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publié par Nausica Zaballos le 08/03/09
I feel good ! - Stephen Walker
Stephen Walker

Improbable chorale

I feel good est comme son nom l’indique, un documentaire sur des individus qui se sentent bien dans leur peau. Après de multiples pontages coronariens et 4 années de chimiothérapie, on pourrait pourtant connaître des moments de déprime. Eh bien, rien de tel pour les biens nommés Young at Heart, des sexta/septa et octogénaires qui partent régulièrement sur les routes des 4 continents pour interpréter d’improbables reprises de morceaux rock. Des débuts de cette chorale peu commune, créée en 1982 à Northampton, dans le Massachussetts, on ne saura pas grand-chose. Un journaliste britannique suit les répétitions des Young at Heart qui préparent un nouveau spectacle. Pour faire à nouveau sensation - ils font salle comble chaque soir et cela où qu’ils soient- le chef de chœur, Bob Cilman, un petit jeunot de 50 ans, a rappelé en renfort deux anciennes gloires du groupe, Fred Knittle et Bob Salvini, écartées pour raisons médicales.

Duos attachants

La caméra fait la part belle aux duos improbables tels la grand-mère black, Dora Morrow, vieille tigresse aux traits usés mais aux cris bien sauvages, et le papy un brin psycho-rigide qui a dû mal à mémoriser ses lignes. Le documentaire s’attarde également sur des personnalités attachantes comme Eileen Hall, la grand-mère indigne britannique, ancienne effeuilleuse, la seule pensionnaire à posséder la clef de la maison de retraite, qui manifeste un certain plaisir à rentrer tard après les répétitions.

Faux routards du rock

On aurait pu craindre le pire d’un documentaire sur des papys rockeurs. Gros plans sur des visages affaissés, édentés, voyeurisme un brin moqueur. Il n’en est rien ici. Certes, les corps portent manifestement les stigmates de l’usure et de la maladie. Cependant, on ressent bientôt la même tendresse que la caméra pour ces faux routards du rock. Malgré leur désir de bien faire sur le difficilement maîtrisable “Shizophrenia” des Sonic Youth, en dépit de leur punch sur “Should I stay or should I go”, les papys et mamys des Young at Heart méconnaissent souvent l’origine des tubes interprétés. Trop âgés à l’époque du grunge, trop mariés à l’époque du punk, ils sont pour la plupart d’entre eux les dignes représentants de la middle-class américaine et résident dans des banlieues bien proprettes. Leurs goûts musicaux se portent plus naturellement vers le classique, le gospel -certains sont d’ailleurs choristes à l’église locale- ou la country. Pourtant, lorsque leur directeur de chœur leur propose de reprendre le tube d’Allen Toussaint avec plus de 30 Yes, we can, la curiosité puis le sens du challenge vainquent les dernières réticences.

Décalage

La force des Young at Heart ne réside pas uniquement dans le ressort comique qui voit des membres du troisième âge s’agiter en tous sens sur le “I wanna be sedated” des Ramones. Certes, le décalage manifeste entre ces visages de vénérables anciens et des mots ou des attitudes rock qui expriment avant tout la révolte et donc peuvent sembler l’apanage de la jeunesse, est des plus frappants. Mais, en dépassant cet apparent paradoxe, on s’aperçoit que les mots d’incivilité, de désespérance des Ramones ou des Talking Heads sur “Road to Nowhere” transcendent les barrières d’âge, les catégories sociales et décrivent une même soif de liberté. Que peuvent avoir en commun un jeune punk et un vieil infirme en fauteuil roulant ? Peut-être le désir d’échapper à leur condition et de revendiquer une forme de liberté que la société civile et son cortège de représentations aliénantes leur nie.

Soif de liberté

Murmurer “Fix you” de Coldplay une bouteille d’oxygène le long de son corps alors que son meilleur ami, la deuxième partie du duo originellement prévu, vient de décéder et que l’on est seul sur scène, ne tient pas du pathos. Accuser le directeur de chœur de mise en scène de la souffrance serait trop simple. Bob Cilman refuse de masquer la perte, l’abandon et le dépérissement mais il offre à voir des corps qui refusent de rendre les armes et donnent une belle leçon de courage et de joie de vivre aux jeunes bien-portants. Young at Heart rappelle également que les barrières physiques sont souvent bien moins difficiles à abattre que les prisons mentales. Faire de ce groupe de vieillards de vrais professionnels qui ne décaleront pas la tournée après le décès d’un des leurs s’inscrit dans la même démarche que se produire dans des pénitenciers. Les regards des prisonniers qui fuient la caméra, qui fixent le sol, les visages qui enfin s’encadrent d’un sourire témoignent d’une reconnaissance de l’autre, de sa similitude malgré sa différence d’âge. Et voir un ancien marine, seul vieillard à conserver une bonne vue, foncer sur une petite route à toute allure ou écouter les confidences sexuelles d’un autre, nous rappellent la part de vérité du vieil adage « la jeunesse, c’est avant tout dans la tête ».

Reprises originales et réflexion

I feel good est donc un documentaire intéressant à plusieurs titres : pour ces reprises originales, pour la joie de vivre qu’il dégage et enfin pour la réflexion qu’il propose sur la vieillesse, l’infirmité et la mort.

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publié par le 08/03/09