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publié par Mathilde Vohy le 20/12/19
GiedRé - J’étais aussi contente quand je chantais dans mon bistrot où personne ne m’écoutait

GiedRé fait partie de ces artistes que nous suivons depuis le début et que l’on apprécie particulièrement. Ses premiers CDs autoproduits tirés à 2000 exemplaires, son album Panini sans disque, ses passages au Printemps de Bourges, son premier Olympia complètement fou en 2014, puis la création de son « constacle » très théâtral, quelques soient ses projets, GiedRé nous a toujours touchés. Nous avons toujours été persuadés que derrière les gros mots et les paillettes se cachait un personnage sensible et doté d’un regard unique sur le monde qui nous entoure. Pressés d’en discuter avec elle, nous avons profité de ses trois dates à l’Européen de Paris pour la rencontrer.

Salut GiedRé, pour commencer peux-tu pitcher la tournée et ton album “GiedRé est les gens” pour les lecteurs qui ne te connaitraient pas ?

Oui bien sûr ! C’est… en fait je suis vraiment nulle en pitch ! Ce ne sont que des chansons écrites à la première personne. Chaque chanson est un gens différent. Je suis leur voix mais c’est comme si c’était eux qui chantaient.

La particularité c’est que cette fois-ci tu te présentes avec un musicien sur scène, “Sandrine” (aka Cédric Perras). C’était déjà lui qui avait arrangé tes premiers albums ?

Oui, il est là depuis le début. Il a toujours eu différents rôles, il était par exemple là pour enregistrer mes premiers albums dans des greniers ! On a aussi bricolé ensemble sur les arrangements dont j’avais besoin. Pour ce nouvel album, cela m’a paru évidemment que l’on continue de travailler ensemble. J’avais également envie, pour la première fois, de ne pas écrire en composant. En général c’est ce que je fais, c’est simultané, j’écris paroles et mélodies ensemble. Je ne pensais pas savoir faire autrement. Là je n’ai écrit que les paroles, c’était assez bizarre !

J’allais justement te demander : lorsque tu as écrit les textes, tu avais quand même des airs en tête que tu as décrits à Sandrine ? Ou vous avez tout imaginé ensemble une fois les paroles écrites ?

Parfois, oui, j’avais des airs en tête dont je ne pouvais me dépêtrer. Néanmoins j’ai fait mon maximum pour n’écrire que les textes. Après évidemment j’avais une ambiance, des sons ou un tempo par exemple. Ensuite nous avons composé ensemble. C’était forcément beaucoup plus enrichissant de le faire à deux que seule !

Mais ces airs que tu avais en tête, les as-tu joués à la guitare pour lui présenter ou les as-tu simplement décrits oralement ?

J’ai essayé de simplement décrire pour qu’il puisse proposer une première ébauche pas du tout influencée par un air. Parce qu’après, quand t’as un air en tête, c’est très difficile de composer autre chose. J’ai tenté de lui donner une image sonore. Il y a tout de même des chansons pour lesquelles j’avais le refrain en tête, « Chambre 26 » ou « La Campagne » par exemple. Dans ce cas, comme je ne pouvais pas me détacher de l’air, je lui ai envoyé en guitare-chant et on l’a gardé tel quel.

« Comprendre quel est ce clown »

Avant, quand on te demandait si tu avais envie de jouer avec un musicien tu répondais souvent que tu aimais trop ton rapport exclusif avec le public. Est-ce que tu es tout de même contente de désormais partager ta scène ? Tu n’es pas frustrée ?

L’équilibre est évidemment différent. Avant le public était mon unique interlocuteur. C’est un peu comme quand tu as un enfant, puis que tu en as un deuxième. Tu te dis “avant j’étais là que pour lui et maintenant je dois partager !”. (rires)

Mais peut-être que tu donnes plus du coup ?

Ce qui a changé c’est aussi qu’avant je n’aurais pas pu jouer avec un musicien cachetonné. Enfin il n’y a pas que des musiciens qui cachetonnent hein ! Il y a aussi des musiciens qui aiment ce qu’ils font. Mais ce que je voulais dire c’est qu’il fallait que le musicien ait un rôle dans le spectacle, qu’il ait autant envie que moi de faire ces chansons et de raconter ces histoires. Que ça lui importe quoi ! Pour moi Sandrine n’est pas remplaçable par un autre !

La construction du spectacle s’est donc faite à deux ? Ou tu avais déjà tout en tête ?

J’ai un côté un peu nazi dans le travail donc j’avais déjà écrit… (rires) Pour le coup Sandrine n’est pas comédien, c’est un vrai musicien mais il s’en sort super bien parce qu’il a ça en lui ! Je pense que si tu veux que quelqu’un soit à l’aise sur scène et d’autant plus dans un personnage de clown, il faut que tu le comprennes et que tu comprennes quel est ce clown. Certains vont être hyper à l’aise en faisant les beaux gosses parce que c’est l’image qu’ils sont à l’aise de renvoyer. Il a suffit de creuser et de travailler pour trouver un endroit et un clown dans lequel Sandrine est confortable. Une fois que tu es d’accord avec les codes ça coule de source !

Est-ce que cela t’a donné envie de continuer sur ce modèle sur un éventuel prochain album ? Ou as-tu envie de revenir à la forme “solo” pour rejouer tes vieux classiques ?

C’est un mélange des deux ! Tout ce que j’écris pour la suite est une forme un peu plus classique, cela se rapproche de ce que je faisais avant. Ce n’est plus conceptuel quoi. “Ca c’est GiedRé est les plantes et chaque chanson est une plante !” non non ! (rires) En revanche, j’ai pris goût à ce que la musique soit plus étoffée et au côté plus musical des chansons. Si je reviens à la guitare-voix, il me manquera peut-être quelque chose.

Mais paradoxalement on peut aussi dire que tes albums précédents étaient plus musicaux dans la manière de les présenter sur scène. Les gens chantaient par exemple plus que maintenant.

Oui parce que là on est sur une forme spectacle-concert. Avant, c’était purement concert. Bref, on va faire un mix de tout ça mais dans la forme, ce sera davantage concert. Là j’avais envie de faire un “constacle”, pour faire justement une pause avec les vieilles chansons. Cela m’a permis de ne pas m’en lasser et de pouvoir les chanter de nouveau lors de la prochaine tournée.

Les gens seront peut-être encore plus heureux de les retrouver !

Peut-être ouais, ça donnera un petit coup d’air frais !

© Jules Lahana

« L’intérêt et la volonté sont toujours les mêmes »

GiedRé est les Gens est un album plus politisé, ou du moins plus engagé sur certains sujets de société. Cet engagement t’a-t-il permis de changer de regard sur les questions que tu évoques ?

La démarche est en effet différente. Cette fois, la manière de faire est plus frontale dans le sens où je ne parle pas en mon nom. Il y a cette forme de la première personne du singulier qui est censée parler pour le personnage de la chanson. Quand je chante en mon nom, je raconte, donc forcément c’est un peu moins direct. Là c’est les pieds dedans parce que c’est le personnage qui s’exprime.

Et est-ce que cette frontalité et cette manière d’aborder les choses ont changé ton regard sur les sujets dont tu parles ?

C’est intéressant comme question. En fait, à partir du moment où tu choisis de parler d’un sujet, quelque soit le biais et la manière, cela veut dire que tu as envie de l’évoquer, qu’il t’intéresse et te tourmente ou te touche. C’est juste un autre moyen mais l’intérêt et la volonté sont toujours les mêmes.

Trouves-tu que selon les salles et les lieux où tu joues, certains sujets font plus rire que d’autres ? « La campagne » par exemple, fait-elle plus rire à Paris qu’ailleurs ?

Oui forcément ! La chanson « Jambon-Beurre » (sur les abattoirs) par exemple, quand tu la chantes dans un milieu hyper rural où les gens tuent le cochon une fois par an et où c’est la culture du pâté et du foie gras, ça n’a pas la même résonance qu’à Paris où les gens sont plus avertis. J’ai quitté Paris après y avoir habité longtemps et je vois vraiment la différence sur ce genre de thème. Je me souviens, lors d’un concert dans le Gers, donc LE pays du canard, tous les gens étaient douteux en mode “euuuh ok”. Et il y avait juste deux personnes au fond en mode “ouaaaais !”, ça devait être les deux seuls végétariens du département tu vois ! Ils devaient être enfin compris !

« J’avais besoin d’un truc beaucoup plus direct »

Pour revenir à tes débuts, tu dis avoir commencé sans prétention et ni idée de ce que tu voulais faire. Alors que tu sortais d’une école de théâtre, pourquoi avoir commencé par la musique et pas par du stand up par exemple ?

J’avais envie de balancer avec le milieu du théâtre dans lequel j’évoluais. J’avais besoin d’un truc beaucoup plus direct, plus frontal et surtout sans quatrième mur. A ma connaissance, la musique est le seul art de représentation sans quatrième mur ! En danse il y en a un, au théâtre, on a beau connaître par cœur “Ô rage ! ô désespoir ! ô viellesse ennemie !”, il n’y a pas le public qui se lève à la Comédie Française et qui crie en même temps que le comédien. Alors que pendant les concerts quand t’attends ta chanson, tu l’as, tu peux chanter et taper dans les mains. La musique a ce truc beaucoup plus populaire et fédérateur que je cherchais. Alors oui, ça demande de savoir jouer un instrument mais je n’ai pas attendu de savoir hyper bien jouer de la guitare pour écrire mes premières chansons…

Sinon on ne fait jamais rien de toute façon !

Oui exactement ! Bien sûr !

Maintenant que ça a marché et que c’est ton métier, as-tu plus d’ambitions ou du moins des envies particulières que tu n’aurais pas osé avoir en commençant ?

Bah franchement, non ! Ça ne va pas faire rêver les gens mais moi j’étais aussi contente quand je chantais dans mon bistrot où personne ne m’écoutait qu’aujourd’hui. Alors, oui, maintenant c’est plus confortable et plus flatteur parce que les gens viennent et qu’ils connaissent mais le plaisir est le même.

Ca n’a pas déclenché de nouvelles idées ?

La différence est que tes idées sont réalisables en fait. Avant tu rêves, tu te dis “un jour peut-être, ce serait trop bien qu’on fasse ça” et maintenant, parce qu’il y a un public et un soutien, tu te dis “en fait, ce qu’on va faire à la prochaine tournée c’est ça !”... Mais tout ceci n’est que du confort. Néanmoins, si je n’avais jamais fait de vrais concerts comme j’en fais maintenant, je pense que j’aurais toujours écrit des chansons et je les aurais toujours chantées. Peut-être que ça aurait été devant cinq personnes mais je l’aurais quand même fait.

Oui parce que tu ne l’as pas fait pour que ça marche, tu l’as fait parce que tu en avais envie.

Exactement, j’avais envie d’écrire et de chanter des chansons, je ne pensais pas à plus que ça.

Le fait d’avoir écrit une BD (La Boîte de Petits Pois) ou joué dans un film (Les Bonnes Intentions), est-ce que c’était parce que tu n’étais pas pleinement satisfaite de la musique ?

Oh non pas du tout ! C’est juste l’occasion qui s’est présentée. La BD c’était particulier. Jouer dans un film je connaissais, c’est de la comédie, t’es au service d’un texte, d’un réalisateur, d’une équipe. La BD c’est vraiment de la création, ça n’existe pas et tu dois tout créer. Cela m’a beaucoup plu mais cela ne m’empêche pas d’être pleinement satisfaite de la musique !

Peut-être que toutes ces activités se complètent même ?

Oui tu racontes toujours des histoires, mais sur des supports différents. Et quand tu la racontes en BD, tu peux être en jogging et grosses pantoufles chez toi à boire ta tisane avec les cheveux sales !

© Jules Lahana

« Je suis peut-être plus sensible à la littérature »

Parlons maintenant de ton rapport à l’art. Tu écoutes quoi comme musique ?

Je suis assez sensible à la musique donc il faut que j’écoute des choses assez bienveillantes. Par exemple, je viens de faire une interview avec un magazine de métal, et j’ai beaucoup de métalleux dans mon public, je les adore, j’adore leur démarche et leur humour mais je ne peux pas écouter ! Ca remue des trucs en moi qu’il ne faut pas remuer ! Ca va être un peu nian-nian mais j’écoute beaucoup de folk et pas mal de musique classique. J’ai eu ma période Fifties mais en général je me situe essentiellement dans les années 1970-75 américaines.

Tu es plus sensible aux paroles ou à la musique dans ce que tu viens de me citer ?

Là dans ce que je viens de te citer je suis plus sensible à la musique. Si j’ai envie d’écouter des paroles je vais écouter du rap francais.

Et les Cowboys Fringants !

PASSION ABSOLUE ! Et tu vois pour moi les Cowboys Fringants ils allient les deux : les textes et la musique. C’est des putains de paroliers et des putains de mélodistes.

Et ils sont Américains !

Est-ce que la musique est l’art auquel tu es la plus sensible ?

Je pense que je suis peut-être plus sensible à la littérature. Je peux passer une journée sans écouter de musique alors que je ne peux pas passer une journée sans lire. J’imagine que c’est à ça qu’on définit ce à quoi on est le plus sensible !

Penses-tu être influencée par ce que tu écoutes ou ce que tu lis quand tu composes ? On est forcément influencés par ce qu’on fait au quotidien mais est-ce que tu t’es déjà dit en écoutant une musique “ah tiens, cela me donne des idées pour mes morceaux” ?

Ah bah oui bien sûr ! Quand tu aimes une chanson d’un autre artiste, tu essayes de la décortiquer et de la rejouer. Et forcément tu te dis “ah ouais mais cette file d’accords ça marche vachement bien ! Si je la transpose comme cela...”.

Cela t’arrive donc souvent de t’amuser à jouer les morceaux d’autres artistes que tu apprécies ?

Oh ouais j’adore ! Je n’ai pas de honte à jouer super mal les chansons des Cowboys Fringants que j’adore et que je trouve super belles. De toute façon, c’est pour cela que j’ai commencé la guitare, pour jouer les chansons que j’aimais bien.

Je pense qu’il y a de toute façon peu de gens qui commencent un instrument avec la prétention d’écrire directement leurs propres morceaux !

Exactement ! J’ai commencé comme cela et je continue aujourd’hui.

Sinon je me demandais, quand on a écrit 9 albums, est-ce qu’on en a un de préféré ? Un album qu’on porte plus dans notre cœur pour ce qu’il représente ou pour la tournée qui s’en est suivie ?

Je pense ouais ! Et d’autres où on se dit “ah…” (rires). Forcément, les premiers c’est les moins bons qualitativement, pas en termes de chansons mais en termes d’enregistrements. Mais tu vois, c’est le début donc c’est là que tu découvres tous les trucs dont t’es presque blasé maintenant : les tournées, les loges… Jamais tu n’oublieras ta première scène ! Moi, hormis les premières parties de Raphaël Mezrahi et Laurent Baffie à la Cigale, ma première vraie scène musicale c’était un festival de World Music à Aix-en-Provence. Je passais après un groupe de reggae, aucun rapport ! Je suis montée sur scène et je me suis dit “c’est la seule fois de ma vie que je vais faire un concert, c’est sûr et certain je vais me faire jeter ! Plus personne ne voudra me programmer nul part !” donc j’en ai profité à fond !

Et tu avais été bien accueillie finalement ?

Oui j’avais été hyper bien accueillie !

Donc on doit remercier le public d’Aix-en-Provence car c’est grâce à leur bienveillance qu’on a tes chansons aujourd’hui !

Voilà, c’est ça !

Et enfin, tu n’as jamais enregistré de featurings avec d’autres artistes alors que tu as tout de même partagé beaucoup de scènes. Est-ce le hasard ou un choix personnel ?

C’est vrai, j’en ai fait sur les albums d’autres artistes mais pas sur les miens. Sur l’album pour enfants d’Oldelaf par exemple, ou avec un groupe de rap troyen que j’aime beaucoup et qui s’appelle Cadavreski. Il est vrai que j’en ai jamais fait sur mes albums. C’est le hasard mais mes albums je les vois tellement comme “mes petits machins” que j’ai du mal à les partager. C’est un peu sacré ! Après j’adore inviter des gens à venir avec moi faire des duos sur scène.

Pour finir, c’est quoi l’actu des prochains mois ? Tu continues le constacle ?

Oui je pense qu’on va tourner avec le constacle jusqu’au printemps. Entre temps, je suis activement en train d’écrire pour un enregistrement l’année prochaine afin de repartir sur autre chose ! Donc pas vraiment d’actus mais tout est en cours !

P.-S.

Merci à Nico du Rat des Villes et à GiedRé pour son temps et ses réponses ! Portrait : ©PEB

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publié par le 20/12/19