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publié par Mélanie Fazi le 10/05/06
elysian fields - [La Cigale, Paris + La Maroquinerie, Paris + La Maison De La Radio, Paris] - 24/10/2005
[La Cigale, Paris + La Maroquinerie, Paris + La Maison De La Radio, Paris]

Semaine faste pour les fans parisiens d’Elysian Fields, un mois après la sortie de leur album Bum raps and love taps. Le groupe se sera produit pas moins de trois fois dans la capitale en une semaine, entre une Black Session pour France Inter (24/10), une date à la Maroquinerie (27/10) et un concert consacré à l’album La mar enfortuna, composé de reprises d’airs traditionnels séfarades (20/10), dans le cadre du festival Klezmopolitan.

La Cigale

C’est toujours une émotion particulière de les retrouver sur scène, surtout pour qui les suit depuis leur premier album et les a vus évoluer devant un public de plus en plus nombreux et conquis. Difficile de croire, devant l’ardeur des fans qui remplissent la Maroquinerie, que le même groupe jouait il y a huit ans des premières parties devant un auditoire souvent peu réactif. Ce 20 octobre 2005, à la Cigale, les fans semblent minoritaires parmi le public du festival. Mais pour ceux qui tentent cette expérience, l’impatience le dispute à la curiosité. On sait qu’un concert d’Elysian Fields sera toujours un très beau moment à passer ; que certains instants, sinon tout le spectacle, toucheront au sublime. Mais ce concert-là, ne serait-ce que par son répertoire différent, promet d’être unique.

Et il l’est, dans tous les sens du terme. Jennifer Charles et Oren Bloedow se sont entourés pour l’occasion de trois excellents musiciens : accordéoniste, clarinettiste et batteur. Le répertoire de La mar enfortuna se prête magnifiquement à une interprétation scénique. La voix et le charisme de Jennifer Charles font le reste. Vêtue comme une danseuse de flamenco − robe à pois, rose dans les cheveux − elle chante tour à tour en espagnol, en arabe, en anglais et même en français (Jezebel, reprise d’Edith Piaf). Vers la fin du concert, pendant Salome, seul titre de la soirée co-écrit par Oren et elle-même, elle se livre à une danse des sept voiles aussi gracieuse qu’enthousiaste. L’ambiance est parfois glaçante (une superbe version de La rosa), souvent chaleureuse. Il règne une impression de légèreté inhabituelle, peut-être parce que cette date, de par son côté unique, se place résolument ailleurs : hors du temps, de leur répertoire, de toute comparaison possible avec leurs autres concerts. On assiste à un moment éphémère et précieux, ravis de voir Oren Bloedow et Jennifer Charles s’approprier tranquillement ces chansons dont ils gardent l’esprit tout en y imprimant leur patte. Avec une absence de prétention qui rajoute à la beauté de l’instant. On quitte la Cigale avec la satisfaction de se dire : « J’y étais ». Même s’il ne doit plus y avoir de concert semblable, on pourra se souvenir d’avoir vu celui-là.

La Maison de la Radio

Quelques jours plus tard, dans le studio 105 de la Maison de la Radio, puis à la Maroquinerie, l’attente est tout autre. Celle des retrouvailles avec le groupe, mais aussi l’impatience de redécouvrir sur scène les titres de leur splendide nouvel album, sans doute le plus riche et le plus abouti depuis Bleed your cedar en 1997. Il y a toujours, pendant leurs concerts, un moment d’extase où une chanson dévoile des nuances cachées. Si les versions de ces nouveaux titres diffèrent assez peu de l’album, les émotions semblent exacerbées. L’ambiance sombre et glaciale, quasi gothique, de Sharpening skills, et l’enchaînement curieux de Duels with cudgels, entêtants couplets précédés de quatre minutes instrumentales, passent magnifiquement la barre. Lame lady of the highways devient un collage bizarre et chaotique, construit en crescendo, tout en échos et basses lourdes suggérant d’inquiétantes images. L’un des plus beaux moments reste Bum raps and love taps, dont l’insondable tristesse prend à la gorge. La voix de Jennifer Charles, presque en retrait sur ce titre dédié à sa grand-mère décédée, lui communique des accents poignants, un sentiment de deuil et de perte quasi insoutenable.

La Maroquinerie

Ce qui frappe à chacun des concerts du groupe, c’est l’impression de subtilité qui s’en dégage. Celle des instrumentations, Oren et Jennifer ayant toujours su magnifiquement s’entourer, et celle des émotions que fait naître cette voix caressante ou cassante, capable de vous donner la chair de poule avec un minimum d’effets. Et toujours, tous les regards se braquent sur Jennifer, petite bonne femme au sourire timide qui dégage, une fois sur scène, un magnétisme impressionnant. À la Maroquinerie, vêtue d’une robe noire à l’improbable décolleté plongeant, elle est « femme fatale » à souhait, au bord de l’artifice sans jamais y tomber. Son jeu de scène souligne les sous-entendus sexuels évidents de certains titres, comme Star ou Witness, sur lesquels reposait en grande partie la réputation du groupe à ses débuts. Elle contraste avec l’énergie nerveuse d’un Oren Bloedow qui gesticule et s’agite, joue les chœurs sur certains titres, passe au premier plan un instant trop bref, lors de la Black Session, pour interpréter le superbe Queen of the meadow. Épaulé par le batteur Roberto di Pietro et le pianiste Thomas Bartlett, qui manie habilement deux claviers à la fois, il tisse des ambiances sublimes et inquiétantes.

Vers la fin du concert de la Maroquinerie, au moment des rappels, peut-être encouragée par l’enthousiasme d’un public électrisé, Jennifer se lâche soudain. Elle demande aux musiciens de jouer un air jazzy et sexy, puis se lance dans un monologue d’une dizaine de minutes, livrant sur les membres du groupe des anecdotes de plus en plus invraisemblables. Il faut voir le fou rire du tout jeune Thomas Bartlett apprenant qu’il est un petit garçon adopté par Oren et Jennifer à l’âge de sept ans, enfermé des années dans une chambre dont il est sorti « sans qu’aucune chose impure ait jamais touché ses lèvres... ni aucune autre partie de son corps ». Moment jubilatoire et complice au cours duquel les musiciens semblent s’amuser autant que le public.

Lorsque le troisième de ces concerts se clôt sur le duo acoustique We’re in love à la beauté fragile, on laisse le groupe quitter la scène à regret. Difficile de tourner la page après cette semaine passée, pour ainsi dire, en immersion dans leur musique. Les moments les plus forts ou les plus poignants de Bum raps and love taps prennent depuis une toute autre ampleur. Mais on repart la tête remplie d’images, avec la promesse de les retrouver tôt ou tard. Elysian Fields est un de ces groupes précieux qui donnent envie de les accompagner loin, le plus longtemps possible.

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publié par le 10/05/06