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publié par Mickaël Adamadorassy le 31/05/11
Elysian Fields
- Last Night On Earth
Last Night On Earth

Voilà un album qui se mérite, aussi exigeant que ces géniteurs. Passés la lumineuse Sleepover dont on tombe tout de suite amoureux et les hurlements de loup d’un Red Riding Hood très rock’n’roll, on pourrait avoir l’impression à la première écoute que la machine cale tout de suite et que ces nouvelles chansons ne sont en fait des relectures un peu plus pop de tout ce que le groupe a pu produire sur les albums précédents, sans rien qui accroche vraiment.

A Thousand Leaves

Ironiquement c’est tout le contraire : Last Night On Earth c’est un très beau (et bon) millefeuille musical : passé le sucré des deux premières pistes, singles millimétrés pour une gratification immédiate, il vous reste encore le meilleur , déguster couche par couche la production raffinée, la palette variée des instruments. Et réaliser qu’en fait, tout est dans le détail, les arrangements, il n’y a pas une mélodie forte, un refrain par morceau comme souvent mais un fourmillement de séquences musicales délicieuses, de sonorités judicieusement choisies.

Sur Sleepover, on est charmé d’emblée par la ligne de clavier limpide et le chant de Jennifer mais il y a tellement de choses en plus : le riff de guitare qui ponctue le refrain, les choeurs d’Ed Pastorini (ça peut paraitre secondaire mais en live ils n’y sont pas alors vous les reconstituerez dans votre tête tellement ils sont indispensables), le roulement de la batterie, les lignes de clavier et toutes les parties de guitare. Ça foisonne et pourtant la côté aérien et innocent du morceau est parfaitement respecté.

Red Riding Hood procure aussi un plaisir très immédiat, grâce au son de guitare rauque et saturé comme rarement chez Elysian Fields et à la prestation vocale d’Oren qui joue au grand méchant loup avec Jennifer. Mais au delà de ça, en quelques écoutes, on se met à distinguer les strates d’arrangements, à apprécier les contrepoints, les parties un peu moins évidentes.

Double complexité

Après ces deux "singles", les morceaux se font un peu moins évidents, leur richesse ne provenant pas que de l’empilement des sonorités mais aussi du fait que sortis des couplets-refrains, il y a énormément de parties purement musicales qui sont tout aussi mémorables qu’une bon refrain et sur ce disque tout particulièrement, elles font pour moi jeu égal avec le chant de Jennifer.

Ces constructions complexes font que les morceaux ne se basent pas sur une ambiance unique, l’histoire peut commencer sur une base assez douce et s’emporter au fur et à mesure. On remarquera d’ailleurs que les parties de batterie qui soutiennent ces variations d’intention sont souvent beaucoup plus sophistiquées et "dynamiques" que par le passé (en tout cas il ne m’est jamais arrivé auparavant d’y porter attention comme sur ce disque).

Autre élément plus présent que d’habitude, la guitare acoustique, malgré les nombreux arrangements, elle est souvent au cœur des compositions (à tel point qu’en live, Oren se repose sur elle pour la majorité de morceaux). On était plus habitué à son jeu de guitare électrique mais le bonhomme maitrise aussi très bien l’acoustique, et puis c’est une des choses qui font le côté un peu plus pop qu’on peut trouver dans ce disque, plus proche souvent des Beatles que le groupe cite souvent que des jazzmen.

Homemade

Pour arriver à ce résultat, le groupe s’est occupé lui-même de l’enregistrement, à Brooklyn chez Oren. Avec comme d’habitude la participation des nombreux musiciens de cette scène new-yorkaise dans laquelle ils sont immergés. D’autant plus nombreux que pour cet septième album un travail méticuleux d’écriture et d’orchestration a été accompli sur chaque chanson. Elysian Fields exploite tout son vocabulaire et use de toutes les possibilités d’orchestration  : en plus des cordes "habituelles", on a toute une variété de cuivres, les synthétiseurs, la mandoline, l’harmonica, l’orgue Hammond (avec un superbe solo qui vient clôturer le titre éponyme et le disque) et bien d’autres.

Un mix de qualité

Et tout ce petit monde peut se retrouver à jouer sur une même chanson sans jamais qu’on ait une impression de lourdeur, au contraire on se régale et on ne peut que souligner la qualité du mix. A la première écoute, vous ne vous douterez pas qu’il y a autant de choses, la voix de Jennifer n’est jamais noyée par les arrangements et comme d’habitude la chanteuse fait un numéro parfait, jouant à merveille de tous les registres qu’on lui connait, sensualité flamboyante et mélancolie rêveuse, tour à tour héroïne de film noir et sorcière. Elle réussit même à nous surprendre encore sur Sleepover, insufflant ce qu’il faut d’innocence et d’émerveillement à son personnage

Your innocence is cruel

Une innocence vite mise à mal : si la musique reste lumineuse tout au long de la chanson, ses lignes de piano toutes en "notes blanches", épurées de toutes les dissonances qui sont pourtant une marque de fabrique du groupe, l’histoire prend très vite une tournure plus noire, plus esquissée que révélée par les paroles : comment est-on passé soudainement des gamines qui se coiffent mutuellement au glaçant "razor razor razor" ? Certainement parce que c’est aussi ça Elysian Fields, ils en ont toujours en eux ce petit quelque chose de noir et d’un peu flippant.

Frise

Et la trajectoire de cet album ne fait qu’accentuer cette impression, sans être vraiment un concept-album qui raconterait toute une vie, il y a quand même cette notion de chronologie, on part de l’enfance (Sleepover), on passe par l’adolescence (Red Riding Hood) et les diverses expériences de la vie pour finir par la fameuse dernière nuit sur Terre. Qu’il s’agisse de la mort ou comme le dit Jennifer dans notre interview de quitter cette Terre et ces humains ennuyeux pour rejoindre l’espace... peut être dans la fusée de Set The Grass On Fire (cf Bum Raps & Love Taps qui visitait déja ces deux thématiques)

Mais on espère quand même que le duo n’est pas encore lassé à ce point des humbles mortels que nous sommes, parce que si on les avait sentis un peu en baisse de régime avec The Afterlife, avec ce nouvel album ils nous offrent un très bon moment de musique et réussissent encore à évoluer. A croire qu’il y a bel et bien quelque chose après le quelque chose après la mort.

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publié par le 31/05/11