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publié par gab le 16/06/05
jorane - jorane -
jorane

irréelles

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Jusqu’à récemment pour un public somme toute restreint mais totalement acquis, Jorane c’était un violoncelle et une voix, principalement. Un tout très personnel, avec ou sans texte (mais jamais sans chant), qui vous happait à la première écoute sur une borne de magasin culturel lorsqu’elle déboulait un peu par hasard début 2000 avec son premier album Vent fou. Une québecquoise avec une vraie voie, originale, unique, que ce soit dans ses morceaux recueillis ("ineffable", "prière") ou dans ses coups d’éclat (l’extravagant "Vent fou"). Que ce soit aussi pour régler ses comptes avec la mort ("juré", le superbe "Dit-elle") ou pour nous porter ("Sous-marin Marion") avec grâce, presque insaisissable ("Comme avant", "Elmita"). Un album marquant donc, émouvant, souffrant juste d’un léger essoufflement dans sa deuxième partie ("Hier nuit", "Jinx"), plutôt inespéré pour une première réalisation, mais incluant ce qu’il faut de joyaux pour pouvoir nous ramener à lui régulièrement avec un bonheur croissant. Et la scène ne fait que renforcer cet attachement avec un spectacle réglé au cordeau, des lumières irréelles et un professionnalisme à faire pâlir n’importe quel groupe français d’ici bas. Si on y perd en spontanéité (évitez de la voir deux fois sur une même tournée sous peine de déchanter : même les introductions de morceaux sont travaillées à la virgule près), on gagne énormément en fluidité et en impact. Magique l’impact.

humeur

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Pour son deuxième album 16mm (2001), Jorane décide de pousser le concept un peu plus loin dans tous les domaines déjà évoqués : plus de textes du tout, de la douceur et subtilité à tous les niveaux du chant et des instruments, et en concert des vidéos et un dialogue savoureux avec son double scénique. Un double que l’on retrouve sur album aussi puisqu’après une entrée en matière toute en délicatesse, la voici qui attaque les choses sérieuses avec "Pour Gabrielle", somptueux morceau à deux voix et deux violoncelles. Quant à la grâce aperçue sur le premier album, elle s’étale en toute impunité et atteint des sommets avec la série des "Film I", "Film II" et surtout "Film III", sans doute son plus beau morceau à ce jour. Jorane nous livre là un album surprenant puisque tout en restant dans son univers précédemment défini et en le radicalisant quelque peu, elle réussit à prendre le contre-pied complet de son premier disque. On évolue dans un monde étrange, inquiétant et rassurant à la fois, à l’image de la pochette et de sa chevelure hérissée. C’est un disque d’humeur, en demi-teintes, auquel on fait moins fréquemment appel que Vent fou, c’est certain, mais qui sait trouver sa place en de moments lents ou d’états imprévus, se frayer un chemin sous le poids des humeurs justement ...

domptées

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Et puis les choses se gâtent sensiblement. Jorane nous revient en 2004 avec un double album The you and the now produit par Daniel Lanois et qui, à l’instar du single "Pour ton sourire" chanté avec lui, est très décevant (autant au niveau des textes que du chant). Il faut dire qu’en matière de contre-pied, celui-ci est loin d’être subtile. Fini le violoncelle, remisées au grenier les envolées vocales si caractéristiques (sauf sur "Cornelia"), il ne reste plus grand chose de la Jorane qui nous avait émue. Du moins sur le premier des deux disques, le volet en français de ce double album. Et c’est l’autre élément qui vient parasiter l’écoute, cet album sent quand même fortement le plan marketing (ou l’a-t-on seulement rêvé ?) avec un premier cd de sept titres en français donc, très « classique » et propre sur soi, sans doute axé sciemment un peu plus grand public que jusqu’à présent. A-t-on estimé qu’il fallait cacher la folie et l’exubérance pour mieux séduire ou en a-t-elle eu marre de rester dans le même registre ? Sa voix, fatiguée, on le sentait bien d’un concert à l’autre, avait-elle besoin de repos, de calme ? Nous voici contraints de lui chercher des excuses, preuve de la tristesse éprouvée à voir ses morceaux perdre ainsi de leur intensité, de leur émotion. Cette déception n’aide pas non plus à aborder sereinement le deuxième cd qui s’avère visiblement être l’effort marketing pour le marché anglosaxon, le pendant du premier donc, la logique est respectée. Que des morceaux en anglais et un lien un peu plus marqué vers son ancien univers sur les très bons "Stay" et "Blue planet", comme s’il s’agissait de donner une vision plus complète de son domaine musical aux contrées non encore domptées. Sans oublier au passage de renforcer un peu plus la référence à Tori Amos, souvent (un peu injustement à l’époque) relevée sur de Vent fou. Pas grand chose qui nous fasse palpiter hélas ... pas que ce soit mauvais, non, juste commun, sans beaucoup de relief, voire ennuyeux par moments ("Roll the stars", un exemple parmi d’autres), ce à quoi la demoiselle ne nous avait pas accoutumé et on prend vite de mauvaises habitudes c’est bien connu.

virage

Ceci dit, maintenant qu’on a bien fait la fine bouche, on ne peut que lui donner raison, il faut savoir prendre des risques, jouer à quitte ou double, remuer un peu ses bases, mélanger tout son monde et voir s’il reste quelqu’un à la fin, ce que Jorane s’emploie à faire à chaque nouvel album. Ca ne peut pas marcher à chaque fois c’est évident mais on est loin d’être inquiets puisque la connaissant on peut s’attendre à un nouveau virage sur le prochain disque. Espérons-le beau et tournant beaucoup.

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publié par le 16/06/05
Derniers commentaires
- le 29/01/06 à 12:35
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Je suis tout à fait d’accord avec Gab... n’achetez surtout pas the You and the Now ! Et si vous voulez découvrir le superbe univers de Jorane, arrêtez vous à vent fou et 16mm !!

lilou - le 03/11/06 à 01:52
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Jorane est une auteur compositeur interprète d’une rare sensibilité et d’une capacité inouïe de faire vibrer l’émotion dans ses chansons. Il est surprenant de vivre chaque fois une chanson comme si je l’avais écrite (mais je n’ai pas ce talent),je me sens connecté à ses oeuvres...
Merci Jorane...
Plusieurs de ses chansons m’ont accompagnées dans bien des épreuves...

- le 09/10/07 à 19:35
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J’ai découvert Jorane et son 16 mm tout à fait par hasard un jour où j’étais lassée de tout ce que j’entendais à la radio. Dès la première écoute, j’ai été subjuguée par l’emprise qu’avait sur moi ses compositions. Plongée dans un univers parallèle, j’ai écouté l’album de bout en bout, sans bouger, savourant ce moment de redécouverte de la musique. Cet album est une vraie perle et se distingue de tout ce qui se fait ordinairement. Je tire donc mon chapeau à une vraie artiste, comme il est rare d’en trouver de nos jours.