En arrivant au Sax à Achères ce soir-là, on pressent qu’on s’apprête à vivre un moment particulier. La salle a eu l’excellente idée de confier une carte blanche aux trois fondatrices du label Fraca !!! (Katel, Robi, Emilie Marsh) qui ont convié sept autres artistes qu’elles admirent et apprécient à les rejoindre sur scène pour un concert unique : Maissiat, Maud Lübeck, Lonny, Julie Gasnier, Gisèle Pape et Pur-Sang (Claire Joseph et Skye). Elles sont donc dix ce soir à revisiter ensemble le répertoire des unes et des autres, l’idée n’étant pas de voir les artistes se succéder simplement pour jouer chacune ses morceaux, mais de partager l’espace tout du long, sans jamais quitter la scène, et de s’accompagner les unes les autres. Non pas juste une invitation à se produire, mais à vivre un vrai moment de partage.
Rencontre d’univers
Si nous avions souvent vu certaines de ces artistes ensemble sur scène (comme Claire Joseph et Skye accompagnant Katel, pour ne citer qu’elles), on éprouve une forme de surprise éblouie en les voyant arriver toutes les dix, et rester présentes tout du long. Le concert commence d’emblée très fort avec l’envoûtant « Je t’aime déjà » de Katel, l’un des morceaux sur lesquels toutes participent. Et immédiatement, tout est en place, le morceau nous saisit par l’énergie collective qui s’en dégage.
Au-delà du plaisir qu’on éprouve à retrouver les unes et les autres, leur complémentarité nous frappe à de nombreuses reprises : chacune a son univers bien à elle, son ou ses instruments de prédilection, chacune occupe un rôle qui lui est propre. À Lonny le violon, à Skye la batterie, à Maud Lübeck et Maissiat le piano, auquel viennent brièvement s’asseoir Claire Joseph puis Emilie Marsh qu’on aura plus souvent vues respectivement avec basse et guitare de l’autre côté de la scène, où se concentre l’énergie la plus rock de la formation. Les voix se mêlent le temps des chœurs, certaines se donnent la réplique – Maissiat prête son timbre élégant à l’un des splendides nouveaux morceaux joués par Maud Lübeck au piano, là où Robi et Emilie Marsh forment un duo savoureux sur « Héros », extrait du tout nouvel album d’Emilie Marsh sorti la veille.
On navigue d’un univers à l’autre avec une stupéfiante impression de cohérence et de fluidité : de la chaleur contagieuse du bien nommé « Soleil » de Pur-Sang à l’ambiance onirique et poétique du « Luciole » de Gisèle Pape, de la grâce à la fois délicate et puissante du « Paradis » de Maissiat à l’euphorisant « Nos heures » de Julie Gasnier (l’un des plus beaux titres qu’elle avait écrits pour son ancien groupe SuperBravo), en passant par l’inusable « On ne meurt plus d’amour » de Robi avec son refrain entêtant, ou la grâce suspendue d’« Incandescente » de Lonny. Maud Lübeck et Robi nous feront le cadeau de présenter ce soir de magnifiques nouveaux morceaux (au piano, pour l’une comme pour l’autre) encore jamais joués sur scène. On voudrait citer chaque titre tant chacun de ces moments est beau et différent de ce qui l’a précédé.
Moment rare et précieux
Dans la salle règne pendant les morceaux un silence frappant, un véritable silence d’écoute. À plusieurs reprises, on se surprendra à regarder aussi celles des artistes qui ne sont pas en train de jouer : on saisit des expressions captivées, des sourires émouvants, des échanges de regards, on entrevoit l’une fredonnant les paroles de l’autre. Chacune est présente avec les autres, pleinement et constamment. La somme des talents individuels produit une magie collective presque inespérée. Quand le public enthousiaste réclame un rappel qui n’était pas prévu (dix-huit morceaux ont été joués, préparés nous dira-t-on dans un temps record), toutes les dix reviennent pour conclure sur « Je t’aime déjà » joué en ouverture, bouclant ainsi la boucle comme en écho à la rythmique circulaire et lancinante du morceau.
Toutes les conversations qui suivront la fin du concert confirmeront nos impressions : sur scène comme dans la salle, toutes et tous ont ressenti comme nous cette impression d’un moment rare et précieux, intense et beau, un moment de partage et d’échange miraculeux. On quitte la salle euphorique et revigoré, et l’on se sent privilégié d’avoir été témoin de cette soirée-là. On l’emporte avec nous comme un cadeau.