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publié par octane le 24/10/01
Kandahar - Mohsen Makhmalbaf
Mohsen Makhmalbaf

réalité invisible

quel est l’intérêt du cinéma, si ce n’est de montrer l’improbable vérité, la réalité vue de l’intérieur, la vie exacerbée ? avec le cinéma iranien, souvent rangé entre cinéma et documentaire dans les festivals qui en sont friands, c’est une réalité invisible et donc inconnue en occident qui est contée. il nous permet de savoir ce qui se passe derrière ces murs, ces rideaux, ces voiles. abbas kiarostami nous avait initié à la lenteur de la vie dans ces contrées arides (le goût de la cerise, 96) et nous avait égaré avec humour et légèreté dans un village paumé (le vent nous emportera, 99). jafar panahi nous a, l’an dernier, violemment recadrés avec le cercle, où la place de la femme dans une société urbaine laisse perplexe. on avait entre temps pu découvrir les premiers pas de samira makhmalbaf, la fille, dont la caméra vérité (très "dogme") chassait dans les montagnes pêle-mêle réfugiés, bandits et enfants esclaves (le tableau noir, 00).

voyage

et puis il y a makhmalbaf, le père, mohsen. sa réputation chez nous n’est plus à faire, tant son cinéma est occidental et son souci journalistique exaspéré : le cycliste, gabbeh, un instant d’innocence. aucun festival ne lui résiste, et c’est à cannes qu’il a cette année présenté kandahar. preuve de la volonté de montrer à tout prix ce qui fait mal, quand l’iran semble progresser et, alors que kiarostami est parti filmer le sida en afrique, c’est à l’afghanistan, et plus particulièrement à ses femmes que makhmalbaf s’est cette fois intéressé. une jeune afghane, journaliste exilée au canada, revient sauver sa sœur qui menace de mettre fin à ses jours, et c’est à son voyage à travers le pays qu’on est convié, dictaphone en main et à visage couvert. elle qui a l’habitude de regarder les hommes en face quand elle leur parle se retrouve obligée de porter le tchadri, cette cagoule qui descend jusqu’aux genoux et ornée d’une grille devant les yeux et la bouche.

fief des taliban

et nous montre, en rejoignant malgré elle cette armée d’ombres, la violence du comportement des hommes à l’égard de son sexe : le thème central étant celui de la prison, avec tout ce que cela implique : la résistance, quasiment impossible, en tout cas passive, le silence et la peur permanente, ici symbolisée par un jeune garçon pilleur de cadavres, qui lui sert un temps de guide. le message est fort, on est littéralement projeté au moyen-âge, avec une caméra qui montre tout : les écoles coraniques (celles-là même qui forment les mollahs) où les jeunes élèves psalmodient le coran en se balançant d’avant en arrière, les lâchés de prothèses sur les antennes de la croix rouge, autour desquelles s’agglutinent les éclopés, nombreux dans ce pays où la guerre civile est permanente, les attaques de bandits contre les réfugiés qui fuient le "pays prison"... tout cela est violent. mais makhmalbaf n’en est pas à son coup d’essai, et on lui reprochera presque de mettre trop de cinéma dans son film. comme lorsque ce garçon qui fait semblant de lire en classe, refusant ainsi le joug, est finalement renvoyé comme un vulgaire cancre. ou encore lors de cette course de ces amputés sur leurs béquilles vers les prothèses tombées du ciel, montrée longuement, au ralenti. la musique pourrait être celle d’ennio morricone, en revanche les personnages, comme d’habitude, ne sont pas des acteurs... reste à savoir quel sera l’impact de ce "document", qui porte le nom du fief des taliban.

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publié par le 24/10/01