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publié par Renaud de Foville le 15/07/02
interpol - Sans suite logique

un premier concert à la route du rock nous avait laissé sans voix. rarement un groupe dont nous ne connaissions rien, même pas le nom nous avait fait une telle impression en concert. le concert de la boule noire, les premiers ep et enfin l’album n’ont fait que confirmer tout ce que l’on pensait d’interpol. depuis notre excitation et notre engouement pour ces new-yorkais n’ont pas faiblis. nous ne pouvions donc pas rater une rencontre, évidemment trop courte, avec eux. leur emploi du temps étant assez surchargé - nous n’étions pas les seuls à vouloir les faire parler - nous sommes allé les rencontrer, dans le cadre luxueux d’un ancien hôtel près du châtelet, pour une interview croisé avec un autre webzine. désolé si les questions de cette interview n’ont pas trop de suite logique, mais ne changeons pas nos bonnes vieilles habitudes : vous avez ici l’intégralité de l’interview d’interpol.

cargo ! : chez moi votre album est rangé, par ordre alphabétique, entre hood et joy division. qu’est-ce que cela vous inspire ?

daniel : c’est bien hood. c’est un très bon groupe. le dernier album est génial et leur progression par rapport aux albums précédents est impressionnante. c’est une vraie exploration entre la musique électronique, le son dub et le son rock. joy division est un groupe auquel on est beaucoup comparé. j’écoute souvent hood, alors que je n’ai pas écouté joy division depuis longtemps.

pas-cargo ! : quelles sont vos influences ?

paul : nous avons tous des influences différentes. nous étions tous déjà musiciens avant d’intégrer le groupe. il y a certains groupes que nous écoutions tous, mais nous avons quand même des goûts assez différents. nous n’avons pas créé le groupe à cause de nos influences communes. nous avons créé le groupe parce que nous nous apprécions et parce que nous aimons travailler ensemble. nous n’avons donc pas de véritables influences de groupe.

pas-cargo ! : est-ce qu’il y a un groupe en particulier qui vous a donné envie de faire de la musique ?

samuel : j’ai commencé à écouter de la musique à cinq ans : neil young, led zeppelin, les beatles, les rolling stones. puis les carrs, les clash, les sex pistols, les ramones. puis les pixies, sonic youth. etc... a chaque étape de ma vie il y a des groupes qui m’ont « poussé » comme cela. ce n’est pas un groupe en particulier qui m’a fait dire : « je veux devenir musicien ». ca c’est vraiment fait par étapes.

pas-cargo ! : est-ce que vous avez aussi été influencé par des films, des livres ?

samuel : le premier film qui m’a marqué a été the cook, the thief, his wife and her lover de greenaways. les livres qui m’ont marqué ont été notamment ceux de william burroughs, dennis cooper, kathleen dunn. plutôt de la littérature des années 50...

pas-cargo ! : est-ce que vous considérez votre musique comme une sorte de psychothérapie, et est-ce que les paroles ont été inspirées par true evans ? stella est-elle par exemple une personne réelle ou pas ?

paul : non, c’est un personnage inventé. je ne pense pas chanter à propos d’évènements particuliers. mais les paroles sont bien sûr influencées par des évènements qui me sont arrivés.

pas-cargo ! : la chanson "nyc" a-t-elle un rapport avec le contexte actuel de new-york ?

paul : non. cette chanson a été écrite en décembre 2000, donc avant les évènements récents.

cargo ! : on a l’impression, depuis qu’on vous a découvert l’année dernière, que vous essayez de contrôler le maximum de choses. vous avez mis pas mal de temps pour choisir un label. j’ai lu une interview dans laquelle vous disez qu’il faut être à moitié musicien et à moitié businessman pour faire un groupe.

daniel : c’est vrai que nous avons une sorte de sensibilité punk rock dans ce domaine, nous sommes méfiants. nous voulons avoir un certain contrôle. nous faisons attention à ne travailler qu’avec des gens à qui on peut faire confiance. nous planifions les choses, nous faisons attention à prendre les bonnes décisions. on est très content pour le moment des gens avec qui on travaille.

cargo ! : que pensez-vous de la mode actuelle autour des groupes new-yorkais ?

paul : je pense que c’est une bonne chose, et que c’est assez justifié. quand des journaux comme le nme ont commencé à parler de new-york, je n’avais pas vraiment l’impression qu’il y avait une scène new-yorkaise. je n’avais pas l’impression qu’il y avait beaucoup de bons groupes, et d’ailleurs je ne connaissais pas les autres groupes. ce n’était pas dutout une communauté. maintenant j’aime beaucoup les groupes new-yorkais actuels. daniel : de nombreux groupes arrivent. paul : il se passe beaucoup de choses en ce moment. initialement, je crois que c’était plutôt de la pure invention. d’autre part, la mode actuelle ne nous pose aucun de problème, au contraire, ça nous aide. samuel : je pense personnellement que la musique a toujours été là à new-york, mais qu’elle a été longtemps ignorée. c’est vrai qu’il y a trois ou quatre ans, la scène musicale était un peu palote car il n’y avait pas d’émulation locale. les groupes locaux n’avaient pas la motivation et l’énergie pour se tailler une place au devant de la scène car personne n’était vraiment intéressé par leur musique. la scène new-yorkaise a donc fonctionné au ralenti pendant quelques temps, et puis tout à coup le nme s’est mis à s’intéresser sérieusement à la ville. l’année dernière, en avril, le nme a écrit « we love new-york » sur sa couverture. new-york existait à nouveau. un effet boule de neige s’est alors produit. je considère que cette surexposition de la scène new-yorkaise dans les médias est une mauvaise chose. de nombreux groupes font l’objet d’une attention tout à fait justifiée, mais la surexposition de cette nouvelle scène dans les médias risque de se retourner contre elle. le public risque en effet de s’en lasser rapidement et d’avoir à force une réaction de rejet face au « produit » new-york. je me méfie beaucoup de ces phénomènes de mode, de suresposition. c’est trop. le jour où le nme passera à autre chose, l’attention générale risque de se reporter d’un coup sur le michigan par exemple, ou je ne sais où. c’est d’ailleurs un peu ce qui est entrain de se produire avec detroit !

cargo ! : avez-vous réfléchi à cela...

daniel : tout a fait, on a pensé à cela...

cargo ! : la hype autour des groupes de rock dans le nme notamment est impressionnante. un nouveau « groupe de l’année » apparaît chaque semaine. cette façon de parler des groupes est vraiment réductrice. on se concentre sur les habits, sur tout sauf la musique...

daniel : (commençant en français, et finissant en anglais !) on a fait aucune interview avant la sortie de l’album notamment pour cette raison. on voulait attendre d’avoir un album pour commencer à parler d’interpol. on fait très peu d’interviews par rapport à d’autres groupes new-yorkais. c’est dangereux de beaucoup parler quand on n’a pas encore un album à défendre. ils parlent de new-york, de leur groupe en général. mais six mois plus tard, quand l’album sortira, les journalistes ou les gens seront peut-être déjà lassés du groupe, de faire ou de lire des interviews du groupe. nous avons fait très attention à tout cela. on ne parle que quand on a quelque chose de quoi parler. je ne pense pas qu’on profite particulièrement de la mode « new-york ». on a commencé le groupe en 1998. on n’a pas pas monté un groupe pour ou à cause de la mode new-yorkaise, on s’en méfie plutôt qu’autre chose.

pas-cargo ! : comment envisagez-vous l’avenir ?

carlos : très bien ! des filles, de l’argent... samuel : non, sérieusement, on ne sait pas du tout. paul : on envisage de conquérir le monde... daniel : nous sommes heureux en ce moment, avec l’album. nous aimons faire des concerts. c’est agréable d’être dans une atmosphère très musicale. on peut parler de musique tous les jours et se concentrer sur cela. c’est nouveau pour nous et on apprécie beaucoup. new-york est une ville dure pour un groupe. il y a beaucoup de distractions, et les heures de répétitions en studio coûtent cher. on passe la plupart de la journée à travailler pour gagner notre vie. nous entrons actuellement dans un univers artistique en quelque sorte. on parle de musique et on joue toute la journée. c’est très agréable, et je pense aussi que cela va beaucoup apporter au groupe. nos prestations seront meilleures par exemple. samuel : on commence toujours de la même manière, en jouant dans une petite salle misérable car on aime jouer ensemble. dans une salle de répétition confinée et surchauffée. vous êtes complètement pris par la musique que vous créez, il y a cet enthousiasme si particulier. c’est pour cela qu’on monte un groupe. c’est le seul moyen d’atteindre ce genre de sensations, en dehors de drogues ou de choses comme cela. et on n’en a jamais assez. on ne fait pas de la musique pour les interviews, ou pour être à paris, il ne faut pas l’oublier. personnellement, si tout s’arrêtait demain, j’aurais toujours besoin d’aller tous les matins dans la petite salle misérable jouer de la musique. en ce moment, nous avons des moyens beaucoup plus rapides et puissants pour développer notre musique, mais si ces moyens disparaissent, on continuera à jouer.

pas-cargo ! : est-ce que votre vie de musiciens professionnels correspond à l’idée que vous vous en faisiez ?

daniel : pour être honnête, on commence juste la tournée, c’est complètement nouveau pour nous tout ça. nous sommes contents de pouvoir maintenant faire de la musique tous les jours, de pouvoir se concentrer dessus. avant, on devait s’arrêter un peu tout le temps pour aller travailler par exemple, et cela change tout de pouvoir le faire à plein temps. samuel : je dois dire que par rapport aux autres projets musicaux auxquels j’ai participé, on est très chanceux d’être soutenus par notre label, qui nous permet de tourner dans de bonnes conditions. cela ne serait pas possible avec un plus petit label. on a beaucoup plus d’énergie pour jouer sur scène. je me souviens de tournées où on montait dans le bus, on jouait le concert et on cherchait une salle où on pourrait dormir par terre, on remontait dans le bus sans avoir pu prendre de douche jusqu’à la ville américaine suivante. on n’avait pas d’argent. on vendait des tee-shirts pour pouvoir mettre de l’essence dans la voiture. on a maintenant des conditions de tournée, un confort qui nous premet de mieux jouer. les tournées précédentes avaient bien sûr un certain charme, mais les nouvelles conditions de tournée sont meilleures pour interpol. paul : on a aussi acquis une certaine expérience grâce à ces tournées, où on passait des semaines entières sur la route. on a pris l’habitude de se débrouiller tous seuls, par exemple à new-york où c’est la seule solution pour obtenir quelque chose. c’est plus facile maintenant, mais je pense qu’aucun de nous ne s’attendait à être aussi bien traités.

pas-cargo ! : vous ne croyez pas au mythe de l’artiste qui doit souffrir pour donner sa pleine mesure. plus la situation matérielle est bonne, plus les musiciens sont performants ?

samuel : comme j’ai dit, on peut clairement tirer quelque chose de positif de tournées comme celles que j’ai vécues il y a dix ans, sans budget. cela m’a nourri de différentes manières, mais je ne pense pas que cela soit bon pour interpol. il y a d’autres types de difficultés dans la vie quotidienne qui nourrissent la créativité. nous ne sommes pas non plus traités comme de vraies rocks stars de toute façon. c’est plus confortable qu’avant. je ne pense pas cela ait un quelconque impact négatif sur notre créativité. il y a assez de mauvais moments dans la vie de tous les jours pour nourrir notre créativité. daniel : je pense aussi que nous sommes dans une période de transition. on vient d’une période très pure où on n’écrivait de la musique que pour nous-mêmes, sans aucune attention extérieure. cela devient différent quand les gens s’intéressent à votre musique, que vous avez une maison de disques, des fans. il y a toujours cette étape de transition pendant laquelle le succès commence à arriver. heureusement pour interpol, cette étape n’est pas arrivée facilement et rapidement. cela a pris des années, on a eu le temps de mieux se connaître et de progresser musicalement. on sait ce que signifie faire partie d’un groupe et jouer des concerts tous les soirs. c’est une progression naturelle que tout groupe doit surmonter. on a vraiment eu la possibilité de grandir à notre rythme, et je pense qu’on pourra beaucoup mieux contrôler ce qui se passe autour du groupe. nous sommes là pour écrire des chanson et faire des concerts. cela doit rester simple. on a appris à se concentrer sur l’essentiel.

cargo ! : a partir de quand le succès peut-il devenir un danger ? les énormes groupes ont du mal à rester eux-mêmes... refuserez vous ce qui va avec le succés, comme les jet privés...

ensemble : non, sûrement pas (en riant)... daniel : (en français) on ne le voit pas comme un danger, car le succès n’est pas venu vite pour nous. on a acquis beaucoup de confiance.

pas-cargo ! : vous êtes prêts à vendre des millions d’albums...

daniel : (en français) tout à fait. je ne pense pas que cela aura d’effet négatif sur notre musique. j’ai pensé pendant longtemps que cela allait représenter un danger, et je sais que cela s’est avéré dangereux pour de nombreux groupes. je pense que l’écriture de notre musique va progresser. le deuxième album sera en progrès par rapport au premier.

cargo ! : le danger, par exemple pour nous, c’est qu’on ne puisse plus vous interviewer...

daniel : je ne pense pas.

cargo ! : il y a plein de groupes qui sont coupés de beaucoup de gens et de beaucoup de choses par leur entourage dès que le succès arrive.

daniel : on est assez punk-rock dans l’esprit. les interviews avec des plus petits médias sont plus importantes pour nous que les grosses interviews, car ce sont en général des gens qui aiment vraiment la musique.

cargo ! : l’année prochaine ou dans deux ans, je te le rappellerai !

daniel : d’accord ! sans problème...

cargo ! : vous parliez de progrès entre le premier et le deuxième album. est-ce que vous êtes totalement satisfaits du premier album ?

paul : (en français, puis très vite en anglais) on n’a pas eu beaucoup de temps pour enregistrer cet album en fait. on a obtenu à peu près ce qu’on voulait, mais il y a plein de petites choses qu’on aurait pu améliorer. on était limité dans le temps. nous sommes très méticuleux. je ne peux pas écouter l’album, je ne pourrais pas m’empêcher de dire toutes les trente secondes : « pourquoi est-ce qu’on a fait ça, ou pas fait ça... ». ce qui ne veut pas dire qu’on n’est pas content de l’album. daniel : et peut-être est ce trop tôt pour toi, peut être que si tu réécoutais l’album dans un an, tu te dirais : « finalement, ça sonne bien ce passage, c’est mieux que ce dont je me souvenais ». paul : c’est vrai que dans le studio, à la fin de l’enregistrement de chaque chanson, j’étais toujours satisfait. je disais : « oui, c’est ça ! », on arrivait à un point où je ne voulais plus rien changer. mais c’est très dur d’arriver à un point ou tout le monde est d’accord sur le travail effectué ! daniel : c’est aussi naturel pour un musicien de ne jamais être complètement satisfait de son travail. on était limité dans le temps, et c’était peut-être une bonne chose, car on a été obligé de se concentrer sur l’essentiel, en appliquant des règles simples. on jouait pratiquement les chansons live dans le studio. en général, quand la chanson avait un problème, c’est qu’on s’était trop éloigné de la version live. si je réécoutais l’album, je ne serais peut-être pas non plus entièrement satisfait, mais il y a une vraie atmosphère musicale sur ce disque, et c’est le plus important. cette atmosphère aurait pu être perdue en entrant dans le studio. je pense qu’il y a vraiment l’atmosphère interpol dans cet album. samuel : la technologie moderne n’aide pas vraiment à rendre un album meilleur. une chanson peut maintenant aller dans tellement de directions différentes, il y a tellement de petites choses qu’on peut modifier en studio. c’est plutôt déroutant qu’autre chose. il faut rester maître à bord, et cela devient de plus en plus difficile. il faut aussi être capable de dire à un certain point : « cet album ne m’appartient plus », et laisser d’autres personnes l’écouter. il y a des groupes qui ont cinq versions différentes de l’album qui leur plaisent et qui ne savent plus choisir. c’est ce qui est arrivé à my bloody valentine par exemple. il faut s’avoir s’arrêter ! daniel : je pense qu’on a beaucoup appris en studio, dans la prespective du deuxième album. on pense déjà à essayer certaines choses, on écrit. l’enregistrement de ce premier album nous a fait beaucoup progresser.

pas-cargo ! : vous vous donnez combien de temps avant de sortir le deuxième album ? vous avez prévu de beaucoup tourner ?

daniel : oui, on espère. jouer et écrire de la musique, c’est la base du groupe. on ne pourrait pas s’arrêter de le faire. nous n’allons pas prendre six mois pour écrire le deuxième album. nous ne sommes pas comme ça. on enregistrera en temps voulu les nouveaux morceaux, et cela sera probablement nécessaire de se poser quelques temps de toute façon, mais on a besoin de créer et d’écrire en permanence. on a déjà écrit un certain nombre de nouveaux morceaux, et j’espère qu’on pourra bientôt faire un break pour voir ce qu’on peut tirer de la tournée et de nos nouvelles expériences. samuel : ce serait bien d’avoir un studio mobile de tournée pour enregistrer en permanence. on enregistrerait trois albums pendant la tournée !

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publié par le 15/07/02