Cela fait des années qu’on va aux concerts parisiens, des années aussi que le Cargo ! défend des artistes féminines telles que Shannon Wright, Nadine Shah et tant d’autres. Pour nous les Femmes s’en mêlent c’est donc à la fois une institution et un "endroit" où on se sent bien, totalement en phase avec la programmation. Il nous semblait donc tout naturel d’aller voir un peu l’envers du décor et pour ce faire d’envoyer Mathilde et Natalia cuisiner pour nous Stéphane Amiel, le créateur et organisateur du festival.
On en a parlé féminisme et musique bien sûr, de l’édition 2019 forcément mais on a aussi découvert quelque chose d’important et qu’on ne devinerait pas en tant que simple spectateur : Les Femmes s’en Mêlent à l’image des artistes programmées est un festival indépendant, le travail de passionnés et de bénévoles, sans financements établis. Rien n’est acquis. Tous les ans c’est une lutte pour faire exister ce festival, Stéphane fait énormément de choses tout seul et on peut tous l’aider, en allant au festival et en parlant, et pourquoi pas en rejoignant l’équipe des Femmes s’en Mêlent ?
Voici l’intégralité de notre interview avec Stéphane en vidéo, ainsi que sa retranscription, on espère que ça vous donnera envie à vous aussi de vous en mêler !
Mathilde : Est-ce que tu pourrais nous parler du festival Les femmes s’en mêlent et nous le présenter brièvement ?
Stéphane Amiel : Brièvement ça va être compliqué (rires) mais je vais essayer… Les femmes s’en mêlent c’est un festival d’artistes féminines qui a été créé en 1997, donc il y a 22 ans. C’est un festival d’artistes indépendantes dans la musique, plutôt pop, rock, électro, hip-hop, R’n’B etc., qui célèbre la créativité en musique, mais pas que, parce que parfois on a d’autres actions dans le festival mais avant tout c’est un festival musical sur la créativité féminine, destiné à mettre en avant des artistes féminines qui sont souvent au début de leur carrière, on retrouve aussi certaines au bout de 22 ans, mais l’idée c’est d’avoir aussi beaucoup de jeunes artistes
Natalia : Justement comme le festival a été créé il y a 22 ans, à une époque où on se souciait peu de la présence féminine dans la musique, ou général, on était encore loin de ce mouvement #metoo et de l’empowerment des femmes, je me demandais quel a été pour toi le déclic, ce qui t’a poussé à créé LFSM ? … et si tu aurais imaginé que le festival serait encore là 22 ans après ?
S.A. : Le déclic pour moi, ça a été un constat assez simple que je me suis fait à l’époque : j’écoutais beaucoup de musique, j’étais aussi beaucoup dans des musiques où la présence masculine était très forte. J’étais très jeune plutôt dans des milieux de heavy metal, hard rock où ce ne sont que des groupes, que de la testostérone, que de la virilité, que des gens avec des cuirs etc , il y a un espèce de grand-guignol là dedans.
Mes goûts musicaux ont ensuite évolué, je suis tombé dans la musique industrielle, la new wave, les choses un peu dark, j’écoutais beaucoup de musique et donc mon constat personnel c’est qu’il n’y avait que des hommes, que des garçons et moi j’ai toujours apprécié le regard féminin, la compagnie des femmes, d’amies autour de moi. Et dès qu’il y avait un projet avec une fille dans le groupe j’étais toujours plus attentif parce qu’il y en avait moins alors ça attirait tout de suite mon attention. Même plus jeune, avant ma période Heavy Metal j’étais un grand fan de Kate Bush par exemple, parce que cette fille m’a impressionné en tant que jeune garçon déjà. Quand j’étais dans ma période New Wave, Siouxsie… Nina Hagen qui m’a un peu... bousculé aussi dans mon idée de ce que devait être une femme sur scène etc.
C’était juste un constat : qu’il y avait un trop plein d’homme dans la musique, que, à un moment donné dès qu’il y avait une femme j’adorais, par exemple j’aimais Sonic Youth parce qu’il y avait Kim Gordon mais pour moi en réalité Sonic Youth c’était Kim Gordon, j’aimais les Pixies mais parce qu’il y avait Kim Deal, j’ai toujours aimé qu’il y ait une présence féminine, et quelque chose qui se mélange aussi. Je trouvais ça cool quand je voyais Debbie Harry de Blondie sur scène … j’ai toujours trouvé que ça marchait bien et que dans l’imaginaire rock’n’roll les femmes avaient leur place et il n’y en avait pas assez. Et c’est sûr qu’il n’y en avait pas assez alors que moi en tant que garçon je trouvais ça cool, intéressant et ça me changeait aussi : c’est toujours pareil , si tu écoutes toujours le même genre de trucs, si tu es toujours avec le même genre de personnes au bout d’un moment tu te fatigues, tu n’avances plus.
C‘était donc le constat et le 8 mars 1997 on s’est dit “tiens pourquoi on ne célèbrerait pas la journée internationale de la femme avec de la musique faite par les femmes ?” C’est venu comme ça et le constat était très simple et je n’étais pas du tout politisé, je n’étais pas du tout féministe à l’époque, parce que je ne savais même pas qu’on pouvait l’être, en tant que garçon, à 22 ans je croyais que c’était réservé aux filles, aux femmes.
Natalia : Malheureusement il y en a encore qui le pensent…
S.A. : Exactement ….il y en a qui le pensent... et après j’ai découvert qu’on pouvait être un homme et être féministe en même temps, parce qu’on partageait les mêmes choses. C’est un constat personnel et une évidence, que j’essaie de partager à travers le festival Les Femmes s’en mêlent, qui est un moment de célébration, de joie et de réunion.
Mathilde : Si ça pouvait paraître fou il y a 22 ans de créer un festival avec uniquement des femmes programmées, ça l’est encore un peu aujourd’hui, puisque par exemple, en 2017 seulement 15% des artistes programmés dans les festivals espagnols étaient des femmes, est-ce que tu as l’impression d’être un peu pionnier aujourd’hui ?
S.A. : Alors non, mais en tout cas ça me déculpabilise parce qu’il y en a qui peuvent dire “pourquoi un festival avec que des artistes féminines ?”, ça peut être absurde, on pourrait se dire mais pourquoi ne réunir que des artistes féminines parce qu’en même temps il y en a tellement, heureusement que ça s’appelle Les femmes s’en mêlent, c’est plein d’artistes féminines différentes les unes des autres, avec plein de nationalités, plein de tempéraments différents. Et donc quand j’entends ce genre de chiffres, ça a encore plus de sens pour moi. J’essaie de faire la balance : moi c’est 100% c’est extrême, j’aimerais qu’il y est plus de mixité mais moi c’est plus extrême mais en même temps avec une façon joyeuse de le faire … militante mais joyeuse, et activiste... et donc moi ces chiffres me choquent toujours. C’est pour que je continue de faire LFSM … Parce que tu vois sur l’été que tout un coup plein d’artistes féminines disparaissent, de toutes les programmations, ou alors il faut vraiment chercher des têtes d’affiches, et comme tout le monde est à la course à la tête d’affiche et que pour l’instant les artistes bankable sont les hommes, l’été les femmes disparaissent un peu. Mais c’est de moins en moins vrai, j’ai entendu récemment que Glastonbury (visait le 50-50 dans toute sa programmation 2019)
Natalia : et Primavera Sound Festival je ne sais pas si tu as vu la pub il n’y a que des femmes dans leur vidéo de présentation du festival, que penses-tu de ce genre d’initiatives ?
S.A. : je ne l’ai pas vu mais en même temps c’est à la mode, on ne sait pas qui surfe sur des mouvements de mode… moi c’est un “vieux” festival, de 22 ans …Mais je trouve ça bien qu’ils se posent ce genre de question… mais après qu’ils le fassent pour de bonnes raisons, c’est tendance mais en même temps….
Mathilde : la cause est toujours servie...
S.A. : Oui, même si c’est tendance, de toute façon il y a quelque chose à faire, il faut une mixité, une parité, quelque chose, ce n’est pas forcément une question d’avoir des quotas, il faut absolument 50-50, il y a des années il y aurait peut être 60% de femmes sur une programmation et 40% d’hommes, une autre année ce sera l’inverse . L’idée ce n’est pas non plus de tomber dans la caricature, ce qu’on défend avant tout ce sont des artistes. On ne les défend pas pour de mauvaises raisons, juste parce qu’elles remplissent une case, juste parce qu’il faut tel artiste de telle diversité … Après que ça concerne tous les programmateurs et que tout le monde se pose la question c’est important. Et si tu ne trouves pas , ce n’est pas très grave, personne ne va te faire un procès en disant pourquoi tu n‘as pas pu faire ça mais le fait que chaque programmateur, chaque gros festival se pose la question, je trouve que c’est cool.
Mathilde : tu utilisais plus tôt le mot “défendre”, est-ce que tu qualifierais le festival de militant ou est-ce que c’est une démarche différente du militantisme ?
S.A. : Oui on est militants dans notre action, parce qu’on défend des artistes qui ont du sens par rapport à ce mot-là aussi . Longtemps on a défendu des artistes féminines, pas qui galèrent mais qui sont au début de leur projet, qui ont du mal des fois, qui n’ont pas de maison de disque ou qui sont dans des toutes petites structures. Notre côté militant il est plutôt là , aller chercher des projets qu’on peut défendre et aider.
Dans le cadre du festival, je suis amené à prendre la parole mais je n’aime pas prendre la parole, parce que ce n’est pas au festival de prendre la parole à la place des artistes, c’est aux artistes de prendre la parole à travers un festival qui s’appelle Les femmes s’en mêlent, qui a un axe, et de s’en emparer. Qu’est-ce que cela leur évoque, qu’est-ce qu’elles ont envie d’exprimer sur scène mais en dehors aussi. C’est un moment d’échange.
Je trouve ça plus intéressant que ce soit les artistes qui prennent la parole. Moi [mon rôle] c’est plus de mettre toutes les conditions pour réunir des artistes très diverses et venant souvent de milieux indépendants. Dont je connais les problématiques parce qu’on est nous-même indépendants. Je connais leur démarche, je connais la difficulté à s’imposer, trouver un public, être singulière, de ne pas être dans le consensuel, de ne pas être dans le formaté. Notre côté militant il est là dedans , il est souvent à l’image des artistes que l’on défend. Des fois il peut y avoir des têtes d’affiche qui échappent à ça mais pour la majorité, plus de 80% des artistes, on partage les mêmes valeurs de toute façon.
Natalia : Tu disais que tu étais devenu féministe, est-ce qu’on pourrait qualifier le festival de féministe ?
S.A. : Est-ce que de fait il l’est… je pense que oui, est-ce que de faire un festival 100% féminin ça l’est, oui et en même temps c’est un féminisme qui mélange beaucoup de choses... C’est difficile car j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de féminismes différents, plein de féminismes qui s’opposent en plus j’ai l’impression, qui peuvent être en contradiction. On le voit bien récemment. Mais c’est beau parce que c’est un débat…
Natalia : C’est les femmes, certaines femmes qui sont en contradiction... mais le féminisme je ne suis pas sûre qu’il soit...
S.A. : ça dépend, il y en a qui disent qu’il y a un féminisme dur, il y en a qui ne sont pas comme ça, mais je sais qu’il y a eu beaucoup de façons de l’exprimer…
Mathilde : et de le concevoir aussi …
S.A. : oui, et j’entends tellement de paroles féminines en tout cas, différentes des fois, et … qui ne sont pas en accord, qui peuvent se contredire, qui sont des fois politiquement incorrectes, qui sont de tout. Donc c’est difficile.. j’essaie non pas de prendre du recul, encore une fois j’essaie de ne pas mettre en avant moi ce que je suis, le festival c’est plutôt un réceptacle de tout ça. Après je suis à l’écoute de toutes les tendances et je sais que les artistes qui vont être programmées, je sais dans quel courant elles sont, quelles sont leurs pensées la plupart du temps et elles peuvent l’exprimer. Donc est-ce qu’on est féministe ? Eh bien de fait… ouais… ouais...
Natalia : Il ne faut pas avoir peur des mots
S.A. : Ah non on a pas peur des mots, oui exactement c’est un festival féministe, après le définir “exactement”... mais je crois vraiment en l’action, les faits sont importants parce qu’il y a beaucoup de paroles, beaucoup de gens peuvent se dire féministes puisque comme on disait plus tôt il y a cette mode là. J’entends beaucoup de gens dire “moi je suis féministe” mais après est-ce que c’est à “moi” de le décréter ? C’est les actes qui comptent et qui font que tu l’es vraiment.
Mathilde : On va plus s’intéresser maintenant au côté musical du festival. Tu disais tout à l’heure être à l’écoute des tendances, des courants musicaux du moment. Est-ce que c’est justement difficile de choisir les artistes qui viendront jouer au festival ou la programmation se fait de manière assez naturelle finalement ?
Stéphane : Alors…Est-ce que c’est difficile ? Non. C’est de moins en moins difficile parce qu’il y a de plus en plus d’artistes féminines et il y a un choix, il y a une variété, il y a une qualité, il y a plein d’artistes féminines. Donc, en vérité c’est un festival qui pourrait durer… si j’avais l’argent, si j’étais fou, ça durerait quinze jours et même un mois …et on retrouverait des choses, des artistes à faire, plein d’endroits et plein de choses, on pourrait faire beaucoup de choses, d’idées qu’il faut resserrer. Donc après la tristesse d’un festival c’est de faire des choix, c’est ça, c’est de choisir parmi toutes ces artistes. Alors il y a des choix imposés, il y a des artistes que je veux faire jouer et qu’on ne me laisse pas faire jouer pour des questions ou de calendrier ou d’exclusivité sur d’autres festivals à Paris. Parce que cela devient de plus en plus compliqué. Donc c’est de plus en plus compliqué même d’avoir des artistes.
Après…je ne sais pas si je réponds à ta question… mais l’idée c’est de trouver un équilibre dans une programmation, un équilibre de… tendances musicales et de… moi j’appelle ça des modèles féminins, des personnages féminins, d’artistes féminines pour que…comme ça s’appelle « les femmes s’en mêlent », qu’on dise pas… c’est quoi LFSM ?...on ne sait pas… c’est elle, ah ! mais ça peut être elle, ça peut être Pongo, ça peut être une scandinave, une américaine, une française, une… avec des styles complètements différents et des fois des approches de la musique complètement différentes, des inspirations différentes. Voilà, l’idée c’est vraiment d’ouvrir quoi ! de montrer que c’est vaste et c’est encore plus vaste que ça. Moi je resserre et des fois je suis un peu frustré parce que ... Des fois, il y a des années, je n’ai pas assez de hip hop et j’aimerais être plus, des fois, dans une musique un peu… entre guillemets…plus actuelle. Et c’est ça le challenge, de trouver…voilà, parce que c’est vrai que c’est 22 ans...il faut toujours avancer, pas rester sur ses acquis.
Mathilde : Est-ce que tu as l’impression que la programmation, les tendances des programmations ont évolué justement depuis 22 ans ?
SA : Les miennes ?
Mathilde : Oui, bien sûr, les tiennes.
SA : Bah oui, bien sûr… c’est vrai qu’à un moment donné il y avait plein de gens qui pensaient que c’était un festival folk, LFSM, qu’ils n’allaient avoir que des filles à guitare qui chantaient comme ça, ou au piano, un peu triste, un peu nostalgique. Il y a eu ça, aux LFSM, il y a eu de grands moments comme ça, mais ce n’est pas que ça. Donc après, une fois que tu fais un festival, tu penses à celui d’avant et à celui d’après, et tu joues une carte différente. Tiens là, j’ai pas fait…Par exemple là je galère à trouver des groupes…que des groupes féminins, 100 % féminin de rock. Il y en a, mais je sais exactement lesquels je veux, qui sont importants en ce moment, et si je ne les ai pas, beh… voilà…je ne les ai pas… et donc…là tu vois, par exemple, à part peut-être Requin Chagrin…mais il y a peu de…il y a Shannon Wright tout ça...mais des groupes de rock uniquement féminin comme j’ai fait dans d’autres années, dans d’autres éditions, j’ai du mal à trouver. Donc là j’en ai pas et peut-être que l’année prochaine il y en aura trois. Trois magnifiques, trois groupes à guitares par exemple. Là il y a peu de guitare. Et c’est juste parce que c’est des questions de timing, de calendrier et donc ça va me poser la question… je me dis l’année prochaine il faut absolument que je retrouve des groupes à guitare.
Natalia : Tu citais tout à l’heure Pongo, et moi je me posais la question, comment tu l’as découverte ? J’ai beaucoup aimé, je ne la connaissais pas…
S A : Pongo, ça a commencé à monter sur les réseaux. Et je l’ai découverte parce qu’elle était programmée aux Trans Musicales, et souvent je suis assez attentif aux Trans Musicales, c’est un festival que j’aime beaucoup, je trouve que c’est un festival qui prend des risques, et il y en a peu justement. Si je devais voir un festival, Les Trans Musicales c’est quelque chose où tu regardes la programmation, tu connais très peu de noms, il y a énormément de public, c’est très divers. Quand t’y vas en tant que public, tu es très étonné, parce que ça te bouscule un peu dans ce que tu écoutes aussi et c’est bien. Il y a toujours des projets incroyables sur scène.
Et c’est en voyant qu’ils étaient programmés, j’en avais entendue parler …Et en écoutant j’ai découvert que c’était la chanteuse de Buraka Som Sistema, un groupe assez connu de Lisbonne et du Portugal. Et ce projet à Pongo m’a séduit et voilà, ça fait partie aussi… J’ai peu aussi d’artistes africaines au festival LFSM. On est plutôt sur la musique… on est un festival dans des clubs, urbain et tout ça. Donc c’est vrai qu’on n’est pas, entre guillemets, « word music », on en fait pas de « word music » ou très peu. Et des fois je peux le déplorer. J’aimerais avoir plus de diversité, plus d’artistes sud-américaines, plus d’artistes…Pour avoir d’autres sons… d’autres ambiances, oui…d’autres artistes…
Et Pongo là, elle est d’origine angolaise… avec quelque chose de très moderne… sur de l’électro, une chanteuse incroyable, des rythmes…enfin c’est un projet franco-portugais. Il y a deux artistes français qui jouent avec elle, deux musiciens français. Et voilà, c’est un de mes coups de cœur de cette édition. C’est tombé comme une évidence, dès que j’ai su que je pouvais faire Pongo, j’ai dit oui tout de suite, parce que c’est rare. Je fais peu ce genre d’artistes sur le festival et je sais qu’on va passer un moment de fête incroyable.
Natalia : J’ai hâte de la voir SA : Moi aussi
Mathilde : Tu évoquais tout à l’heure un peu les artistes indépendantes, est-ce que c’est justement un peu ton mot d’ordre et une réelle volonté de ta part de ne programmer que des artistes indépendantes ?
SA : Ouais…parce que… en vérité c’est ça mon côté militant, le côté militant du festival. Je ne vais pas dire des artistes qui sont à la marge, mais qui ont moins les honneurs de tous les médias, qui sont moins encadrés, qui n’ont pas une grande maison de disque autour d’eux, qui n’ont pas un grand encadrement. Moi j’aime bien les projets… il y a beaucoup d’artistes qui sont venues, qui viennent, qui sont elles-mêmes... leur musique c’est leur entreprise. Elles sont chefs d’entreprises, elles sont productrices, elles ont leur label, elles gèrent leurs éditions, elles gèrent leur tournée, elles font ça…C’est-à-dire qu’elles s’en mêlent, elles se prennent en main. Elles n’ont pas attendu qu’une équipe vienne les chercher, et souvent une équipe d’hommes. Parce qu’à l’époque, moins maintenant, souvent si tu voulais sortir un disque il fallait aller dans les maisons de disque, c’était que des hommes, les tourneurs c’était que des hommes, l’encadrement, le management tout ça, des hommes…voilà, c’était un milieu très masculin. Et il y a plein de filles qui n’ont peut-être pas envie d’être confrontés à ça et qui font tout toutes seules. Cette année, il y a Emily Wells, par exemple, qui est une artiste [de ce type]…
J’aime bien le côté….comme c’est un festival « DIY », sur scène j’aime bien les artistes comme ça aussi, qui se prennent en main , qui attendent pas qu’on leur dise quoi faire, quand, à quel moment et qui ont un projet et une vision. Et je les accompagne et souvent quand je les retrouve comme Emily Wells, ça fait 3 fois qu’elle vient au festival en 20 ans. Je la suis dans son parcours et je reste fidèle à ça. L’engagement, il est là-dedans aussi : la fidélité que tu peux avoir avec certains artistes à un moment donné et même si elles ne sont pas connues, même si elles ne sont pas nos têtes d’affiche, même si c’est compliqué parce qu’on sait que le public ne les connaît pas vraiment…Moi, mon engagement il est là-dedans, c’est de les soutenir jusqu’au bout.
Natalia : Justement tu disais que tu voulais peut-être t’ouvrir à d’autres musiques venues d’autres continents, à l’Amérique Latine. Est-ce qu’il y une limite, une barrière que tu te dis « là je n’irai pas » ou au niveau de la langue, ou au niveau musical ? je ne sais pas… reggaeton, des trucs comme ça…
SA : Ah non, reggaeton, j’adorerais faire ça. Bah oui, j’adorerais faire une fête…
Natalia : non, parce qu’il y a des festivals qui se disent alors là on n’y va pas, ce n’est pas possible.
SA : Sur quoi je n’irais pas ? J’irais partout, je crois.
Natalia : D’accord
SA : Non, non, je n’irai pas partout. Je pense que je ne ferais pas de musique classique, par exemple. On en a fait au début du festival, on a fait des quatuors à cordes féminin.
Mathilde : Est-ce que tu penses que ça ne colle pas au goût du public ?
SA : Oui, c’est ça. Et puis…il ne faut pas être trop éclectique…l’idée ce n’est pas ça…c’est quand même de rester dans une démarche…on est dans des musiques…quand je dis « urbain », c’est de l’urbain donc c’est pop, rock, électro… Et musiques du monde je viens de plus en plus, le rap de plus en plus, le hip hop et tout ça…ça, par contre… Non, non, non… il y a une année où on a fait, avec l’année du Mexique on avait des artistes mexicaines qu’on a fait venir, on avait des artistes brésiliennes…
Natalia : Donc, la langue non plus n’est pas une barrière.
SA : Non, non, après je ne fais pas de musique traditionnelle, par exemple. Je ne ferais pas. C’est qui est peut-être dommage. J’aime bien quand il y a une fusion aussi de genres. Donc là Pongo,il y a un dialecte, elle chante en angolais, je ne sais même plus dans quel dialecte elle chante. Ou quand tu chantes en brésilien…
Après il y a eu des groupes qui sont venus chanter, ils chantaient en danois quoi ! Donc on ne comprenait rien, c’était exotique tout ça. Non, du moment qu’il y a un propos musical… Non, il n’y a pas de frontière. Et l’idée c’est d’ouvrir de plus en plus, alors après, bizarrement, je réduis de plus en plus, parce que financièrement c’est compliqué alors qu’il faudrait que j’ouvre de plus en plus mais bon, après… c’est les moyens qui manquent.
Mathilde :Et en parlant d’ouverture justement tu as initié des débats, il me semble, un peu de cinéma, d’illustrations autour du festival. Est-ce que ça a toujours été le cas ?
SA : Non, non, ça n’a pas toujours été le cas parce que, comme c’est un festival qui n’est pas très évident à monter, il faut recommencer tous les ans. Ce n’est jamais gagné. On ne sait pas du tout comment celui-là va se finir et comment on va repartir l’année prochaine si on ne trouve pas de moyens financiers. Et comme la plupart de gens sont bénévoles…enfin…tout le monde, c’est compliqué. Il y a de plus en plus d’ouverture et j’aimerais fédérer autour de tout ça.
On est en partenariat depuis plusieurs années avec les « FIFF (Festival International des Films) des femmes de Créteil » ou des fois on va faire une soirée là-bas avec eux. Là cette année on est partenaire d’un ciné-concert qu’on fait avec eux dans le cadre du festival. En réalité le délire c’est d’ouvrir de plus en plus…C’est de rassembler. C’est de se dire, ensemble on est plus fort. On a un message plus fort. Alors que la période est complètement à l’inverse. La période actuelle c’est tout le monde se retranche, garde son projet pour soi. Personne n’est dans le partage en ce moment. C’est une période, plutôt, à l’inverse, très dure. Tout le monde est en concurrence. Et moi, l’idée c’est que ce n’est pas un projet qui m’appartient, LFSM, c’est un projet libre, vivant. On a envie en effet d’aller dans le cinéma, mais s’il y a une vraie opportunité, un vrai désir. Chaque année, aussi, on donne carte blanche à une jeune illustratrice pour faire nos visuels. On organise également des débats, là on en fait un avec Manifesto XXI le dimanche 31 mars aussi sur trois thèmes différents.
En réalité, moi, ce que j’aimerais c’est que plein de gens s’en emparent des « Femmes s’en mêlent », plein de collectifs. Et de dire, « ah beh tiens, je proposerais ça » presque comme des cartes blanches, « Ah oui mais moi je fais ça parce que j’aime ça », « Moi, j’aime la performance, je connais, c’est mon domaine...Je connais des artistes féminines qui font de la performance… » Et on les intègre. L’idée c’est de ne pas être partout parce que si tu es partout, à un moment donné, tu es nulle part et tu perds le public. Mais c’est plutôt d’agréger…
Mathilde : et que tout gravite autour de…
SA : Oui, voilà, c’est ça. Et que ça soit juste, à ce moment-là, un moment de réunion comme on fait avec les Barbieturix depuis plusieurs années, c’est deux cultures différentes qu’on rassemble au même temps pour partager quelque chose et parce qu’on a envie de défendre les mêmes causes.
Retour sur la programmation de reggaeton
Pendant que nous changeons la batterie de notre fidèle Canon 5D, Natalia et Stéphane reviennent sur le Reggaeton.
Natalia : Il y a un gros festival à Madrid ils ont justement dit "nous jamais nous n’irons jusque là, notre limite, c’est le reggaeton". Il disent que c’est trop vulgaire, trop mainstream. Il y a beaucoup de gens du public du Primavera Sound qui disaient “mais c’est de la merde cette année, comment ils ont pu faire ça ?”. Donc c’est un vrai débat des programmateurs. Certains se sont même insultés sur Twitter !
S.A : Ici, en France, je ne pense pas que les gens s’insulteraient, ce serait perçu comme quelque chose de très exotique ! Il faudrait trouver l’artiste qui porte ça. Que ce soit un vrai show.
Natalia : En Espagne il y a des plus en plus de femmes dans ce genre de musique et dans le rap mais les programmateurs n’apprécient pas forcément.
Mathilde : Est-ce que tu as justement déjà eu des femmes qui faisaient du rap pendant le festival ?
S.A. : Oui oui, rien que l’année dernière nous avons eu Blimes Brixton, Kt Gorique et Reverie et cette année nous avons Dope Saint Jude. Blimes Brixton est très engagée et féministe. Elle a son label à San Francisco qui s’appelle Peach, elle ne signe que des artistes féminines, elle aide les jeunes à sortir leurs albums. Elle a une vraie démarche revendiquée. On les suit ce genre d’artistes !
Mathilde : On se demandait justement si tu avais une perle rare à nous partager sur cette édition ? Hormis Pongo qui est visiblement un coup de cœur, y a-t-il quelqu’un qui ne faut pas rater lors de ce festival ?
S.A : C’est compliqué ça ! (rires) C’est comme l’école des fans, on ne peut pas dire que tout le monde a gagné, c’est dommage ! Plus sérieusement c’est tellement divers ça ne serait pas représentatif d’en choisir qu’une.
Mathilde : Mais d’un point de vue personnel, y a-t-il une artiste qui t’a particulièrement marqué ?
S.A : Oui, il y en a 2 qui reviennent : Shannon Wright et Emily Wells. Emily Wells c’est une histoire d’amour avec le festival depuis le début.
Mathilde : C’est une sorte d’ambassadrice ?
Oui, Shannon Wright aussi, c’est la troisième fois qu’elle joue pour le festival et elle le représente parfaitement. Quand je vois Shannon Wright je sais pourquoi j’ai fait le festival. En réalité ce qui me redonne la force de refaire le festival à chaque fois (parce qu’avant j’ai toujours envie d’arrêter !) c’est le moment des concerts. Je sais pourquoi c’est important de le refaire et d’être là. C’est ces artistes qui me donnent de la force et de la motivation pour continuer. Quand je vois Shannon Wright c’est émouvant, fort et violent. Emily Wells c’est très beau aussi.
Mathilde : Ce sont tes meilleurs souvenirs du festival ?
S.A : Souvent il peut y avoir des accidents au Femmes S’en Mêlent. J’aime bien le live et je venais de la musique un peu énervée donc j’aime bien quand c’est un peu violent quand il se passe quelque chose dans le public. Les concerts dans lesquels les gens sont sérieux et statiques c’est bien mais je trouve qu’il manque un truc. En réalité, c’est ce pourquoi on fait cette grosse soirée le samedi soir où on mélange les genres. Ce sera très dansant. Il y aura Pongo, Dope Saint Jude, Sink Ya Teeth, Ionnalee... On a des vrais spectacles, j’ai envie que ça parte en live. Comme ce fut le cas avec Kenji Minogue au Trabendo, on ne voyait plus la différence entre la scène et la fosse. Tout se mélange et il y a une vraie communion public-artistes. Ça devient quelque chose d’exutoire, on est contents d’être ensemble et on casse la baraque ! En plus c’est la dernière soirée après tout peut disparaître, on peut faire tomber le Trabendo ! (rires) L’idée est de créer quelque chose de vivant et chaleureux et d’avoir aussi bien un son d’électro scandinave que la voix sud-africaine de Dope Saint Jude, de télescoper tout ca et que la soirée soit inoubliable. Il y a toujours des surprises et des accidents !
Mickaël : Tu parlais des difficultés à financer le festival, je me demandais, comment fais-tu ? Tu es seul ? Tu as une structure ? Des sponsors ?
S.A. : Non, cette année c’est le Trabendo qui m’aide à organiser le festival et je les remercie. L’année dernière c’était la Machine du Moulin Rouge, il faut tous les ans que je cherche. Cette année c’est une des années les plus compliquées. Nous avons 0 sponsor privé contrairement aux autres années. Le contexte ambiant est peut-être différent, je ne sais pas. Nous sommes fragiles et pouvons disparaître du jour au lendemain. L’avantage d’être indépendant c’est que l’on sait commencer avec 0, c’est ce que je fais tous les ans. Ce festival je le commence tout le temps avec zéro euro en poche et puis on voit où ça nous mène ! Et si ca doit disparaître et bien qu’on fasse une énorme fête le 6 et puis ça restera dans les annales !
Mickaël : En fait j’ai l’impression que le public parisien connaît le festival, que ça fait longtemps qu’il existe, mais qu’ils ne se rendent peut-être pas compte de cette réalité ? Je trouve que c’est difficile d’avoir un public fidèle. Par exemple, Rock en Seine, les gens savent que c’est là tous les ans, ils ont l’habitude de regarder le site...
S.A. : C’est vrai qu’en plus mon public a vieilli ! Le challenge est de ramener du jeune public tout le temps, de les intéresser à des projets dont ils ne connaissent pas le nom. Il faut toujours se battre, ce n’est jamais gagné d’avance. Si je fais un sondage, plein de jeunes ne connaissent pas ou il y a plein de garçons qui disent "mais c’est que pour les filles ?". Il faut faire de la pédagogie ! Il y en a qui peuvent penser que comme nous sommes dans une période de concentration de la parole, LFSM ne seraient que pour un public féminin. En réalité c’est "féministe" dans le sens "pour tout le monde", les hommes sont tout aussi impliqués.
C’est sur que c’est compliqué... Mais stimulant car une fois que tu es dedans ce sont de super rencontres, des amitiés de longue date et une histoire personnelle qui court sur 20 ans... J’oublie rapidement les tonnes de moments galères puis après je me dis "mais pourquoi je refais ça ? Pourquoi je me remets dans ces états ? Pourquoi la mairie de Paris ne m’aide plus ?"... Des fois on peut être essoufflé. Il serait temps que je passe la main à une équipe plus jeune... et féminine !