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publié par arnaud le 22/07/06
iLiKETRAiNS
- Progress - Reform
Progress - Reform

Rumeur

La rumeur enflait depuis quelques mois, sur la foi de quelques singles, vynils et compilations, autoproduits ou sortis au gré des labels britanniques « découvreurs de talents » (Fierce Panda en tête) : le groupe de Leeds, répondant à l’énigmatique patronyme d’iLiKETRAiNS (veuillez noter que l’interface Cargo n’autorise pas la casse particulière du groupe, ces "i" minuscules, l’usages des capitales pour le reste), allait bientôt exploser à la face des amateurs d’atmosphères aériennes, ceux-là mêmes qui, au royaume de sa Majesté, ne se reconnaissent pas dans les pitreries grotesques d’un Pete Doherty, ou pour qui la vague folk branchouille n’offre pas assez d’espace, d’amplitude pour le son, en ne proposant qu’un cadre chétif et étriqué pour laisser vivre les rêves. Et des rêves, ces Anglais en ont plein les yeux quand on les découvre sur scène début juin, parcourant l’hexagone avec leurs collègues de Redjetson. Une nouvelle fois, saluons l’initiative du label bordelais, Talitres, qui leur offrait là non seulement l’occasion de compiler leurs premiers titres pour un album, certes de courte durée (à peine la demi-heure mais mais à l’intensité impressionnante), et qui dans la foulée envoyait la formation sur les routes pour quelques concerts plutôt réussis.

Histoire

Car même devant un public éparse, en dépit de conditions loin d’être optimales pour leurs projections de diapositives, iLiKETRAiNS joue avec tout son coeur. Avec leurs uniformes des chemins de fer britanniques comme unité visuelle, le groupe construit ses ambiances à grand coups de références : guitares tournoyantes, répondant de la meilleure façon à ce renouveau shoegaze d’outre-Manche (déjà présent chez Redjetson justement, dans une moindre mesure chez Hope Of The States), mais aussi ces touches de claviers ou de cuivres en clair-obscur, évoquant la délicatesse d’un Sigur Rós. Un univers déjà très singulier, qui trouve sa dimension dans les thèmes des chansons, puisant l’inspiration dans l’Histoire même du siècle passé. Le funeste destin de l’expédition de Robert F. Scott au Pôle Sud (Terra Nova, nom de son embarcation) ou encore la figure icônoclaste du joueur d’échecs Bobby Fischer (Rookhouse For Bobby), champion américain poursuivi par le fisc, contraint à l’exil en Islande. Il y mène une vie d’ermite pour échapper aux foudres du FBI qui lui reproche d’avoir brisé le blocus imposé à l’ex-Yougoslavie en acceptant une partie revanche en pleine guerre civile. Dans cette approche très culturelle, un brin intello, iLiKETRAiNS rejoint définitivement les Oxonniens d’Hope Of The States, de surcroît lorsqu’ils ajoutent une dose sociale à leurs paroles : ainsi The Beeching Report qui rappelle le plan désastreux de restructuration des lignes ferroviaires britanniques, établi par Richard Beeching au débuts des années 60, ayant mené au démentellement d’un nombre important de petites gares.

Crooner

Mais là ou iLiKETRAiNS se démarque de la concurence de la bouillonnante scène locale, c’est dans la voix de Dave Martin, croisement improbable entre la profondeur d’un Ian Curtis ou d’un Nick Cave, alliée au timbre emprunté d’un Neil Hannon ou d’un Morrissey. L’écoute de Progress-Reform est un voyage en apesanteur, une courte parenthèse enchantée, bâtie autour d’un post-rock tantôt épique (le final de Terra Nova), tantôt discret (un poignant The Accident au piano en suspension, à la mélancolie rampante, dissimulée dans chaque note de cornet d’Ashley Dean), habité par un crooner qui prend garde de ne jamais tirer la couverture à lui. L’équilibre est presque parfait, l’émotion à son comble.

éthéré

Si les guitares savent se faire rêveuses (les magnifiques tapis sonores de Citizen), parfois réminiscentes des lignes éthérées d’un Robin Guthrie (sur les intros de A Rookhouse for Bobby ou Terra Nova), Martin et Bannister peuvent aussi construire des climats chaotiques à la puissance digne d’un Mogwai (le final de Stainless Steel, amené par une guitare jouée à l’archet et qui meurt dans une décharge électrique bourdonnante, dont on imagine, rêveur, l’impact scénique). Quant à la section rythmique, elle sait s’effacer pour laisser six-cordes et cuivres envelopper les compositions, et quand elle reprend le dessus, c’est pour inviter les guitaristes à entremêler délicatement leurs arpèges, à la manière d’Explosions In The Sky (en témoigne un magnifique No Military Parade).

Vision

S’appuyant en live, comme pour ses pochettes de disques sur des visuels originaux - conçus pour la plupart par Ashley, cornettiste de la formation - iLiKETRAiNS impose une vision singulière, une identité propre qui laisse présager du meilleur pour l’avenir. Voilà peut-être le groupe le plus interessant que la Grande-Bretagne nous ait livré depuis longtemps. En espèrant que sa discretion, son humilité, ne lui coûte pas trop cher, dans un univers qui célèbre le vulgaire, la facilité et glorifie l’éphémère, pourvu qu’il rapporte gros et vite. iLiKETRAiNS fait plutôt partie de ceux qui donnent tout, tant qu’on lui offre patience et attention.

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publié par le 22/07/06
Derniers commentaires
Sfar - le 26/07/06 à 14:56
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C’est mon coup de foudre de cet été. L’interprétation des morceaux est particulièrement poignante et impressionnante.
Sur « Terra Nova » , David Martin prête sa voix à un Capitaine Scott ressuscité et plein de remords concernant son expédition dramatique pour la conquête de l’Antarctique.
Le très engagé « The Beeching Report » est un morceau passionné, qui prend aux trippes, et qui se termine par un chœur, qui pourrait être celui des ouvriers, implorant Richard Beeching de revenir sur sa décision de fermetures des lignes ferroviaires du nord .

Ça fait vraiment du bien d’écouter quelque chose de si beau et avec un contenu tellement passionnant.
J’ai de grandes espérances pour ce groupe et un énorme regret aussi : je les ai ratés à la Laiterie de Strasbourg mi-juin.

Informations

Sortie : 2006
Label : talitres

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