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publié par yann le 01/10/02
Jeff Buckley - Interview avec Mary Guibert, sa mère

quand jeff buckley met pour la première fois les pieds à new york en 1991, c’est pour participer à un concert donné à l’église sainte-Anne en hommage à son père, le folk singer tim buckley. songs to no one raconte – par la musique– qui était jeff buckley deux ans avant l’écriture de son album grace : la rencontre avec gary lucas, le guitariste prodige de captain beefheart, celle de rebecca moore, qui allait devenir l’amour de sa courte vie. des mots mêmes de sa mère mary guibert, ces quelques chansons sont comme des « lettres qu’il aurait laissées chez lui, cachées au fond d’un tiroir », un témoignage presque documentaire d’un « moment clé dans sa vie personnelle, comme dans sa carrière musicale ».

comment est né le projet songs to no one ?

mary guibert : songs to no one est une collection de titres live et de démos inédits de jeff datant de 1991 et 1992, à l’époque où il jouait avec gary lucas dans le groupe gods and monsters. c’est gary lui-même qui est venu me voir en 1997 [l’année de la mort de jeff, ndlr] pour me dire qu’il souhaitait tirer quelque chose de ces enregistrements. je lui ai alors demandé d’être patient, de me laisser du temps pour gérer ce qui nous arrivait à l’époque. quelques années ont passé et gary a repris contact avec moi par le biais de knitting factory records. le label était intéressé par la production d’un cd retraçant la collaboration musicale de jeff et gary. j’ai alors dit oui. le fait de passer par un label petit et indépendant a donné un caractère plus intimiste au projet.

comment cela s’est-il déroulé ?

mary guibert : contrairement à sketches [le premier album posthume de jeff buckley, ndlr], je ne me suis pas impliqué directement dans le projet. j’étais trop émotionnellement impliquée pour pouvoir faire un travail complètement honnête. j’ai juste donné mon accord, puis j’ai laissé hal willner, le producteur de la knitting factory [qui est aussi une salle de concert où jeff jouait régulièrement], qui était très proche de jeff, s’occuper du choix des titres pour le cd.

lorsqu’il s’installe à new york en 1991, où en est jeff buckley de sa vie et de sa carrière ?

mary guibert : l’arrivée à new york marque la fin d’une longue galère au sein de groupes médiocres de los Angeles. une libération artistique. du coup, la période 1991-1992 a été pour jeff une période très féconde, mais aussi très expérimentale. tout a commencé avec ce fameux concert donné à l’église saint-Anne, en hommage à son père [le folk singer tim buckley, ndlr]. un événement à l’occasion duquel il fit des rencontres qui allaient s’avérer cruciales pour son avenir.

comme celle avec rebecca moore ?

mary guibert : Absolument. rebecca moore travaillait comme assistante à l’église sainte-Anne. jeff est tout de suite tombé amoureux d’elle. et l’amour ne nuit pas à la créativité, bien au contraire (rires). cette rencontre l’a bouleversé. surtout, rebecca a introduit jeff dans son cercle d’amis à new york, qui comptait de nombreux artistes, réalisateurs, poètes et écrivains en tous genres. c’est comme ça que jeff s’est fait connaître dans le milieu artistique new-yorkais.

et après ?

mary guibert : Après le concert de l’église de sainte-Anne, jeff s’était vu remettre un nombre impressionnant de cartes de visite. il a commencé à travailler un peu partout. il a participé à une production théâtrale de l’université de new york, a donné de nombreux concerts dans des petits cafés… il explorait vraiment toutes sortes de choses.

c’est également lors de ce fameux concert que jeff a fait connaissance avec gary lucas…

mary guibert : cette rencontre a marqué le début de sa participation au projet de gary, gods and monsters. pendant un an, jeff et gary ont composé, joué, tourné ensemble, animés par la volonté d’explorer tous les styles musicaux, de pousser leur musique le plus loin possible. c’est de cette collaboration que sont tirés tous les titres du nouvel album.

comment sont nées ces chansons ?

mary guibert : d’habitude, quand on compose une chanson, on commence par écrire une mélodie. puis la partie instrumentale se greffe progressivement. pour les chansons de songs to no one, c’est tout le contraire. gary a demandé à jeff de composer des mélodies et des textes pour donner vie à ses improvisations. c’est notamment le cas sur "mojo pin" et "grace".

les chansons de grace seront au final très différentes des compositions de gods and monsters. quelle influence gary lucas a-t-il eu sur la musique de jeff ?

mary guibert : gary et jeff, c’était la rencontre de deux esprits singuliers, de deux grands musiciens. jeff admirait gary. mais dès le début de leur collaboration, il a mal vécu le fait d’être en retrait, d’être le moins expérimenté des deux. Avant même de s’installer à new york, jeff m’avait écrit une lettre. il me confiait son manque de confiance en lui, en tant que songwriter. il disait aussi que les collaborations qu’il entreprenait à new york n’avaient pour autre but que de l’aider à trouver sa propre voie, sa propre musique. ce besoin d’indépendance a interféré dans la relation entre jeff et gary. ce dernier voyait déjà jeff rester pour toujours au sein de son groupe, gods and monsters. jeff, lui, savait qu’il devrait vite le quitter s’il voulait un jour concrétiser son grand projet.

pourquoi songs to no one ?

mary guibert : nous avons beaucoup hésité. Au début, on a pensé appeler le disque sound paintings, à cause de la vision qu’avait jeff de son second album. il voulait que ce disque s’inscrive dans les mémoires pour l’éternité, qu’il soit constitué de « peintures sonores ». c’est seulement après que j’ai réalisé que le disque que nous réalisions n’avait rien d’un enregistrement studio, et donc rien à voir avec ce désir qu’avait exprimé mon fils. nous avons finalement opté pour songs to no one. d’abord parce que c’était le titre d’une des chansons de l’album. ensuite pour rappeler qu’aucune de ces compositions n’était à l’origine destinée à un usage commercial.

comment convaincre les fans sceptiques de se plonger dans ce nouvel enregistrement posthume, qui tranche de manière si radicale avec l’album grace ?

mary guibert : dans songs to no one, on entend jeff et gary jouer, enregistrer les premières versions de chansons qui allaient bientôt devenir les chef-d’œuvres que connaissent aujourd’hui les fans, comme "grace" ou "mojo pin". ils jouent également beaucoup d’inédits. ces morceaux constituent un témoignage documentaire, ils révèlent du point où en était jeff un an avant la constitution de son propre groupe et deux ans avant la sortie de son premier album. rien que pour cela, ces ébauches valent le coup d’être écoutées.

diriez-vous que ces quelques morceaux sont comme les vieilles pages du journal intime de jeff ?

mary guibert : ce n’est pas exactement cela. je dirais plutôt qu’il s’agit de lettres qu’il aurait laissées chez lui, cachées au fond d’un tiroir. quelque chose qu’il aurait eu envie de partager avec quelqu’un.

y a-t-il d’autres « lettres » que vous comptiez faire bientôt partager aux fans ?

mary guibert : il y a beaucoup de projets en cours. l’an prochain, nous fêterons les dix ans du live at sin-e [le premier ep de buckley, enregistré dans un café new-yorkais, ndlr]. pour l’occasion, j’espère que columbia acceptera de racler ses fonds de tiroirs pour en ressortir les enregistrements qu’elle a conservés de ces sessions live. il y aurait de quoi faire un double, voire un triple cd, qui s’appellerait café days, le titre que jeff souhaitait donner à l’origine au live at sin-e. on n’aura pas le temps de souffler, puisqu’en 2004, nous célèbrerons les dix ans de l’album grace. mon idée est de ressortir l’album dans une édition deluxe, comprenant des inédits extraits des sessions d’enregistrement de l’album. l’ultime projet que j’aimerais mener à bien s’adresse aux fans qui veulent en savoir, en entendre toujours plus sur jeff. c’est ce que j’appelle la « subscription series » [série par souscription, ndlr]. il suffirait au passionné de s’inscrire et de satisfaire une cotisation trimestrielle ou annuelle. en échange de cette somme symbolique, le fan recevrait à un rythme régulier des enregistrements inédits de jeff dont nous disposons, mais qui ne peuvent être exploités par la voie commerciale : sessions radios, concerts, inédits…

P.-S.

A paraître également chez columbia le 28 octobre un coffret de maxis aujourd’hui introuvables, the grace eps, (cf les news du cargo ! pour plus d’infos) ainsi qu’un numéro spécial du magazine rock sound, entièrement consacré à jeff buckley et à l’héritage que le défunt chanteur a laissé derrière lui.

remerciements :

un très grand merci à yann ohnona qui nous a gentiment donné cette interview.

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publié par le 01/10/02