avec comme étapes fondatrices, une prestation en équilibriste au festival All Tomorrow’s Parties de 2012, puis la sortie perlée de plusieurs 45T auto-produits les mois suivants. Et ensuite ? Kim Deal avait définitivement quitté le navire Pixies pour retourner sous pavillon Breeders. Là, le temps s’était étiré ou compressé, au choix : tournée pour les 20 ans de Last Splash en 2013, sortie de l’album All Nerve (2018), puis concerts pour les 30 ans de Last Splash, et enfin, en 2024, quelques premières parties – probablement surréalistes – pour Olivia Rodrigo (Cannonball a changé sa vie).

Parmi les titres datant de 2012-13, certains se retrouvent sur ce Nobody Loves You More, mais Walking with a Killer a lui rejoint le catalogue des Breeders. Quant à Disobedience, présent ici, il a récemment été joué en live par le groupe… Pas simple de s’y retrouver : il existe une porosité certaine entre les projets en solitaire de Kim Deal et ceux de sa formation. Surtout que les trois batteurs qu’aient connus les Breeders jouent sur cet album et que la sœur jumelle Kelley Deal est également de la partie. Bref, cela fait beaucoup de Breeders au m² pour un un album solo. Et pourtant Nobody Loves You More offre bel et bien une vision très personnelle de l’esthétisme rock lo-fi dont Kim Deal a toujours été la papesse. Avec ce mélange persistant de précision et de nonchalance qui lui a valu l’admiration et l’amitié fidèle de Steve Albini. Jusqu’à la fin : Nobody Loves You More est une des dernières contributions du chicagoan à l’ingénierie sonore puriste, avant sa mort en mai 2024.

Cette grande perte pour Kim Deal a fini de donner une tonalité particulière au projet. Car c’est aussi sa vie personnelle de ces 20 dernières années qu’elle avait choisie de documenter : la maladie (l’Alzheimer de mère), la fin de l’addiction (la sienne), son retour à Dayton (Ohio), la mort de ses parents… Mais Kim Deal étant ce qu’elle est, pudique et facétieuse, elle a transformé tout ça en un scrapbook qui se feuillette : avec des souvenirs, des annotations griffonnées, des photos un peu passées ou des collages colorés. Et s’il demeure ici des marqueurs de l’énergie branlante et branleuse des Breeders (Disobedience, Big Ben Beat), des pigments bien différents viennent enrichir la palette. Sans jamais la surcharger. Outre la bien belle disco saturée de Crystal Breath, ce sont surtout dans des atmosphères cotonneuses et joliment rétros que se révèlent ces nouvelles nuances. Cordes et trompettes viennent ainsi ourler la voix ténue de Deal sur le génial titre éponyme. Coast enfonce le clou cuivré et flirte avec le Rock Steady. Ailleurs, on entend des accents Doo Wop ou jazzy, un ukulélé ou une flûte pour illustrer ces instantanés d’une vie. Are You Mine ?, Wish I Was ou Summerland sont autant de petites vignettes en suspension, souvent mélancoliques, parfois lynchéennes, toujours classieuses. Et Kim Deal achève de conjurer le mauvais sort sur deux comptines plus noisy (Come Running et Good Time Pushed), en forme de synthèses d’un univers sonore décidément emblématique, qui s’est ici délicatement étoffé.

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publié par le 05/12/24