Au Cargo, le temps vit sa vie comme les autres, avec ses hauts et ses bas, ses oublis. Il n’est pas rare de se réveiller au bout d’un an en se demandant pourquoi telle chronique n’est toujours pas achevée. Il nous arrive aussi de patienter des mois que la porte d’entrée d’un article veuille bien s’ouvrir. Et puis, de temps à autres, lassés d’attendre, il devient soudain urgent de passer par la fenêtre, sur la pointe des pieds, pour éviter que Saturne ne nous repère. Le nouvel album de Kristin Hersh, Clear Pond Road, est sorti il y a plus d’un mois maintenant et la porte de la salle sur demande se dérobe toujours. Si vous le voulez bien, ce sera donc la fenêtre.
Et ce sera forcément un peu moins structuré.
« Once more with feeling » (extrait de l’hypnotique "Bewitched reruns" qui ouvre le disque) résume assez bien la situation. Kristin Hersh n’a plus rien à prouver, elle a sorti tellement de disques qui, sans faire de bruit, nous ont marqué profondément qu’elle pourrait se laisser aller un peu, comme tant d’autres à ce stade de leur carrière. Mais la voici qui revient une nouvelle fois et toujours avec ce feeling, ses failles et son humanité qui nous scotchent pour longtemps. Certes la voix est irrémédiablement éraillée mais au final ça ne fait que renforcer sa présence naturelle. Et puis bien sur, on retrouve ces guitares folks rugueuses (la pesante à souhait "Ms Haha") et ces arpèges si caractéristiques ("Dandelion" et ses cordes déchirantes, "Reflections on the motive power of fire" et ses clochettes), parfois combinés pour créer le morceau hershien par excellence (le single "Constance street"). C’est tout un univers qui revient nous hanter lorsqu’on met un nouvel album de Kristin Hersh. Elle réussit le tour de force de tourner autour de cette ambiance nocturne et mélancolique d’album en album sans jamais nous lasser, d’agrémenter sa recette au fil des années sans vraiment se répéter, ni vraiment la changer. C’est assez unique et étonnant.
Saturne semble nous avoir royalement ignoré mais ne tentons pas le sort trop longtemps non plus. Ressortons discrètement par la même fenêtre, le magnifique et emblématique "Eyeshine" dans les oreilles.