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publié par gab le 19/05/16
Jeff Buckley
- You & I
You & I

Il nous semblait pourtant que tout avait été dit, publié, vendu. Il nous semblait qu’on avait délaissé, remisé, abandonné Jeff Buckley sur l’autel de la surpêche, quotas dépassés, espèce définitivement éteinte. On entend encore nos propres ricanements il y a deux semaines à l’annonce de la sortie d’un nouveau disque, ricanements teintés de surprise tout de même en découvrant qu’il s’agissait d’enregistrements studio datant d’avant Grace. Ricanements d’habitude. Et puis l’autre midi dans un bouiboui de moins en moins musical, le disque est là, en présentoir, une paire d’écouteurs en équilibre, et pourquoi pas après tout, par curiosité, en souvenir, parce qu’on ne sait jamais. Et la grâce toujours, dès les premiers accords… autant dire que la surconsommation, l’éthique, l’amour-propre n’ont pas fait long feu, on est ressorti tout ému avec en main You & I, les premiers enregistrements studio de Jeff Buckley.

Sin-é

Soyons précis, ce disque n’apporte rien en soi. Format Sin-é (Jeff seul à la guitare), contenu Sin-é (la majorité des morceaux étant des reprises déjà publiées auparavant), période que le double Live at Sin-é (Legacy edition) avait figé de façon très extensive dans toute son insouciance, son inconscience, sa liberté surtout. Oui mais voilà, si on est bluffé par la folie de Buckley sur scène, on ne peut pas dire qu’il insuffle une ambiance particulièrement consistante du début à la fin. Les délires inter-morceaux notamment ont le don de faire retomber la sauce méchamment. Cela rend certes plus humain cet artiste hors-norme mais nous laisse parfois sur notre faim (surtout à la nième réécoute). You & I est un peu l’anti-buckley-sur-scène, peu de folie, moins de liberté de ton (encore que), moins de démonstration mais un recueillement extrêmement frappant, séduisant, touchant. Il s’agit peut-être bien au final l’enregistrement qu’il manquait.

brut

Alors soyons toujours aussi précis, on est loin d’un véritable album studio abouti. Les versions sont parfois légèrement bancales, elles ont la saveur (et sans doute l’exécution) d’une prise unique chant-guitare, mélange idéal entre la performance solo de Sin-é et les brouillons de Sketches for my sweetheart the drunk. On est dans l’intimité des essais, d’un pense-bête, à l’image de ce "Dream of You & I" où Jeff raconte son rêve par-dessus sa musique. On est sans doute plus dans le disque pour inconditionnels que pour le quidam de passage. C’est extrêmement dépouillé, la guitare souvent sous-mixée. C’est brut et c’est bon. On avait d’ailleurs un peu oublié comme ça peut être bon, et ça fait du bien d’oublier parfois, le plaisir des retrouvailles en est largement décuplé.

différé

Soyons un minimum précis, il serait temps, tout ceci est bien sur vrai et légitime mais la vraie raison d’être de ce disque (entre nos mains en tout cas), c’est la présence au générique de deux bijoux des Smiths. On avait déjà entraperçu quelques notes d’"I know it’s over" en interlude au milieu de certaines versions d’"Allelujah", quel plaisir de le retrouver en version complète pour clore le disque. Et comme cela n’aurait pas suffi à étancher notre soif, on a aussi droit à "The boy with the thorn in his side". Or Jeff Buckley qui reprend les Smiths, c’est un peu le Graal musical. La perfection mélancolique, la précision magistrale dans l’écriture, lovées dans un écrin vocal et musical exceptionnel. La rencontre au sommet, en léger différé, des plus grandes sensibilités des années ’80 et ’90. Et Jeff Buckley seul à la guitare acoustique.

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publié par le 19/05/16