J’ai découvert un peu par hasard que Fran Healy était en concert à Paris. (en fait en m’abonnant à son fil twitter). Le nom ne vous dit peut être rien mais Fran est le chanteur-guitariste de Travis et Travis en live c’est un groupe absolument génial, pour la musique mais aussi beaucoup pour la personnalité de Fran. Du coup, ni une ni deux je réserve ma place en me disant que même s’ils n’ont pas eu de gros tubes en France depuis Sing, Travis remplit habituellement des salles bien plus grandes que la Maroquinerie.
L’important c’est la qualité
Arrivé le jour du concert, j’arrive avec seulement une demi-heure d’avance. Et je m’imagine déjà les premiers rangs garnis de fans hardcore dont le regard vous tuerait si vous essayiez seulement de grapiller les quelques mètres vers l’avant qui sont cruciaux quand on shoote avec une focale fixe (ou quand on veut recevoir les postillons de son chanteur préféré).
En fait la réalité n’a rien à voir : la salle est plutôt vide, vide comme rarement j’aurai vu la Maroquinerie. D’autant plus étonnant que la dernière fois que Travis a joué à la Maroquinerie à l’époque de The Invisible Band c’était plein à craquer.
Heureusement le temps que Foley Stewart fasse la première partie et le (très long) intervalle qui suivra laisse le temps à la salle de se remplir un peu plus, c’est loin d’être complet mais c’est très honnête, surtout si on tient compte du fait de l’absence presque totale de promotion autour du disque et de la date
On vante partout en ce moment les musiciens qui choisissent de quitter les grosses structures pour gérer leur musique eux-mêmes, c’est ce que Fran a fait pour sortir son album mais le revers de la médaille est de ne plus avoir accès aux canaux de communication bien rodés d’une major.
Mais on sent qu’on a affaire à un public de fans de Travis, très chaleureux et très présent, le genre qui connaît bien les paroles de toutes les chansons du groupe, mais vous me direz, ce n’est pas un concert de Travis !!!
Une de chaque
Mais en fait.. un peu quand même... ou plus exactement à 50% : Fran enchaine presque systématiquement un morceau de Wreckorder, son album solo et un des tubes du répertoire de Travis.
Sur scène il est seul avec sa guitare acoustique. Vocalement ce soir Fran est plutôt en forme (il y a certaines parties qui bien montent et où il lui arrive de galérer) par contre le son de guitare est moyen, en fait pour un show acoustique on pouvait espérer une sonorisation plus sophistiquée qu’un micro intégré ou ou micro rosace qui ne donne pas le vrai son d’une guitare acoustique.
C’est d’autant plus dommage que Fran utilise en spare (guitare de secours) la vieille gibson qui a servi à enregistrer les parties acoustiques de the man who et des autres albums de Travis. Une guitare qui a plus de 60 ans et qui doit sonner du feu de dieu en acoustique pure mais branchée on a du mal à s’en rendre compte, c’est juste un peu mieux que l’autre guitare (une Taylor, pas du soixante ans d’âge mais pas non plus un modèle premier prix)
Cette formule acoustique solo m’a peu surpris aussi, sachant que Wreckorder est en fait très arrangé : même si la base reste la guitare acoustique ou le piano, il y a souvent de la basse et de la batterie ainsi que des cordes et pas mal de claviers.
Mais comme Fran l’explique en introduction au concert et à la chanson Holidays , l’idée derrière cet album solo c’était aussi de s’échapper, de faire les choses simplement, de manière plus immédiate.
Les doigts dans le nez
Un concert complet, seul avec une guitare acoustique, c’est un exercice qui peut être difficile, même pour le chanteur le plus talentueux, le guitariste le plus virtuose. Le guitare-voix introduit souvent une posture assez statique, le fait d’avoir un seul instrument peut installer une certaine lassitude.
Mais Fran Healy s’en sort royalement, avec à la fin un public qui quand il demande l’heure lui dit qu’il est encore 8 heures (soit l’heure du début à peu prêt), ce qui laisse encore 3 heures de concert, ce à quoi personne n’aurait dit non.
Et il y a deux raisons à cela : d’abord il a à disposition un stock de chansons géniales puisées chez Travis qui à elles seules lui permettraient de tenir trèèès longtemps, et on aura droit à la totale : Writing to reach you, turn, love will come through, side, sing, as you are, closer, le toujours très émouvant slideshow et bien d’autres.
Ensuite ce n’est pas seulement un concert, c’est aussi un one-man show, du spoken words et du story-telling.
Entre les actes
Fran passe à peu prêt autant de temps à jouer qu’à parler au public, souvent des anecdotes sur les chansons qui sont parfois à mourir de rire : pour Side (cf la vidéo juste au dessus), il explique que la chanson a commencé comme un rap, assez mauvais, il le reconnait lui-même et il en vient à se demander si le fait que les rappeurs commencent leurs morceaux par des ’hun’ est lié à un besoin de libérer leurs gaz... Le tout mimé d’une manière très drôle.
Des moments "people" quand Fran raconte comment il a réussi à convaincre Paul Mc Cartney qu’il fallait qu’il joue de tout sur son album ce que Godrich n’avait pas réussi à faire ( Nigel Godrich n’est pas que monsieur Radiohead il est aussi responsable de The Man Who entre autres et c’est apparemment un ami proche de Fran maintenant). Ou encore quand il raconte avec un air faussement triomphateur, qu’il a croisé David Gilmour chez Jools Holland et que celui-ci n’arrivait pas à jouer le riff d’intro de Turn , "certainement parce qu’il est trop simple".
Des moments touchants aussi quand il explique qu’il y a un escargot et un jumbo jet dans "Fly in the Ointment" parce que quand il joue d’habitude son fils lui met la main sur la guitare pour le faire s’arrêter et que par contre le fait d’avoir un escargot et un jumbo jet dans les paroles ça a tout de suite éveillé son intérêt et lui a fait aimé la musique de son père. Mais il nous explique le revers de la médaille c’est que du coup il est obligé de la lui passer en boucle, jusqu’à détester la chanson.
Et quelques confidences un peu plus intimes quand il explique sa relation avec son fils et qu’il évoque sans détours le fait que lui n’a jamais connu son père.
Ce ne sont là que quelques brides de cette conversation, car il s’agit bien de ça : ce n’est pas un concert avec un artiste qui joue ces chansons et peu importe le public qui change tous les soirs, c’est vraiment un dialogue entre un songwriter et des gens qui sont aussi venus pour ce qu’il a à dire. C’est très significatif de voir les gens du public hocher la tête et lui de chercher ces signes de compréhension qui prouvent qu’on est dans la communication, dans l’échange.
There is no (wonder)wall
Ça casse complètement le schéma du concert habituel, il n’y a pas la moindre notion d’égo là-dedans, la limite entre la scène et la fosse n’est pas un mur, il y a juste du plaisir de partager quelque chose, plus que dans les 3/4 des concerts. Et le fait d’avoir les chansons remises dans le contexte aident beaucoup à rentrer dans les nouveaux morceaux : savoir que Rocking Chair parle d’Alzheimer ou le pourquoi du Jumbo Jet évoqué plus haut créent tout de suite une connexion quand on réécoute ensuite le morceau sur disque.
Il n’y aura pas de coupure entre le concert et le rappel qui sera en fait composé de requêtes (nombreuses) du public donc essentiellement du Travis sauf pour le single tiré de Wreckorder, Buttercups et le concert s’achèvera sur Flowers in the window que j’ai tendance à ne pas aimer en électrique mais qui pour le coup passe très bien en acoustique.
Fuck Yeah !
Bon vous l’aurez deviné, j’ai adoré ce concert, j’ai chanté des chansons dont je ne savais même pas que je me rappelais encore les paroles, j’ai aimé cette soirée de la première à la dernière minute, pour la musique et pour Fran. J’ai vu des tas de bons groupes avec une attitude totalement rock’n’roll qui mettent le feu et accrochent malgré l’arrogance, des autistes qui arrivent à émouvoir par le talent pur, mais il y a très peu de gens qui arrivent à monter sur une scène et la remplir en étant juste eux-même, sans aucun artifice, tout en délivrant bien sûr un concert de grande qualité.
PS : avant Wreckorder, Fran a sorti un disque live avec Andy de Travis à la guitare où on retrouve des versions acoustiques des morceaux de Travis avec plein d’interludes parlés comme ce que je mentionne dans cet article, ça s’appelle A Chronological Acoustic Journey through The Travis Back Catalogue et c’est aussi agréable à écouter, on se surprend à sourire aussi des anecdotes, ça n’est pas que qu’un "gimmick" de live. Et donc c’est un disque très recommandé (disponible en mp3 sur amazon) !