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publié par Mélanie Fazi le 09/08/07
John Parish - L'accompagnateur -
L'accompagnateur

Si le nom de John Parish apparaît souvent sur la scène musicale, il semble occuper une place particulière. En tant que producteur ou musicien, il est souvent celui qui accompagne et magnifie les compositions des autres sans apparaître lui-même en haut de l’affiche. Certains l’ont découvert dans les années 80 avec son groupe Automatic Dlamini, d’autres par le biais de PJ Harvey dont il est un ami et collaborateur de longue date. C’est d’ailleurs au sein d’Automatic Dlamini que Polly Harvey a fait ses débuts, tout comme le batteur Rob Ellis. En 1995, John Parish produit l’album To bring you my love et participe à la tournée en tant que guitariste. L’année suivante paraît un album écrit à quatre mains, premier disque à sortir sous son propre nom plutôt que sous celui d’un groupe.

Dance Hall at Louse Point

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Le chant de Polly Jean Harvey sur les paysages musicaux de John Parish : chacun des deux artistes apporte son propre savoir-faire, et la fusion de leurs univers touche à la perfection. Ces morceaux feraient déjà de magnifiques instrumentaux, mais la voix les sublime en les enrichissant d’une dimension narrative. Entre atmosphères feutrées, tension contenue et crescendos sauvages, la guitare et les percussions créent un terrain de jeu sur lequel le chant peut se déployer.

Le miracle de cet album tient à la façon dont chacun exprime une voix personnelle sans oublier d’aller à la rencontre de l’autre. L’instrumentation surprend par sa richesse et sa subtilité ; la voix s’amuse, s’autorise des envolées, enfile parfois des masques. Sur “Taut” notamment, fascinant moment de folie maîtrisée, fond sonore déstructuré sur lequel Polly Harvey plaque d’inquiétants murmures au bord de la panique. Le refrain « Jesus save me », d’abord strident puis apaisé, surnage comme une bouée à laquelle s’accrocher. Ailleurs, “Rope bridge crossing” aux accents bluesy commence par planter un décor que la voix caressante vient ensuite animer : la première phrase prononcée sur cet album, « And I remember everything », invite au voyage intérieur. D’un format plus classique, le single “That was my veil” est teinté d’une douce mélancolie. Dance hall at louse point est un disque précieux dont on revient toujours, onze ans plus tard, explorer les rivages avec le même plaisir.

La sortie de l’album ne sera suivie que d’une poignée de concerts donnés en Angleterre, mais cinq des chansons (“Rope bridge crossing”, “Civil war correspondent”, “City of no sun”, “Taut” et "Heela") sont reprises en 1998 lors d’une tournée de PJ Harvey à laquelle participe John Parish à la guitare et à la batterie. “Taut” y était particulièrement mémorable, ne serait-ce que pour l’interprétation habitée qu’en faisait Polly Harvey sur scène.

Rosie

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En 1998 toujours, la cinéaste belge Patrice Toye demande à John Parish de composer la bande originale de son film Rosie, dont elle a écrit le scénario en écoutant Dance hall at louse point. S’il s’agit du premier album paru sous son propre nom, il est ironique de songer qu’il l’a composé pour accompagner le travail de quelqu’un d’autre. À l’écran, la musique tout en suggestion colle magnifiquement à l’histoire de cette adolescente rêveuse et paumée. À l’écoute de la bande originale, deux impressions frappent en parallèle. Celle d’une parfaite continuité avec l’album précédent, mais aussi celle d’entendre pour la première fois John Parish se dévoiler vraiment. Peut-être est-ce simplement parce qu’il y avait auparavant une voix pour détourner notre attention. À l’exception de la chanson “Pretty baby” interprétée par une Alison Goldfrapp encore peu connue, c’est sa première œuvre entièrement instrumentale. Il se révèle particulièrement à l’aise dans l’exercice. Pour qui n’a pas vu le film, le disque peut paraître aride, mais il dévoile peu à peu ses splendeurs. Il enchaîne les variations inventives autour d’un thème entêtant qu’il reprend et transforme jusqu’à l’apothéose sublime du générique de fin. Deux titres sortent du lot, évitant toute impression de monotonie : “Pretty baby” déjà cité, et les fulgurances de “Burn rubber barons” aux guitares saturées et à la tonalité plus agressive. On découvre un artiste capable d’exprimer une large gamme d’émotions sans jamais recourir à la voix - ou alors, à la rigueur, en empruntant celle des autres. Dance hall at louse point nous avait appris qu’il brillait dans cet exercice, mais on n’avait pas encore compris à quel point.

Cosmopolite

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Entre deux albums personnels, John Parish participe à ceux des autres en tant que musicien (il apparaît notamment sur deux albums de Spleen, le projet frappadingue de Rob Ellis) et poursuit une abondante carrière de producteur. À l’entendre, elle aurait commencé par hasard à l’époque d’Automatic Dlamini, ses amis du groupe The Chesterfields lui ayant demandé de produire leur premier single car il était, dit-il, la seule personne du coin qui sache le faire. D’année en année, la liste des albums qu’il a produits devient impressionnante. Certains noms paraissent évidents tant leur univers se rapproche du sien, comme Sixteen Horsepower, Sparklehorse ou encore Giant Sand - il n’a jamais caché son admiration pour Howe Gelb, qu’il considère comme l’un des artistes les plus importants à l’heure actuelle. D’autres surprennent davantage, notamment lorsqu’il collabore avec des artistes non-anglophones. En France tout d’abord (pour Auguri de Dominique A et Monsters in love de Dionysos), puis en Italie depuis quelques années. Après y avoir produit un album pour Cesare Basile, il participe en 2004 à un projet cosmopolite baptisé Songs with other strangers, regroupant une dizaine de musiciens qui reprennent sur scène les chansons des uns et des autres. Parmi eux, Jean-Marc Butty (ex-Venus et White Hotel et batteur de PJ Harvey sur la tournée de 1995), Hugo Race, Stef Kamil Carlens de Zita Swoon, ainsi que plusieurs artistes italiens moins connus chez nous - dont Giorgia Poli et Marta Collica, qui accompagneront ensuite John Parish sur disque et sur scène.

How animals move

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Le cas particulier de Rosie mis à part, cet album sorti en 2002 peut être considéré comme son premier véritable disque solo. L’imagerie du livret frappe par son côté intimiste, quasi familial : si Parish n’apparaît nettement en photo qu’à la dernière page, les précédentes sont illustrées de dessins d’enfants ainsi que d’une échographie. La pochette de l’album, réalisée par son épouse Michelle Henning, montre John et leur fille Honor se détacher en ombres chinoises devant une peinture d’ours dans un musée new-yorkais. Clin d’œil ou jeu de pistes, des photos de leur mariage à Tucson apparaissaient déjà dans le livret de Chore of enchantment de Giant Sand, en partie produit par John. Imagerie d’ailleurs reprise sur l’album suivant, où Michelle Henning photographie des alignements de chaussures ou de jouets disposés par Honor.

Sur How animals move, John Parish s’entoure d’une dizaine de musiciens qui le suivront ensuite en tournée. Là encore, l’ambiance est familiale : il s’agit d’amis et collaborateurs réguliers, parmi lesquels Jeremy Hogg (ex-Automatic Dlamini, vu lui aussi en tournée aux côtés de PJ Harvey), Adrian Utley de Portishead ou encore Jesse D. Vernon de Morning Star (dont il a produit l’album My place in the dust). Cuivres, violon, mandoline, slide guitar, glockenspiel ou piano, la richesse de la palette musicale prête aux instrumentaux une texture particulière ; le crescendo superbe de “How animals move” ou de l’obsédant “The Florida recount” lui doivent beaucoup. D’autres morceaux s’apparentent à de surprenants collages : “Bernadette”, monologue saccadé où un narrateur se rappelle une jeune fille étrange des années 70, ou “Spanish girls” construit autour du chant d’un groupe de jeunes Espagnoles enregistrées sur une plage un été. En conclusion de l’album, Polly Harvey vient prêter sa voix à un “Airplane blues” aux allures de standard de jazz. Là où Dance hall at louse point ou Rosie creusaient chacun un sillon unique, How animals move tend plutôt vers la diversité. L’impression d’unité que dégage l’ensemble n’en est que plus étonnante.

Once upon a little time

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Si chaque album de John Parish réserve une nouvelle surprise, celle de Once upon a little time est de taille. On s’était habitués à l’éloquence de ses instrumentaux ; on redécouvre à présent sa voix. On la connaissait si peu, en réalité : depuis la fin d’Automatic Dlamini, on ne l’avait guère entendue que dans quelques recoins de Dance hall at louse point (les chœurs de “Heela” et un « one, two, three » discret au début de “Rope bridge crossing”). Sur ce disque, elle se fait timide, presque hésitante, comme étonnée elle aussi d’être mise en avant pour la première fois depuis si longtemps. Ce qui crée une émotion particulière sur certains titres, notamment “Glade park”, très joli moment comme suspendu hors du temps. Parish dit s’être inspiré d’une expérience vécue lors d’un séjour au Colorado où une infection oculaire l’empêchait de sortir à la lumière du jour ; à l’écoute de la chanson, on se représente parfaitement ces étendues neigeuses et désertes, de nuit, qu’une vision brouillée transforme en paysages oniriques. Cet album, comme le précédent, est curieusement apaisant. Il est enregistré cette fois en plus petit comité, avec Jean-Marc Butty, Marta Collica et Giorgia Poli, renforçant l’impression d’intimisme de l’ensemble (Parish revendique d’ailleurs moins ce disque comme une œuvre solo que comme un album de groupe). Le côté « bric-à-brac » est encore présent mais l’ambiance générale est plus posée, à l’exception de deux chansons qu’il dédie à ses filles. Pour Honor, “Sea defences” à laquelle le jeu de batterie tout en nuances de Jean-Marc Butty insuffle une énergie contagieuse ; pour Hope, “Even redder than that”, amusant pastiche de country proposé en deux versions.

Univers

Loin des poses ou des grandes déclarations d’intention, John Parish donne l’impression de se dévoiler un peu plus à chaque disque. Là où d’autres artistes cherchent d’album en album un son de plus en plus carré, lui semble tendre vers tout autre chose. Plus sa musique gagne en maturité, plus elle acquiert une fragilité qui la rend précieuse. En attendant de voir quelle direction il prendra ensuite, on le retrouvera, comme à son habitude, sur les disques des autres. Celui de PJ Harvey, White chalk, à paraître en septembre ; ceux de This is the kit ou Tom Brosseau qu’il produit actuellement. Mais aussi sur scène, puisqu’il annonce pour novembre deux nouvelles dates françaises, à Paris et à Metz. L’occasion, pour ceux qui ne le connaissent que de nom, de découvrir son univers tout personnel.

(Photos : Cathimini, Roberto Cavalli)

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publié par le 09/08/07