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publié par Sfar le 17/04/08
Enfance Rouge
- Trapani, Alq Al Waady
Trapani, Alq Al Waady

Partout et nulle part

Depuis toutes ces années c’est toujours avec un grand plaisir et une attente impatiente qu’on espère les nouvelles réalisations du trio franco-italien L’Enfance Rouge. François, Chiara et Jacopo sont de ces artistes qui restent à jamais insaisissables vivant sans frontières artistiques et géographiques. Ne les cherchez pas en France, il furent en Italie et il semblerait qu’on ait retrouvé leurs traces en Tunisie... en attendant la suite. Leurs prestations, qu’elles aient lieu dans des salles bobo parisiennes ou au fin fond de la Slovénie, ont toujours cette authenticité brute. Les uniques concessions que le groupe se permet, sont de se mettre au service de projets artistiques toujours plus audacieux dans lesquels il évolue depuis toutes ces années. Des projets qui sont d’abord les leurs et ne répondent à aucune règle ou mode artistique et commerciale du moment. L’Enfance Rouge est un groupe qui a toujours su rester intègre dans ses choix de vie et de carrière. Et bien au-delà des artistes que l’on dit engagés j’ai toujours considéré les membres de ce groupe avant tout comme des artistes combattants.

Dans la longue liste des premières fois inoubliables figure la première écoute d’un morceau de l’Enfance Rouge : moment intense ! Rares sont ces groupes qui nous marquent à ce point et qui révolutionnent notre culture musicale rendant le reste tellement fade et presque conventionnel. On ne peut oublier cette musique en tension permanente, ces interprétations quasi théâtrales (au sens le plus noble) des titres, ces constructions complètement distordues de morceaux souvent oppressants et torturés. Entre la rythmique implacable de Jacopo Andreini, la guitare corrosive de François R. Cambuzat, la basse lourde de Chiara Locardi et leurs chants sombres et rugueux il est bien difficile de ne pas ressortir complètement chamboulé par l’écoute intensive des morceaux proposés par le groupe.

Et au-delà de toutes les mers

C’est un retour à la fois surprenant et vraiment fascinant que nous propose L’Enfance Rouge avec Trapani, Alq Al Waady. Le groupe a traversé la Méditerranée et est parti en Tunisie à la rencontre d’artistes de musique orientale. L’idée était déjà alléchante, le résultat est plus que convaincant. Entourés de musiciens tunisiens, avec Mohamed Abid un des maîtres de l’Oud aux arrangements, l’Enfance Rouge nous offre un album inattendu : un peu comme si la force indomptable du groupe franco-italien était tombée sous le charme de ces rythmes orientaux et se laissait tour à tour soit apprivoiser soit reprendre sa nature tendue et sauvage. Car dans cet album, le son Enfance Rouge est bel et bien toujours là avec cette batterie puissante, la guitare toujours aussi nerveusement torturée et cette basse pesante et intense. A celà se mêlent la fraîcheur de mélodies orientales, des chants (“Azizati” en est un magnifique exemple), d’atmosphères beaucoup plus légères ... à priori, car l’ensemble reste toujours aussi tendu. Il y a à la fois ce jeu d’opposition entre deux genres, deux cultures musicales, puis cette symbiose qui se fait magnifiquement : certains passages de “Vendicatori” sont absolument fabuleux à ce niveau-là. Puis il y a toujours ces paroles, ces paroles à la fois sulfureuses ou oppressantes dont l’interprétation grave et hystérique de François R. cambuzat confère un effet tour à tour répulsif et attractif. “Terre d’Election” joue cruellement de cette ambivalence, entre moments doucement parlés et irrésistibles (c’est simple je fonds carrément sur les 45 premières secondes) et ensuite toute la violence de l’interprétation d’un Cambuzat complètement hystérique dans ses hurlements. Tout le morceau oscille entre ces deux états le tout porté par l’oppressante ligne de basse de Chiara et la batterie indestructible de Jacopo. L’album s’achève avec l’un des plus beaux morceaux que l’Enfance rouge n’ait jamais interprété : “petite mort”. L’introduction musicale de cet ultime morceau résume parfaitement l’esprit de : Trapani, Alq Al Waady parfait mélange d’une musique orientale à la fois authentique, résolument belle et légère avec le son tourmenté d’un occident qui décidemment n’arrive à s’exprimer que dans la tension et la souffrance. Ce chant de Chiara, égratigné dans la douceur rappelant par moment Marianne Faithfull, est sur ce “Petite Mort” véritablement poignant et porté par des paroles tout autant saisissantes.

On l’attendait depuis des mois cet album, très impatients suite à l’écoute d’un premier extrait tellement prometteur. Cet album n’est pas seulement prometteur, il est à la fois magnifique et une exquise réussite. Trapani, Alq Al Waady est l’album indispensable d’artistes qui ont réussi là encore un beau voyage. Preuve que la musique n’a pas de frontières, que les mélanges sont l’essence même de ce que nous sommes et de ce que nous devrions toujours être. Cet album est un magnifique morceau de vie, de vraie vie.

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publié par le 17/04/08
Informations

Sortie : 2008
Label : T-Rec

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