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publié par Mélanie Fazi le 16/03/16
Françoiz Breut
- Zoo
Zoo

Qu’il fait plaisir à entendre, cet album-là ! On l’a très tôt écouté en boucle, un sourire inamovible aux lèvres, un peu surpris mais surtout épatés. C’est toujours un beau cadeau quand des artistes qu’on suit de longue date réussissent à tourner le dos aux habitudes avant que l’usure ne s’installe, à défricher des territoires nouveaux pour y faire pousser des musiques fécondes. Quelque chose de passionnant s’amorçait déjà, il y a quatre ans, sur La chirurgie des sentiments, qui semble ici se déployer et trouver sa pleine mesure – sinon sa perfection.

La tête dans les étoiles

Un album « léger, caressant, apaisant et apaisé », disions-nous de celui-là. Mais Zoo, qui semble former avec lui une forme de diptyque, va plus loin encore. C’est un album joyeux, euphorique et euphorisant, qui a le cœur à la fête. Un album habité par une fantaisie débridée dans les images, les bruitages et les ambiances. Il nous semble tout à coup percevoir un lien jusqu’alors invisible entre la musique de Françoiz Breut et son travail d’illustratrice. On croirait par moments feuilleter un grand livre d’images – on entend d’ailleurs le bruit des pages qui se tournent, le temps d’une étrange vignette récitée en allemand (« Morlocks und die Streunerin ») qui semble nous raconter une histoire à l’heure du coucher. La pochette de l’album elle-même pourrait être la couverture d’un livre pour enfants.

L’imaginaire qui déploie ici ses ailes rappelle celui de certains ouvrages pour la jeunesse, dans sa façon de laisser les métaphores prendre racine et suivre le fil des pensées plutôt que celui de la raison : ainsi, les bras d’un homme désiré deviennent les branches d’un arbre où l’on rêve ensuite d’installer son nid (« L’arbre ») ; le corps devient une ménagerie par le biais d’expressions toutes faites soudain prises au pied de la lettre, papillons dans le ventre et autres chats dans la gorge (« Zoo ») ; et l’on croise dans « Le jardin d’Eden » un « serpent aux cheveux bouclés ». Et sur « La conquête », splendide morceau d’ouverture, la voix d’un jeune garçon égrenant le nom des constellations nous appelle doucement vers les étoiles.

Comme un gracieux ruban

Ce qu’il nous semble entendre ici, sur ce sixième album de Françoiz Breut et le troisième qu’elle ait elle-même écrit, c’est le moment d’une affirmation : celui où sa maîtrise de l’exercice devient suffisante pour lui permettre de se libérer totalement. Celui où elle trouve plus que jamais sa place et s’y épanouit. Quelque chose apparaît qui se distingue de plus en plus de la tonalité plus réaliste, en demi-teinte, des morceaux que d’autres lui écrivaient auparavant. C’est grisant et touchant à la fois d’entendre émerger ainsi la personnalité d’une artiste qu’on côtoie pourtant depuis près de vingt ans. Sans doute la collaboration avec son comparse Stéphane Daubersy, déjà co-auteur de l’album précédent, s’affirme-t-elle également. Il y a une vraie cohérence dans cet album, une ligne directrice forte, une ambiance palpable, qui rayonne d’une joie toute enfantine.

Même le chant, au diapason de structures de moins en moins formatées, semble se libérer. On se surprend à penser par moments qu’on n’a jamais entendu la voix de Françoiz Breut se poser de telle ou telle manière. Comme sur le refrain tout en langueur du sensuel « Jardin d’Eden », composé d’une longue phrase qu’elle déroule tranquillement comme un gracieux ruban. Le phrasé est plus souple, plus ample que jamais, comme porté par les rythmiques particulièrement travaillées ici. Les basses sont rondes ou sinueuses, le son est organique, les chansons « souples, presque élastiques », pour emprunter les termes d’un dossier de presse aussi juste qu’inspiré. C’est un album éminemment sensoriel et d’une belle densité sonore.

Terrain de jeu et d’insouciance

Dans ce Zoo habité par une euphorie contagieuse, la musique devient un terrain de jeu, d’insouciance, d’expérimentations légères. Un album où même les paroles s’affranchissent de leur propre gravité par le biais du chant (sur « Écran total » où l’on se perd dans les pièges de la Toile numérique, sur « La proie » où sourd une menace tranquille). Un album qui prolonge et sublime la démarche entreprise avec La chirurgie des sentiments, pour y trouver une forme de plénitude et d’aboutissement. Dans la discographie sans cesse réinventée de Françoiz Breut, où les cycles se suivent sans se ressembler, on ne s’étonnerait pas que Zoo reste plus tard emblématique de la période en cours, comme Vingt à trente mille jours l’était de la précédente. C’est peut-être bien l’un de ses meilleurs albums ; c’est en tout cas, sans l’ombre d’un doute, le plus jubilatoire.

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publié par le 16/03/16