Après deux ans de pause Covid, c’est avec plaisir qu’on retrouve le parc de Saint-Cloud pour l’édition 2022 de Rock en Seine en ce jeudi 25 août qui commence sous les meilleurs auspices :pas un nuage dans le ciel, un beau soleil et surtout une programmation très rock : le festival affiche complet avec en haut de l’affiche le triptyque Artic Monkeys, Idles et Fontaines DC mais il n’est que 16 heures et c’est avec Gayle qu’on a rendez-vous, sur la grande scène. Ce qui nous permet de découvrir d’emblée le fameux Golden Pit qui fait jaser depuis des mois et dont on vous parle en fin d’article mais on préfère commencer par les bonnes choses et pour le fan de rock ce jeudi a l’air bien parti pour nous régaler !
GAYLE
C’est donc une américaine de 17 ans qui ouvre Rock en Seine 2022 sur la Grande Scène. Avec juste un EP à son actif où l’on retrouve son tube, l’imparable "abcdefu", typique de cette nouvelle génération de jeunes rockeuses, qui mélangent sans complexe rock, pop, influences hip-hop et sortent leurs premiers titres directement sur les réseaux sociaux, bien avant d’avoir un label ou de partir en tournée. Dans le cas de GAYLE, elle a quand même écrit sa première chanson à dix ans, déménagé à Nashville pour faire carrière et sorti quelques titres avant d’être repérée. Elle semble donc à sa place sur une scène avec ses musiciens, voir même très à l’aise dans la manière dont elle arpente celle-ci en marchant, en courant ou en sautant, brandissant sa basse ou sa guitare. Musicalement les compositions sont plutôt classiques, de même que le son "grunge-pop" mais l’énergie est là, la bonne humeur aussi et GAYLE n’hésite pas à prendre du temps même dans ce contexte pour raconter un peu l’histoire de ces chansons, son histoire à elle. Avec un seul EP, le set est forcément un peu court même avec une reprise plutôt réussie de "Bad Reputation" de Joan Jett, moins connue que "I Love Rock’n’Roll" (sauf pour les amateurs de l’excellente série Freaks & Geeks peut être) mais tout aussi trépidante et très adaptée à l’univers de GAYLE. Qui finit sa prestation en beauté avec "abcdfu" alors qu’on se dirige déjà vers le concert suivant, qui a lieu pour nous à l’autre bout du festival sur la scène du Bosquet.
Requin Chagrin
Même sous un soleil de plomb, la musique de Requin Chagrin évoque toujours un bol d’air frais iodé, de grands espaces et des tempêtes. Un rock en français d’inspiration 80 onirique, mélancolique avec un son qui sur disque rappelle celui des formations culte de la décennie, aussi bien françaises qu’anglo-saxonnes. Mais elle live, on découvre un groupe qui se libère un peu des reverbs du disque pour un rendu très rock et un jeu de scène qui va avec. Une prestation captivante et intense de bout en bout.
NewDad
Commençons par éclaircir le mystère de ce nom... étrange : Les irlandais de NewDad ont utilisé un générateur aléatoire pour nommer le groupe. On est content d’avoir l’explication, mais pas sûr qu’elle soit satisfaisante, à l’heure place on aurait relancé le générateur... Mais le principal est qu’ils ont à leur actif deux EPs avec de bonnes chansons dans ce style indie-rock/dream-pop dont on semble jamais se lasser. Et si la journée est rock, cette déclinaison du genre n’est elle pas trop représentée en dehors de Beabadoobee qui joue après. On est donc plus que partant une bonne dose de jolie voix féminine et de guitares Fender saturées sur la scène Firestone. Qui partage avec le Bosquet d’être face au soleil qui tape mais dont le décor ressemble donc à un garage. Sur le papier l’idée peut sembler cool, en pratique on a l’impression que ca dessert plutôt la plupart des artistes et leur univers. D’autant plus que les éclairages y sont limités et que Newdad aura la malchance d’avoir un mauvais son avec des basses proéminentes et des guitares brouillonnes. Néanmoins les jolis sourires de la chanteuse Julie Dawson et de la bassiste Áindle O’Beirn, les compositions efficaces et le fait de se reculer un peu font qu’on passe quand même un bon moment, même si contrairement à Beabadoobee qui est déjà très au point, on se dit que NewDad qui est lui aussi un tout jeune groupe vas devoir engranger un peu d’expérience du live autant dans le son que l’impression scénique d’ensemble.
Beabadoobee
Cela fait un moment qu’on vous parle de Beabadoobee mais seulement quelques jours qu’on a enfin trouvé un moyen mnémotechnique d’écrire son nom sans tricher et utiliser un copier-coller. Ou alors on peut juste l’appeler Bea et comme Gayle c’est une jeune rockeuse qui a commencé à se faire connaitre en sortant elle-même ses premières chansons sur Internet puis un premier album en 2020, la pandémie va rendre un peu compliqué d’en assurer la promotion. Mais le bouche à oreille (aka la viralité en 2022) fait son job et pour son deuxième, le récent Beatopia, Bea joue donc à Rock en Seine devant un public plutôt fourni pour la scène du Bosquet, jeune et très enthousiaste. Si sur disque on aurait voulu voir le côté rock’n’roll de Beabadoobee un peu plus présent, sur scène c’est effectivement ce qui se passe : on est face à un quatuor rock qui joue bien carré et puissant comme il faut avec à sa tête une chanteuse tellement à l’aise qu’on croirait qu’elle se produit sur scène avec son groupe depuis des années. Et en même temps la douceur "pop" de la formule est respectée grâce à une prestation vocale très appliquée, le timbre est aussi beau que sur disque, les mélodies sont tout aussi suaves.
On avait une petite crainte que ces presque débuts sur scène ne soient pas simples pour Beabadoobee mais heureusement ce n’est pas du tout le cas, la londonienne maitrise déjà très bien son sujet et conforte sa place dans la galaxie déjà très fournie des " nouvelles rock girls autour de la vingtaine" et on ne regrette presque pas d’avoir louper Inhaler pour elle. Elle est aussi une des rares artistes de milieu de journée à pouvoir jouer quasiment une heure et elle nous régale donc d’une bonne quinzaine de titres, le plus souvent à la guitare électrique ou juste au chant, parfois à la guitare acoustique pour des titres qui calment un peu l’ambiance. Ce qui a sa place dans une setlist mais là on a trouvé qu’ils intervenaient alors qu’on avait plutôt envie de rester dans "l’énergie rock" plutôt que de redescendre.
IDLES
On avait vu IDLES à Rock en Seine déjà en 2018 et ils avaient mis le feu. Pourtant depuis on a pas tellement écouté le groupe sur disque et on ne les a pas revu en live non plus. A tel point qu’on aurait pas trouvé illégitime vu le carton récent de Fontaines DC d’inverser les scènes pour ces deux groupes. Et finalement malgré un très bon concert de Fontaines DC, pour nous c’est sans conteste IDLES qui offre sur la grande scène le meilleur concert du jour, autant pour la proposition musicale, en elle-même, ce "post-punk" qui est pointu, technique, dissonant, inquiétant, trippant et en même temps brutal, énervé, révolté. et aussi chaotique. sophistiqué. C’est un show sans aucune trève, intense du début jusqu’à la fin, piloté par un Joe Talbot souvent penché en avant sur ces retours avec une mine de tueur avec autour de lui deux guitaristes talentueux qui font bien le show aussi : Mark Bowens à gauche en robe d’été légère et Lee Kiernan à droite qui balance sa guitare dans tous les sens et fait volontiers des têtes de malade mental tout en headbanguant.
Fontaines D.C.
La carrière de Fontaines D.C. a pris un sérieux coup d’accélérateur avec leur deuxième album A Hero’s Death en 2020, les projetant en avant d’une scène punk/post-punk très active avec une proposition musicale qui se détachait vraiment du lot par ses atmosphères, par son vocabulaire musical. Le succès critique et la reconnaissance, au moins dans la sphère indée sera à la mesure de la qualité de ce disque. Depuis le groupe qui joue désormais sold out en France a sortie un live en 2021. Le nouvel album Skinty Fia sorti cette année confirme cette direction et dès le premier titre (l’OVNI "In ár gCroithe go deo", chanté en gaélique) joue la prise de risque maximum avec succès.
Sur la scène de l’Industrie, le groupe joue alors que la nuit approche et peut donc bénéficier d’éclairages plus sophistiqués et plus à même de s’accorder à leur univers, le fond de scène est sobre lui-aussi mais contribue à poser l’atmosphère. En dehors du chanteur Grian Chatten qui occupe bien la scène, avec quand même une morgue, une nonchalance assez "gallagherienne", les membres du Fontaines DC paraissent plutôt calmes, surtout après avoir vu IDLES. Mais cela va avec une musique qui est plus cérébrale, plus "froide" mais tout aussi intéressante.
Au final on a légèrement préféré IDLES pour le grain de folie, le supplément de show mais Fontaines D.C. nous a aussi fait un show de grande classe, tout aussi captivant que leur dernier album.
DEHD
Nous sommes pas très nombreux à avoir choisi DEHD plutôt que les Artic Monkeys, ce que la chanteuse Emily Kempf constate avec le sourire avant d’entamer son set . Comme la nuit est tombée et qu’on est donc pas serrés surtout au début du concert, l’expérience est plutôt agréable même si le son est moyen et que les lumières ne mettent pas le groupe en valeur. Sur scène ils sont donc trois : Emily au chant et à la basse, Eric McGrady qui joue sur un kit hybride mélangeant pads électroniques et futs de batterie et le guitariste Jason Balla qui joue sur une improbable guitare verte fluo de métalleux. Si le groupe a des racines punk/garage et peut envoyer du bon gros son, il se caractérise aussi par un gros melting pot d’influences qui partent un peu dans tous les sens. La scène Firestone n’est pas forcément l’endroit pour apprécier toutes ces subtilités mais DEHD emporte notre adhésion sans problème et celle du public aussi : ils sont nombreux à se déhancher que ce soit les parties avec le gros son ou les moments plus "groovy".
Ce premier jour de Rock en Seine finit pour nous un peu tôt mais on ne regrette absolument pas d’avoir préféré DEHD à Artic Monkeys, les quelques titres des anglais qu’on entend en nous dirigeant vers la sortie le confirme : ils font certainement plaisir à un large public et sont sûrement pour beaucoup dans le fait que la journée affiche complet mais on n’a beau écouté, on n’accroche toujours pas plus que ça à leur musique et plutôt que de se forcer à rester, on rentre bien avant la fermeture du festival et ce n’est pas plus mal de se ménager en prévision des trois jours à venir avec encore un bon nombre d’aller-retours d’un bout à l’autre du parc qui nous attendent.
Mais on avait promis au début de vous dire un mot sur le Golden Pit...
le pit qui fâche ?
Précisons d’abord que sur Le Cargo !, on préfère parler musique surtout qu’il nous parait assez clair que Rock en Seine est pour certains un festival "suspect" d’office, parce qu’il est parisien, que c’est une grosse machine, parce qu’il n’a pas l’histoire ou l’aura des eurocks ou de la Route du Rock. "Festival de poseurs, de riches voir pas un ’vrai’ festival", c’est un peu le bruit de fond sur chaque édition, avant même qu’on parle des problèmes logistiques ou de la programmation. Du coup, avec le golden pit à l’accès surtaxé, on est pile-poil dans ce scénario du festival pour bobos, influenceurs et riches parisiens.
Installé uniquement devant la Grande scène le dispositif sépare la "fosse" en deux moitiés avec des barrières métalliques : à gauche, c’est comme d’habitude, tout le monde peut y accéder, mais en festival généralement tout devant il y a les fans de la tête d’affiche du soir, qui arrivent en début d’après-midi et ne bougeront plus, juste derrière ceux qui zapperont une partie de la programmation pour réserver une bonne place pour la tête d’affiche. A droite, l’autre moitié est donc uniquement accessible aux spectateurs qui ont le fameux billet Golden Pit.
Ce système existait en fait déjà pour l’édition 2018 mais il s’agissait d’un espace beaucoup plus petit et plus excentré qui n’a fait hurler personne. Le problème de la version 2022, au delà du symbole désastreux dans un pays qui déteste les privilèges, d’autant plus qu’ils sont visibles, c’est la taille de cette zone et surtout le fait qu’en pratique qu’elle ne sera remplie que pour la tête d’affiche chaque jour : Gayle par exemple jouera devant une fosse où l’avant est à moitié vide et même pour IDLES c’est clairsemé et relativement morne en dehors des premiers rangs alors qu’à gauche les fans sont "compressés" dans ce qui ressemble beaucoup plus à une vraie fosse de concert rock.
Autant pour le public que pour le groupe sur scène, ce golden pit quasi-vide crée une image désastreuse, qui s’est bien sûr vite répandue sur les réseaux sociaux puis dans la presse. Et quelque part l’organisation a mérité cette volée de bois vert : la situation était totalement prévisible et la réaction tout autant. Et c’est sans surprise que lors de la conférence de presse de fin de cette édition, il a été annoncé que le concept "évoluerait" pour 2023.
Il serait dommage en tout cas que ce Golden Pit, qui au fond n’est pas très différent du système de catégories qui se pratique dans certaines salles de concert ou au théâtre, ou des classes dans les trains et les avions etc., soit ce qu’on retiendra du festival, alors que sur le plan artistique cette édition 2022 de Rock en Seine est plutôt une réussite.
Il fallait néanmoins en parler, comme on évoquera dans les articles suivants, les autres problèmes logistiques de cette édition mais en attendant Golden Pit ou pas on est ressorti de cette première journée de Rock en Seine vraiment content : sur notre sélection de concerts on n’a pas été déçu une seule fois.
