Avec Mad Max : Fury road, le réalisateur George Miller a réussi quelque chose d’assez fou. Inaccessible même si vous vous appelez Scott, Lucas ou Spielberg : reprendre une trilogie du cinéma d’action-anticipation, devenue mythique ( "à la mad max" était l’expression pour décrire le post-apo avant le post-apo) et lui donner une suite, pas seulement à la hauteur de son héritage mais apte à créer son propre mythe. Et ce n’est pas qu’un bon film de genre, on n’hésitera pas à classer Fury Road en toute subjectivité parmi les chefs d’œuvre du 7ème art. Pour l’énorme claque visuelle, pour la richesse de l’univers développé et les personnages hauts en couleur, qui rappellent l’imagination délirante d’un Jodorowsky (qui a aussi quelques ovnis cinématographiques à son actif), pour la qualité de son scénario qui dit tant de choses en se passant de mots.
Fury Road a donc placé la barre très haut pour sa préquelle. Alors avec Furiosa Miller a t’il encore réussi à se surpasser ?
Ou a t’il succombé comme tant d’autres à la malédiction des franchises ?
La réponse est…
Non et non, ou plutôt un entre-deux : Furiosa ne rejoindra pas Fury Road dans le Valhalla par la grande porte, avec une haie d’honneur de braves, mais il n’est pas médiocre pour atant. C’est une bonne… suite et peut-être un film correct, on ne saurait trop en juger : on aime tellement Fury Road qu’il est impossible de détester ce qui est globalement plus de la même chose.
Retrouvailles
On retrouve donc le même monde désolé orange et bleu, les mêmes personnages une dizaine d’années plus tôt le personnage de Furiosa bien sûr mais aussi la galerie de freaks autour d’Immortan Joe et sa version barrée de la mythologie nordique. Cette fois-ci il n’est pas le grand méchant, le rôle est dévolu à Dementus qui se déplace sur un chariot tiré par trois motos et dont le principal accessoire vestimentaire en dehors des pectoraux de Chris Hemworth est un ours en peluche.
Le film regorge aussi de scènes d’action motorisée jubilatoires, filmées dans des paysages sublimes, mis en valeur par une photographie spectaculaire, qui en met plein les yeux sur un écran de cinéma. Même si le monde qui est dépeint est dévasté et hostile à l’homme. Ceux qui essaient de reconstruire une société pacifiquement y sont à la merci de leaders dégénérés et dérangés dont le côté loufoque rend d’autant plus choquante, en théorie, l’ultra-violence qu’ils mettent en œuvre pour imposer leur autorité. Et en face un personnage féminin, fort, une héroïne animée par une idée maitresse, lancée dans une quête épique. Si la thématique de Fury Road était la quête du Paradis, du Saint-Graal, celle de Furiosa l’est tout autant : la vengeance.
Un plat un peu trop froid
Et pour nous, plus que la structure classique de la narration, le peu de prise de risques, c’est là que Furiosa loupe le coche : on croit à fond que Anya Taylor-Joy est le personnage pourtant déjà très bien incarné par une remarquable Charlize Theron , tout comme Alyla Browne est attachante en tant que Furiosa enfant. Mais des scènes dures, où ceux qu’elles aiment se font torturer et tuer, en tant que spectateur, on n’a pas la révulsion, le dégout, la peine que peuvent inspirer les noces pourpres de Games of Thrones ou la scène de la clairière avec Negan et sa batte dans The Walking Dead. Ou le début de The Crow. Qu’est-ce cela dit de nous, de notre accoutumance à la violence plus que du film est une vraie question. Mais le fait est que Miller ne réussit pas à nous embarquer dans la quête de son héroïne, à faire notre sa vengeance. Un mot pourtant répété trois fois sur l’affiche.
Fan service
En l’absence de ce moteur dans la narration, c’est la fureur des moteurs ... de voiture et des combats qui compense et en général tout ce qui vient du premier film. Ls longues scènes d’action motorisés qui dans 90% du cinéma sont chiantes à mourir et qui ici captivent. Les personnages déjà cultes comme Rictus ou Immortan Joe nous font trembler pour une jeune Furiosa courageuse, qui ne perd jamais espoir. Encore une fois Anna Taylor-Jones est génial dans ce rôle, comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs. Il y a le plaisir aussi de découvrir un peu plus en détail le passé de ses personnages, de visiter les lieux comme Gas Town et la Bullet Farm, un worldbuilding très cool donc pour le fan du précédent film.
Standalone
Mais tout cela confirme la tendance du film à s’inscrire dans la continuité de Fury Road plutôt que de chercher à s’en émanciper. On perd l’audace, la radicalité qui dans un scénario très classique dans sa structure, très sage et bien rangé, avec ses ellipses, ses chapitres bien séparés, un chemin globalement déjà tracé.
Fury Road était aussi d’une totale linéarité mais il était extrêmement "ramassé" dans le temps et dans l’action, au point d’être à la fois un huis clos et un road-movie (et un western). Et un récit épique , l’Odyssée d’Homère condensée en deux jours et où à peine débarqué Ulysse déciderait que la Guerre de Troie n’aura pas lieu et repartirait dans le sens inverse en butant tout ceux qui se mettraient sur sa route. Furiosa n’a pas cette radicalité, cette simplicité presque brutale, c’est une histoire de vengeance assez convenue, au point que vous dire que vous savez déjà la fin n’est pas même pas un spoiler.
Cela fait beaucoup de clous dans ce qui pourrait être le cercueil de Furiosa mais il faut plutôt le prendre dans notre cas comme une application du "qui aime bien châtie bien". On a déjà envie de revoir Furiosa et aucun doute qu’il rejoindra Fury Road sur l’étagère-valhalla. Et pour finir on peut se demander si les dés n’étaient pas pipés d’avance en faisant un préquelle avec la perte de liberté que cela entraine forcément. En fait Miller établit lui-même un lien tellement fort entre les deux films, en terminant Furiosa pour qu’il s’enchaine avec Fury Road comme si c’était le même film avec un court entracte entre les deux, il va même à reprendre des images de Fury Road alors on peut se demander si lui-même le voit comme un film "indépendant".